Intervention de Gilbert Barbier

Réunion du 30 juin 2009 à 22h00
Inceste sur les mineurs — Adoption d'une proposition de loi en procédure accélérée

Photo de Gilbert BarbierGilbert Barbier :

Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, l’examen de cette proposition de loi exige d’autant plus d’humilité qu’elle touche un domaine où la raison le cède souvent à l’émotion, ce qui est parfaitement compréhensible.

Permettez-moi de saluer la contribution de notre collègue députée Marie-Louise Fort, dont les travaux et la réflexion ont été menés, très en amont, dans le prolongement de la mission confiée à Christian Estrosi, ainsi que l’apport de la commission des lois et de son rapporteur, notre collègue Laurent Béteille.

L’inceste produit intuitivement en nous un mélange d’incompréhension et de répulsion. Il transgresse les structures fondamentales de l’organisation de nos sociétés et porte une atteinte intolérable à la dignité de ses victimes, le plus souvent mineures ou handicapées.

Les statistiques peinent à donner une image réelle de l’inceste en France. En extrapolant le nombre d’affaires portées devant la justice, on estime à deux millions le nombre de personnes ayant subi, durant leur enfance, un rapport ou une tentative de rapport sexuel forcé de la part d’un père, beau-père ou autre membre de la famille. Environ 20 % des procès d’assises ont trait à des affaires d’inceste. Tous les enfants sont concernés, quel que soit leur âge, y compris les nourrissons. Phénomène beaucoup moins connu, l’inceste par ascendant peut également être le fait de la mère.

L’inceste constitue la violation la plus totale des droits de la personne et s’apparente à l’une des formes les plus évoluées de la barbarie humaine. Combien de victimes ont trouvé dans la mort la seule réponse à leur souffrance ?

Les conséquences de l’inceste sont toujours graves : suicide, anorexie, boulimie, automutilation, toxicomanie, prostitution, alcoolisme, dépression, trouble bipolaire…

Les cliniciens et professionnels de santé sont unanimes : un abus sexuel intrafamilial – il s’agit le plus souvent d’un acte commis par un père sur sa fille – est un événement traumatisant qui laisse des blessures psychologiques irréversibles. Or l’inceste n’est pas uniquement une affaire de famille, c’est un problème de santé publique, et même un problème de société en ce qu’il insulte nos valeurs. C’est pourquoi il nous appartient de donner aux pouvoirs publics tous les outils permettant non seulement de le combattre et de le réprimer, mais aussi, et surtout, de le prévenir.

Il convient d’inscrire en tant que telle la qualification juridique de l’inceste dans le code pénal. Cette reconnaissance par la loi constituera, à n’en pas douter, un élément important pour les victimes dans leur thérapie : appeler les choses par leur nom empêche le refoulement et le déni de la réalité ; nier l’inceste, c’est se faire complice de l’agresseur.

La proposition de loi que nous examinons place la victime au centre de la problématique ; elle n’a pas pour objet d’aggraver les peines encourues pour les viols, agressions sexuelles et atteintes sexuelles commis de façon incestueuse.

L’article 1er établit une présomption irréfragable d’absence de consentement du mineur victime de viol ou d’agression sexuelle.

Jusqu’à présent, pour reconnaître la constitution de ces deux infractions, la Cour de cassation exigeait que leur commission ait eu lieu avec violence, menace, contrainte ou surprise. Malgré un certain infléchissement de la jurisprudence, ce raisonnement conduit à ce qu’un mineur, en fin de compte, doive prouver qu’il n’était pas consentant, traumatisme venant s’ajouter à celui qui est inhérent à ce type d’acte. Nombre de juridictions pénales ont ainsi été amenées à requalifier un viol ou une agression sexuelle en atteinte sexuelle, délit pour lequel la loi prévoit des peines moins sévères.

La présente proposition de loi apporte donc bien plus qu’une précieuse mise au point sur cette question. En effet, dans le cas de l’inceste, l’agresseur appartient à la sphère quotidienne de la victime ; il assume un rôle d’autorité légitime envers elle et exploite ce modèle socialement accepté de domination pour contraindre la victime, souvent sans violence ni menace, à l’acte sexuel. Les enfants sont projetés hors de leur univers, sans repères ni défense. La force et l’autorité écrasante de l’agresseur les rendent muets, et peuvent même parfois leur faire perdre conscience.

L’accompagnement des victimes est fondamental. À cet égard, il est regrettable que l’article 6, qui prévoyait la création de centres de référence pour les traumatismes psychiques, soit tombé sous le coup de l’article 40 de la Constitution.

L’article 6 bis, quant à lui, ouvre aux associations de lutte contre l’inceste la possibilité de se porter partie civile. Cette mesure est importante, car, malgré l’aménagement d’un délai de prescription spécifique qui ne court qu’à la majorité de la victime, celle-ci ne porte pas toujours l’affaire en justice. Personnellement, je serais même favorable à ce que ces crimes soient imprescriptibles.

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