Intervention de Alain Milon

Réunion du 30 juin 2009 à 22h00
Inceste sur les mineurs — Adoption d'une proposition de loi en procédure accélérée

Photo de Alain MilonAlain Milon :

Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise vise à renforcer la sécurité de ce qui constitue le pilier et le fondement de notre démocratie, ce qui garantit sa vitalité : les enfants et la famille. Or, c’est précisément parce qu’il détruit et l’enfant et la famille que l’inceste apparaît comme un danger majeur ; c’est parce qu’il déstructure toute civilisation humaine qu’il est l’interdit fondamental, reconnu universellement.

Pourtant, force est de constater que les cas d’abus sexuels sur mineurs commis dans le cadre intrafamilial, qu’ils soient avérés ou non, représentent les affaires les plus nombreuses portées devant les tribunaux. L’objet de cette proposition de loi est d’en améliorer le traitement afin de mieux identifier, prévenir, détecter et lutter contre l’inceste.

Inscrire l’inceste dans le code pénal permettra qu’il soit mieux identifié. Car, mes chers collègues, c’est d’abord et avant tout le silence, hélas ! qui empêche de le prévenir et de le combattre efficacement.

Le silence qui entoure cette violence spécifique, l’une des plus destructrices pour un enfant, revient de facto à la banaliser, à la ramener à une variante d’agression sexuelle ou de viol parmi d’autres, alors même que toute civilisation humaine s’accorde sur le fait que l’interdit de l’inceste est structurant et permet la transmission de la culture d’une génération à l’autre, aux enfants via leur famille, quels que soient les contours que la société fixe à celle-ci.

Il était temps de nommer l’inceste dans le code pénal et de briser ainsi cette loi du silence : celui-ci doit enfin cesser de constituer, pour ceux de nos concitoyens qui ne semblent pas avoir intégré l’interdit fondamental, une injonction à perpétuer un ordre social qui, par omission, légitime ou banalise de facto cette violence faite aux enfants. Une société humaine ne peut survivre si elle a renoncé à arracher à la violence les membres qui la composent.

La version actuelle de la proposition de loi qui nous est présentée vient remédier à cette carence de notre législation en nommant spécifiquement l’inceste.

Pourtant, l’injonction de rester silencieux demeure extrêmement puissante et frappe d’abord ceux qui, précisément, sont les plus à même de briser cette loi du silence en signalant les cas dont ils ont connaissance – je pense bien évidemment aux médecins.

La spécificité des cas d’inceste réside dans le fait que ce sont les parents, ceux-là mêmes qui ont la responsabilité de la sécurité et de l’intégrité physique et psychique de leur enfant, qui en sont eux les auteurs.

Le médecin et les professionnels de santé jouent alors un rôle incontournable dans l’identification et la détection des cas d’inceste. C’est d’ailleurs leur obligation. Encore faut-il, pour qu’ils la respectent, qu’ils puissent agir en toute liberté et, lors du signalement, s’en remettre avec confiance à la justice, à laquelle revient la responsabilité de déterminer l’opportunité de déclencher une action.

Or la protection insuffisante des médecins et des professionnels de santé empêche la justice d’effectuer son travail correctement. En effet, seules les sanctions disciplinaires ayant été interdites, les poursuites civiles ou pénales restent possibles, si bien que, souvent, les praticiens concernés préfèrent encore se taire.

À chacun son métier : au médecin l’obligation de signaler, sur la base de son diagnostic, un cas présumé d’inceste ; à la justice de déterminer si celui-ci est avéré. Or le maintien de la possibilité de poursuites civiles et pénales contre un médecin signalant un cas d’inceste ensuite non avéré par la justice revient à lui faire porter la responsabilité d’une éventuelle décision de justice. Une telle situation est d’autant moins acceptable qu’elle a des conséquences très graves quant à l’objectif de lutte contre l’inceste : dans 95 % des cas d’inceste, les médecins ne signaleraient pas les abus.

Tel est donc l’objet d’un amendement qu’avec quelques-uns de mes collègues j’ai déposé et dont nous débattrons tout à l’heure. Lutter contre l’inceste, c’est briser la loi du silence qui empêche de le dénoncer lorsque des cas présumés se présentent aux professionnels de santé. L’abandon des sanctions disciplinaires consacré par la loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance constituait un premier pas en ce sens ; il demeure toutefois largement insuffisant. Il faut supprimer le maintien des poursuites civiles et pénales contre un médecin qui effectue, de bonne foi, le signalement d’un cas présumé d’inceste.

Après avoir cherché à protéger le médecin de poursuites civiles et pénales, j’ai souhaité déposer un deuxième amendement visant à garantir sa sécurité. En effet, il faut aussi prévoir que l’identité du signalant ne puisse être donnée qu’avec son consentement : c’est indispensable pour garantir sa sécurité et éviter que, par peur d’éventuelles menaces ou représailles affectant sa vie quotidienne, le médecin ne préfère se taire. Il convient sur ce point de s’inspirer de la loi sur la protection de la jeunesse du Québec. Rappelons que, en France, le présumé agresseur peut, dans les heures qui suivent la réception du signalement, avoir connaissance de l’identité de celui qui signale et exercer sur lui des pressions diverses ou engager des poursuites.

Mes chers collègues, vous aurez compris l’importance fondamentale que revêtent ces deux amendements. Mais il est également indispensable que les médecins soient explicitement informés avant même qu’ils n’aient commencé à exercer, c'est-à-dire pendant leur formation. Nul n’est censé ignorer la loi ; mais pour des crimes ou délits qui atteignent le cœur même de notre société et de notre démocratie, à savoir les enfants et la famille, seul un renforcement de la formation initiale des médecins pourra garantir et améliorer les signalements.

Vous l’avez dit, madame le garde des sceaux, une telle disposition relève du règlement plus que de la loi. Je retirerai donc cet amendement, pour me conformer à la demande que, rapportant le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, j’avais adressée aux auteurs d’amendements similaires. Pour autant, je souhaite que cette question puisse être étudiée au niveau réglementaire.

Les auteurs d’une étude américaine réalisée sur un échantillon de 415 pédiatres signalent que 11 % des personnes interrogées n’ont jamais, au cours de toute leur carrière, observé d’enfant suspecté de maltraitance. Ce résultat met en lumière les difficultés, principalement le stress, la peur et la crainte de perdre un patient, rencontrées lors des signalements de cas d’inceste.

Je conclurai en indiquant que, face à ce texte, j’agis – tout comme vous, mes chers collègues – en mon âme et conscience, en tant que citoyen fier d’appartenir à un pays qui sait à quel point la protection de la famille, la protection de l’intérêt de l’enfant, sont les fondements sans lesquels aucune liberté ne peut être garantie, qui sait à quel point il en a besoin pour assurer son avenir et sa vitalité.

Je ne saurais précisément ni a priori définir ce que sont une bonne famille, une bonne éducation, voire l’intérêt réel de l’enfant, tant la liberté pour laquelle nos ancêtres se sont battus est effective et ancrée dans la vie quotidienne de tous les Français : en témoignent la pluralité des familles, la diversité des enfants et de l’éducation qu’ils reçoivent. Je sais simplement que je suis avant tout profondément attaché à la liberté telle qu’elle est inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme, attaché à l’intégrité physique et psychique de l’individu et, a fortiori, de l’enfant.

Je sais aussi, tout comme vous, mes chers collègues, que l’inceste nuit à la liberté de nos concitoyens enfants et de leurs familles, qu’il nuit aussi à l’intégrité physique et psychique des victimes et des agresseurs. Il faut donc nous permettre de le combattre sans relâche, grâce à un texte de loi qui soit le plus équilibré possible.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion