Pour soutenir l'économie de notre pays, mieux vaut s'appuyer sur quelques instruments forts que sur une multitude de petites aides attribuées sans vision d'ensemble. Ces instruments, il en existe déjà plusieurs.
Parmi les 77 dépenses fiscales rattachées à la mission, les plus récentes forment un ensemble cohérent et complémentaire ; elles forment un cercle vertueux qui laisse aux gouvernants la maîtrise des choix politiques et stratégiques, et des instruments fiscaux pour les mettre en oeuvre. Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), qui représente 15,8 milliards d'euros, a permis aux entreprises de rétablir leurs marges, de s'adapter à la concurrence, de renforcer leurs fonds propres ou tout simplement de se maintenir. Il ne faut pas se tromper sur le sens du rapport de France Stratégie présenté en septembre 2016 : il est logique que les entreprises cherchent d'abord à stabiliser leur situation financière, puis qu'elles établissent un plan stratégique de développement, avant de procéder à des recrutements. Les marges rétablies ont maintenu l'emploi et même contribué à la création nette d'emplois dès 2013-2014. Nous sommes convaincus de la nécessité de renforcer ce dispositif en direction des PME et ETI.
Deuxième instrument, le suramortissement exceptionnel de 40 % a relancé l'investissement productif. Son coût budgétaire a doublé par rapport aux prévisions initiales pour atteindre un milliard d'euros, et toutes les études récentes sur l'investissement des entreprises confirment la reprise, avec un effet positif sur l'emploi.
Plusieurs dispositifs sectoriels en faveur de filières d'avenir complètent l'ensemble, dont l'amortissement accéléré des imprimantes 3D, mesure qui n'est pas aussi anecdotique qu'elle en a l'air : Jacques Chiron et moi-même l'avions proposée lors de la dernière du projet de loi de finances pour 2016, et le Gouvernement l'a reprise dans le cadre du collectif budgétaire de fin d'année.
Le plan « France Très haut débit » est une autre preuve que l'État, lorsqu'il s'en donne les moyens, est capable de conduire une politique ambitieuse. Portée par le programme 343, la participation de l'État au déploiement de la fibre optique se monte à 3 milliards d'euros, sur les 20 milliards prévus à horizon 2022. Le fait remarquable est que pour 2017, les autorisations d'engagement s'élèvent à 409 millions d'euros, au lieu des 150 millions d'euros initialement prévus, ce qui reflète l'accélération du déploiement qui est en cours. Les conventions signées avec les opérateurs pour la couverture des zones les moins denses ont dépassé les attentes, et l'objectif intermédiaire de 50 % de la population couverte fin 2017 pourrait être tenu avec un an d'avance. Une autre partie de la hausse s'explique par le financement d'un programme de couverture des « zones blanches » en matière de téléphonie mobile.
Autre outil à disposition de l'État stratège, le compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés » porte les crédits du Fonds pour le développement économique et social (FDES). Réactivé en 2014 et doté de 100 millions d'euros cette année, ce fonds accorde des prêts à des entreprises en difficulté. Toutefois, au vu du faible taux d'utilisation de ses capacités - 56 % en 2015, et toujours 0 % depuis le début de l'année - la question de sa pérennité se pose : soit le FDES finance des industries et des emplois viables à long terme mais fragilisés à court terme, et alors un acteur comme Bpifrance semble plus indiqué pour prendre le relais ; soit il finance des projets non viables, et il pourrait être supprimé.
Créée en 2013, Bpifrance est, avec Business France, l'une des pièces maîtresses du nouvel État stratège que nous appelons de nos voeux. La banque publique, qui peut soit accorder des crédits, soit contribuer aux fonds propres des entreprises, reprendra également la gestion des garanties publiques à l'exportation, auparavant assurées par la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur (Coface), et qui font maintenant l'objet d'une dotation de 72,6 millions d'euros inscrite au programme 134.
