Intervention de Muguette Dini

Réunion du 30 juin 2009 à 22h00
Inceste sur les mineurs — Adoption d'une proposition de loi en procédure accélérée

Photo de Muguette DiniMuguette Dini :

Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, pour une femme ou une adolescente, le risque d’être victime de maltraitance ou d’agression sexuelle est plus grand au domicile que dans la rue. Ce constat est encore plus vrai quand il s’agit d’un enfant. Tous les professionnels le disent : la plupart des abuseurs sexuels se trouvent au sein de la famille.

Le droit pénal français prend partiellement en compte les particularités de ces crimes. Pour autant, les spécificités de l’inceste méritent-elles qu’il soit nommé comme un crime différent ? À cette question, les victimes d’inceste répondent par l’affirmative.

Il est vrai que le terme « inceste » n’est inscrit ni dans le code civil ni dans le code pénal. Alors que l’anthropologue, le sociologue, le psychanalyste, l’ethnologue et l’éthologue se sont tous penchés sur l’étude de l’inceste, le juriste lui consacre très peu d’écrits. Le mot n’apparaît que très rarement ! Tout se passe comme si la règle morale sous-jacente aux règles juridiques allait tellement de soi qu’il n’était point besoin, pour notre droit, d’en dire plus.

Étymologiquement, le mot « inceste » va dans le sens d’un interdit social : le dictionnaire de l’Académie française, dans ses vieilles éditions, l’a défini comme la « conjonction illicite entre les personnes qui sont parentes ou alliées au degré prohibé par les lois », cependant que le Littré évoque une « union illicite ».

Au vu de ces premiers éléments, il est clair que la notion d’« inceste » est sous-tendue par celle de famille, voire de parenté. Il n’y a pas d’inceste sans famille au sens large.

Notre droit ne donne pas de définition de l’inceste. Toutefois, les auteurs sont unanimes sur le fait que l’interdit de l’inceste, quoique non désigné explicitement dans les textes, n’en a pas moins été et demeure l’un des fondements mêmes du droit familial et un pilier essentiel de notre société.

Ainsi, notre droit positif civil comporte des dispositions relatives au mariage et à la filiation qui se rattachent à cette notion. Le code civil interdit l’union incestueuse et, dans le prolongement de cette interdiction, pose l’obligation de trouver son partenaire sexuel à l’extérieur de la famille.

Cette prohibition a traversé toutes les réformes du code civil. Un homme ne peut et n’a jamais pu épouser sa mère, ni sa grand-mère, ni sa sœur, ni, en ligne descendante, sa fille ou sa petite-fille. De la même façon, une femme ne peut épouser son père, son grand-père, son fils, son petit-fils, ou encore son frère.

La loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité, le PACS, a posé le même principe de prohibition. En effet, l’article 515-2 du code civil dispose que, « à peine de nullité, il ne peut y avoir de pacte civil de solidarité entre ascendant et descendant en ligne directe [...] et entre collatéraux jusqu’au troisième degré inclus ».

Mais on sait aussi que, actuellement, les couples se forment sans mariage ni pacte civil de solidarité et que certains sont construits sur une situation d’inceste.

La filiation incestueuse s’avère elle aussi indirectement prohibée : l’enfant né de relations incestueuses ne verra sa filiation légalement établie qu’à l’égard de l’un des deux auteurs de l’inceste.

Sur le plan pénal, l’inceste est également réprimé. Il est reconnu comme circonstance aggravante du crime de viol et des délits d’agression sexuelle ou d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans par une personne ayant autorité.

Faut-il en rester là ? Les victimes d’inceste nous demandent d’aller plus loin : elles demandent qu’il soit reconnu que l’inceste n’est jamais pris en considération isolément, qu’il est toujours appréhendé en même temps que tous les autres crimes d’abus d’autorité.

Depuis plusieurs années, sortant de leur silence, les victimes d’actes incestueux parlent, et les poursuites pour des faits de cette nature se multiplient sans que ceux-ci soient jamais qualifiés comme tels.

La répression pénale s’est accrue, notamment depuis la réouverture des délais de prescription par la loi du 10 juillet 1989. Désormais, rien ne fait plus obstacle à une action tardive de la part de personnes majeures ayant été victimes d’un inceste pendant leur minorité.

Toutefois, les victimes ont besoin que les faits soient posés par des mots justes : la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui leur donne satisfaction.

Aucune nouvelle infraction n’est créée, mais, comme je l’indiquais au début de mon propos, ce crime est nommé dans sa spécificité et, de ce fait, reconnu. Surtout, la proposition de loi reconnaît la notion de « contrainte morale » pouvant résulter de la différence d’âge entre la victime mineure et l’auteur des faits ainsi que de l’autorité de droit ou de fait que le second exerce sur la première.

Dans la rédaction actuelle du code pénal, quatre facteurs permettent de constituer une agression sexuelle : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Or ils ne se retrouvent pas dans les cas d’agression sexuelle intrafamiliale. Le parent n’a pas besoin de se montrer violent avec l’enfant ; les menaces sont souvent postérieures à l’acte, et donc inopérantes ; la surprise, quant à elle, est insuffisante pour rendre compte de la pérennité du phénomène.

La victime est dans une situation très particulière par rapport à l’auteur de l’infraction : elle vit avec lui, mais surtout, souvent, elle l’aime. Ainsi, la situation de l’enfant victime de son parent est une manifestation de l’absence de consentement. Cette dépendance, cette autorité, font de l’inceste un crime différent des autres et créent les conditions du particularisme que réclament les victimes.

Dans cette proposition de loi, l’inceste entre personnes majeures n’est pas évoqué puisqu’il est présupposé que dans ce cas aucune contrainte n’est exercée. Il ne faut cependant pas oublier que, sur le plan de l’interdit social, toute relation sexuelle intrafamiliale reste un inceste. C’est pour insister sur la différence entre inceste imposé et inceste consenti que j’ai cosigné l’amendement de mon collègue François Zocchetto visant à modifier l’intitulé de la proposition de loi.

Je terminerai mon propos en abordant un point qui me paraît incontournable : la prévention.

Nous avons le devoir de faire changer les mentalités. Le travail sera long. Aussi convient-il de l’entamer au plus vite, en particulier à l’école et dans les lieux de loisirs fréquentés par les enfants et les adolescents.

C’est à cette condition que nous pourrons espérer une prise de conscience rapide chez les enfants victimes d’inceste, et c’est à cette condition qu’ils seront moins nombreux, on peut l’espérer, à connaître ce traumatisme.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion