Intervention de Fabienne Keller

Commission des affaires européennes — Réunion du 11 février 2016 à 8h35
Justice et affaires intérieures — Fonds pour le financement de la lutte contre le terrorisme et la protection des frontières extérieures : rapport d'information de mme fabienne keller

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller :

L'année 2015 a été marquée au sein de l'Union européenne par une intensification de la crise migratoire et la multiplication des actes terroristes dans plusieurs États membres, en particulier en France. Ces deux événements ont suscité des réponses de l'Union européenne et la mise en place de financements conséquents, notamment en matière migratoire.

Il n'en demeure pas moins que cette réaction européenne tarde à se structurer, suscitant des réserves de la part des États membres ou, dans le meilleur des cas, des propositions, à l'image du projet de Fonds bilatéral avancé le 24 novembre 2015 par les ministres de l'économie français et allemand. J'en détaille les contours dans mon rapport écrit. Une étude publiée par France Stratégie souligne l'impact économique du renforcement des contrôles aux frontières intérieures, tablant à long terme sur une diminution du PIB de l'espace Schengen de 100 milliards d'euros. Cette perspective déboucherait sur une perte d'environ 10 milliards d'euros pour la France. Le coût à court terme est déjà évalué entre un et deux milliards d'euros, la somme variant en fonction de l'intensité des contrôles. La baisse des recettes serait imputable pour moitié à la réduction de la fréquentation touristique.

L'initiative franco-allemande est destinée à organiser, financer et déployer des mesures qui viendraient s'ajouter aux actions déjà conduites à l'échelle nationale. Elles visent la gestion des arrivées de réfugiés, la lutte contre le terrorisme et la protection des frontières extérieures. Le financement de ces trois priorités pourrait passer par la mise en place d'un fonds, doté de 10 milliards d'euros sur trois ans. Le Fonds serait ouvert à tous les États. Il n'a, pour l'heure, pas eu de traduction concrète.

S'il s'agit d'une volonté de multiplier les canaux de financement pour des opérations concrètes, le montant peut paraître surestimé. Si, en revanche, le Fonds vise à s'attaquer aux racines des problèmes, la somme apparaît clairement insuffisante au regard des enjeux. Il s'agirait en, effet, de contribuer au financement des opérations militaires extérieures destinées à lutter contre le terrorisme, d'apporter une réponse économique et sociale aux difficultés d'intégration au sein des États membres, de mettre en oeuvre une politique de co-développement ambitieuse en faveur des pays tiers et de financer directement la relocalisation des migrants. Il n'est pas certain que les États membres disposent aujourd'hui des ressources budgétaires pour concrétiser une telle ambition.

C'est dans ce contexte que j'ai souhaité dresser un état des lieux des financements européens en matière de gestion de la crise des migrants, de protection des frontières extérieures et de lutte contre le terrorisme mis en oeuvre depuis un an. Il s'agit également de tracer des perspectives pour une optimisation de ces financements et d'envisager des solutions innovantes en vue de valoriser les efforts de certains États membres, à l'image de la France, engagée dans des opérations extérieures coûteuses, destinées à lutter contre le terrorisme et protéger ainsi l'ensemble de l'Union européenne. Ce travail est, à mon sens, complémentaire de celui que mènent actuellement nos collègues Philippe Bonnecarrère et Simon Sutour sur les mesures de lutte contre le terrorisme, de celui de Jean-Yves Leconte et André Reichardt sur la crise des migrants et de celui de Gisèle Jourda et Yves Pozzo di Borgo sur la défense européenne. Quelques-unes des propositions de ce rapport pourraient être intégrées dans leurs réflexions.

Abordons tout d'abord les financements mis en place par l'Union européenne.

L'examen des crédits européens accordés depuis l'intensification de la crise des migrants en 2015 révèle une réelle prise en compte, au plan financier, du défi qu'elle constitue pour l'Union.

La lutte contre le terrorisme, la protection des frontières extérieures et les conséquences de la crise des migrants sont principalement gérées au sein de la Commission européenne par la direction générale de la migration et des affaires intérieures. Le cadre financier pluriannuel 2014-2020 prévoit pour celle-ci un budget de 9,2 milliards d'euros. Vous trouverez les détails des financements accordés dans le rapport. La mise en place de nouveaux dispositifs - Fonds spéciaux pour l'Afrique et la Turquie, aide aux pays du voisinage - et le redéploiement de crédits ont contribué à dégager de nouvelles ressources pour la période 2015-2016. Les crédits européens destinés à faire face à la crise des migrants sur cette période devraient donc s'établir à 10,2 milliards d'euros, contre 4,5 milliards d'euros prévus initialement. Cette somme dépasse la dotation de la seule DG Migration et Affaires intérieures pour la période 2014-2020. A ce montant, il convient d'ajouter 4,8 milliards d'euros de contributions nationales destinées à abonder les programmes d'aide des Nations unies et les Fonds créés par l'Union en faveur de l'Afrique, de la population syrienne et de la Turquie.

L'engagement financier inédit de la Commission européenne se heurte cependant aux difficultés du terrain et à l'impossibilité de concrétiser certains des dispositifs proposés, à l'image du mécanisme de relocalisation. Plus de six mois après son lancement, seuls 11 États sur 28 l'ont mis en place, aidant ainsi à peine 500 personnes, loin des 40 000 envisagées initialement en mai dernier. Ce manque de volonté des États se mesure également à l'abondement des Fonds d'assistance et des programmes des Nations unies. Au 27 janvier 2015, les contributions nationales s'élevaient à 575,45 millions d'euros au lieu des 2,8 milliards d'euros attendus.

Il n'en reste pas moins que l'augmentation des moyens financiers devrait se poursuivre au cours des prochaines années.

L'année 2016 devrait ainsi être marquée par la révision à mi-parcours des perspectives financières 2014-2020, où des redistributions de crédits pourraient être opérées en faveur de la lutte contre le terrorisme ou de la protection des frontières. Ces redistributions viendraient s'agréger aux mesures de la Commission européenne visant le renforcement de la protection des frontières extérieures du 15 décembre 2015 et les annonces faites en matière de lutte contre le terrorisme.

La nouvelle agence de gardes-côtes et de gardes-frontières européenne devrait disposer du budget de Frontex. Sa dotation sera néanmoins appelée à évoluer dès 2017 avec la montée en charge de ses nouvelles missions pour atteindre 322,23 millions d'euros à l'horizon 2020, soit le triple du budget initialement prévu en 2015 pour Frontex.

J'aborderai pour conclure le financement de la lutte contre le terrorisme. Sa dimension financière est aujourd'hui moins visible, les moyens accordés à la protection des frontières extérieures pouvant cependant participer de ce combat essentiel.

La lutte contre le terrorisme comprend aujourd'hui deux volets. Le premier a trait à la prévention et la mise hors d'état de nuire des groupes agissant sur notre sol. Le second couvre les opérations extérieures menées dans les pays tiers considérés comme des foyers terroristes et des pays d'envoi. Ces deux axes n'impliquent pas le même type de financement.

Pour le premier, seule la coopération technique implique un financement. Celui-ci ne saurait cependant être conséquent, tant la modernisation de l'arsenal européen en matière de lutte contre le terrorisme passe avant tout par la mise en place d'une culture de la coopération entre États membres, notamment en matière de renseignement.

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