Mes chers collègues, je vous dois une explication sur cette règle de procédure, dont je ne suis pas l’inventeur. Je me sens presque obligé de m’excuser de la défendre.
L’objectif de la règle de l’entonnoir est d’empêcher que le débat parlementaire ne donne lieu sur des sujets difficiles, comme celui qui vient d’être évoqué, à des improvisations.
Figurons-nous un entonnoir : à l’ouverture, le diamètre du cercle est assez large ; à la sortie, il est tout petit.
En première lecture, le cercle est large. Cela signifie que notre droit d’amendement est important. En effet, selon l’article 45 de la Constitution, il suffit que nos amendements aient un « lien, même indirect, » avec le texte déposé en première lecture pour être recevables.
En deuxième lecture, le cercle du possible s’est réduit : nous n’avons plus le droit de déposer d’amendements, sauf s’ils ont une « relation directe » avec une disposition qui reste en discussion. Ainsi, le pouvoir constituant, dont le Conseil constitutionnel est le gardien, a voulu qu’il y ait deux pleines lectures de toute disposition importante et que ces deux lectures permettent, dans le cadre du bicamérisme, d’écrire une loi de qualité. Tel est le sens de la règle de l’entonnoir.
Notre pouvoir d’amendement est donc grand en première lecture et limité en deuxième lecture.
Un élément s’y ajoute : le Sénat doit opposer l’irrecevabilité à l’occasion du travail en commission. L’Assemblée nationale n’applique pas les mêmes règles de procédure.
En l’occurrence, l’Assemblée nationale a laissé passer cet amendement irrecevable. Il aurait en effet fallu, pour prononcer son irrecevabilité, que la commission saisisse le président de l’Assemblée nationale.
En ce qui nous concerne, nul besoin de saisir le président du Sénat. C’est aux commissions saisies au fond – même pas à la seule commission des lois, mais à toute commission saisie au fond – d’appliquer la règle de l’irrecevabilité.
Sans doute pourrions-nous pudiquement fermer les yeux… Mais pourquoi paraissons-nous faire du zèle ? Parce que, de toute façon, sauf erreur d’interprétation de notre part, le Conseil constitutionnel censurera de sa propre autorité, même si ce point n’est pas soulevé par les requérants, la disposition en cause.
Or nous ne voulons pas perdre notre temps ni voir nos dispositions censurées. Par conséquent, sans penser de mal sur le fond de telle ou telle disposition, nous faisons notre travail en appliquant cette fameuse règle de l’entonnoir, en vertu de laquelle, en seconde lecture, notre pouvoir d’amendement est beaucoup plus restreint qu’en première lecture.
Je vous devais cette explication, mes chers collègues. Nous souhaitons, au Sénat, conserver cette originalité consistant à être un législateur sérieux, attaché à la qualité de la loi et évitant la formation de kystes lors du processus législatif.
Figurez-vous d’ailleurs que les lois adoptées au cours des cinq dernières années ont 60 % de mots supplémentaires par rapport à celles de la législature précédente ! Avoir ces lois boursoufflées, dont le volume devient insupportable, pose à tous les Français un véritable problème. Cela nous pose aussi beaucoup de difficultés pour comprendre ce que nous votons.