Lors de nos travaux précédents, et notamment lors de notre déplacement à San Francisco en avril 2016, nous nous sommes particulièrement intéressés au financement des jeunes start-up innovantes. Grâce à ses interventions - toujours minoritaires - Bpifrance a contribué à « débloquer » le marché français du capital-risque. Sur ce marché, longtemps plafonnés à 800 millions d'euros par an, les financements de Bpifrance ont exercé un effet de levier qui a permis aux investissements en capital-risque en France de dépasser le milliard d'euros au premier semestre 2016. Paris est ainsi devenue la deuxième place européenne, talonnant Londres et devançant Berlin.
Quelques réserves cependant. D'abord, et nous insistons sur ce point, l'effet de levier menace toujours de se transformer en effet d'éviction. L'initié connaît par nature mieux le marché que celui qui a besoin de financements ; de là une certaine aversion au risque chez Bpifrance. Or les fonds privés pourraient refuser de s'engager si Bpifrance n'est pas autour de la table... Le capital-risque n'est pas un simple accompagnement, il exige une ouverture d'esprit, une réelle acceptation du risque. Il conviendrait, dans ce domaine, de disposer d'indicateurs pour mesurer non pas le « taux de survie » des entreprises, c'est-à-dire les risques, mais plutôt les perspectives dans cette économie naissante.
À cet égard, pourquoi l'Agence des participations de l'État (APE) ne disposerait-elle pas d'un portefeuille en capital-risque ? Alimenté par une fraction des autres dividendes de l'État actionnaire, ce fonds donnerait à l'APE la latitude nécessaire pour s'ouvrir davantage aux PME et ETI - alors qu'elle les considère aujourd'hui comme accessoires par rapport aux grands groupes. La croissance du capital-risque en France est réelle, mais encore très insuffisante lorsque les montants à lever dépassent 100 millions d'euros. Est-il normal que Blablacar ait dû s'adresser à des fonds américains pour lever 200 millions d'euros l'année dernière ?
Plus fondamentalement, Bpifrance est bien une institution publique, et non une banque ou un fonds d'investissement comme les autres. Son rôle est de mettre en oeuvre les orientations fixées par le Gouvernement et le Parlement.
Voilà ce que nous entendons par « État stratège ». Non pas un retour à une administration centrale rigide, aux plans quinquennaux et aux monopoles - il est facile d'ironiser sur cela -, mais un instrument rendant à l'État les moyens concrets de jouer son rôle, y compris de façon discrétionnaire, dans les situations où le secteur privé est défaillant ou soumis à un horizon de court terme. En fait, il s'agit tout simplement de permettre à l'État de prendre des décisions vraiment politiques : est-ce aux grands groupes internationaux, et notamment aux grandes entreprises du secteur du numérique, de faire la fiscalité des États ? Pourquoi l'État ne favoriserait-il pas l'acquisition ou l'émergence d'un géant du numérique ?
Voici, en attendant un travail plus approfondi, les quelques principes qui ont guidé notre réflexion et pourraient guider l'État stratège du XXIe siècle. Tout d'abord, l'agilité : l'État doit être réactif dans la fixation des priorités, et faire confiance aux acteurs comme Bpifrance, Business France ou encore l'APE. Ces acteurs doivent être organisés en réseau, le Gouvernement et le Parlement conservant la maîtrise du destin économique du pays.
Ensuite, la vision : de toute évidence, les priorités de demain seront la transition écologique et la révolution numérique, et il convient de ne négliger aucune source d'innovation.
Enfin, l'ouverture : l'État stratège n'a pas vocation à protéger les intérêts acquis à l'intérieur des frontières, mais à soutenir avec zèle l'internationalisation des entreprises françaises, de la TPE au grand groupe.
Naturellement, de telles perspectives ne se traduisent pas immédiatement en amendements de crédits. Le contrôle n'excluant pas la confiance, nous vous proposons d'adopter sans modification les crédits de la mission « Économie » et du compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés ».