Merci monsieur le Président. Avec l'intégration des charges et des recettes de la « contribution au service public de l'électricité », la CSPE, dans le budget de l'État votée fin 2015, le périmètre des crédits consacrés à l'énergie dont notre commission se saisit chaque année pour avis s'est considérablement élargi, dans son volume comme dans ses finalités.
Ainsi, au-delà du champ traditionnel des crédits du programme 174 dédiés à l'accompagnement des anciens mineurs, des dépenses fiscales associées ou du compte d'affectation spéciale pour l'électrification rurale - le CAS « FACÉ » -, le Parlement est désormais conduit à examiner les dépenses de soutien aux énergies renouvelables, retracées dans le CAS « Transition énergétique », et les autres charges de service public de l'énergie, qui sont regroupées au sein du nouveau programme 345. Disons-le d'emblée : si la budgétisation de ces charges est un progrès, le rôle du Parlement restera toutefois très limité tant l'évolution de ces dépenses, très largement contraintes, lui échappe.
Avant d'entrer dans le détail, quelques chiffres sur les grandes masses concernées. Sur les 9,5 milliards d'euros de charges rapatriées dans le budget, 6,9 milliards sont logés dans le nouveau CAS pour, d'une part, financer le soutien aux énergies renouvelables, à hauteur de 5,7 milliards, et, d'autre part, apurer la dette due à EDF en raison du défaut de compensation passé de la CSPE, pour 1,2 milliard ; les 2,5 milliards restants figurent au programme 345, dont 1,4 milliard pour la péréquation tarifaire de l'électricité, 500 millions pour les tarifs sociaux et un peu plus de 500 millions pour le soutien à la cogénération gaz.
Environ 450 millions sont ouverts au titre du programme 174 pour financer, principalement, les droits des anciens mineurs. Les dépenses fiscales rattachées au programme représentent quant à elles 2,7 milliards, dont près d'1,7 milliard pour le seul « crédit d'impôt pour la transition énergétique », le CITE. Enfin, un peu moins de 400 millions sont dédiés aux aides à l'électrification rurale.
Au total, nous examinons donc 13,1 milliards d'euros de crédits ou de dépenses fiscales, étant précisé que d'autres mécanismes interviennent encore dans le domaine de l'énergie, qu'il s'agisse des certificats d'économies d'énergie, les CEE, des aides de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, ou encore d'une tuyauterie bien opaque, dite « fonds de financement de la transition énergétique » sur laquelle je reviendrai.
Premier poste de dépenses du CAS « Transition énergétique », les subventions versées aux énergies renouvelables électriques progressent cette année encore à un rythme très soutenu : + 915 millions, à 5,6 milliards d'euros, soit une hausse de 19 % sur un an et de 34 % sur deux ans, pour une production subventionnée de 48 TWh qui représente environ 9 % de la production nationale. Cette progression des charges s'explique logiquement par l'augmentation des capacités installées, qui ne faiblit pas - et la file d'attente des projets à raccorder est très conséquente -, mais aussi par la baisse des prix sur les marchés de gros de l'électricité, qui augmente mécaniquement le coût du soutien public. En 2017, le photovoltaïque représentera encore 55 % des coûts alors qu'il ne compte que pour 19,4 % de la production soutenue, signe que, malgré la baisse des prix observée sur les derniers appels d'offres, le poids des contrats passés pèse encore lourdement.
En outre, on notera le démarrage encore très progressif du nouveau mécanisme de soutien « prime + marché », le complément de rémunération, qui n'occasionnerait que 5,6 millions d'euros de dépenses en 2017, ce qui s'explique notamment par les dispositions transitoires prévues par la loi « Transition énergétique » pour basculer vers ce nouveau régime et par le temps de « sortie » des nouveaux projets éligibles.
Au-delà des énergies renouvelables électriques, le CAS soutient encore, d'une part, l'injection de biométhane dans les réseaux de gaz naturel, dont les volumes sont encore très faibles - 0,6 TWh visé en 2017 - mais qui progresse rapidement - une multiplication par sept des surcoûts d'achat est attendue entre 2015 et 2017, à 50 millions d'euros ; d'autre part, l'effacement de consommation électrique, pour lesquels les premiers appels d'offres issus de la loi « Transition énergétique » n'interviendront qu'en 2018, ce qui justifie qu'aucun crédit ne soit inscrit pour 2017 ; d'ici là, un dernier appel d'offres issu de la loi « NOME » sera lancé mais n'apparaît pas dans le budget parce que financé par le tarif d'utilisation des réseaux, le TURPE.
Second gros poste de dépenses du CAS, le remboursement de la dette contractée à l'égard d'EDF, qui avait supporté seule, à partir de 2009, la différence entre le montant fixé pour la CSPE et les charges qu'elle était censée couvrir, pour une dette cumulée de 5,7 milliards d'euros. Conformément à l'échéancier fixé par l'État, 1,2 milliard sera remboursé cette année au titre du principal et 99 millions d'euros au titre des intérêts, dont on peut au passage à nouveau s'étonner qu'ils soient retracés dans le programme 345 et non dans le CAS, alors qu'ils participent bien du coût total de la dette.
Pour financer les dépenses du CAS, le Gouvernement avait annoncé, l'an dernier, la stabilisation de la CSPE à son niveau de 2016, soit 22,5 euros par MWh, et l'élargissement de l'assiette du financement de la transition énergétique aux énergies fossiles, par un relèvement de la « taxe carbone » à 30,5 euros la tonne en 2017.
Si notre commission en avait approuvé le principe - dès lors qu'il n'est pas absurde de faire contribuer les énergies carbonées à la décarbonation de l'économie, au lieu d'augmenter encore la fiscalité sur l'électricité qui est déjà très largement décarbonée grâce, il faut le rappeler, au nucléaire et à l'hydraulique -, nous avions défendu deux principes.
En premier lieu, que ces recettes supplémentaires de taxe carbone soient affectées au CAS à la hauteur du besoin de financement, ce que n'avait pas entendu à l'époque le Gouvernement ; dix mois plus tard, il se rallie à l'analyse du Sénat mais a proposé successivement deux schémas de couverture des charges. Dans la version initiale du budget, le CAS continuait à être financé par une part de CSPE mais était abondé par une fraction des taxes intérieures de consommation sur le pétrole, le gaz et le charbon - les TICPE, TICGN et TICC - « pour un montant représentatif de la hausse » de la taxe carbone en 2017. Mais à l'Assemblée, le Gouvernement a modifié ce schéma en excluant totalement la CSPE et la TICGN des recettes du CAS et en l'alimentant exclusivement par les taxes sur le pétrole et le charbon.
Ce changement de « tuyauterie » s'explique en fait par une demande de la Commission européenne qui a souhaité supprimer tout lien d'affectation entre la CSPE et le CAS finançant les aides aux énergies renouvelables, au motif que l'électricité renouvelable importée, bien qu'étant assujettie à la CSPE, ne bénéficiait pas en retour de ces aides, ce qui pouvait s'assimiler à un droit de douane contraire aux principes de l'Union douanière.
En second lieu, le Sénat avait exigé, sans plus de succès, le respect du principe de compensation intégrale de la taxe carbone fixé par les lois « Grenelle I » et « Transition énergétique » et qui, du reste, avait été appliqué pour les 4 premiers milliards de taxe carbone, compensés par le crédit d'impôt compétitivité-emploi, le CICE, et par des taux réduits de TVA. En fin d'année dernière, le secrétaire d'État au budget nous avait répondu que la hausse serait compensée par la stabilisation de la fiscalité électrique ; or, même en admettant l'idée de compenser une hausse par l'annulation d'une autre hausse prévisible, ce qui est déjà contestable, le compte n'y est pas : selon les hypothèses de rendement de la taxe carbone retenues, ce sont encore entre 196 et 440 millions d'euros de prélèvements supplémentaires qui pèseront sur les consommateurs en 2017 - et plus encore en 2018 et 2019 - et qui s'ajoutent à l'explosion de la CSPE déjà subie par le passé. Aujourd'hui, le Gouvernement se contente de dire que cet écart sera compensé mais on ne voit toujours rien venir...
De même, l'exclusion des produits issus de la biomasse du relèvement de la taxe carbone, pourtant prévu par la loi, n'est toujours pas effective et le Gouvernement annonce y réfléchir pour 2018. Or, si les problèmes de traçabilité sont réels, ils ne me semblent pas insurmontables...
Autre motif d'insatisfaction, les montages retenus pour financer certaines actions liées à la transition énergétique s'avèrent particulièrement complexes, voire opaques. J'évoque ici le fameux « fonds de financement de la transition énergétique » et sa sous enveloppe dite « enveloppe spéciale transition énergétique », l'ESTE. Sans rentrer dans le détail des circuits financiers mis en place, l'enveloppe spéciale n'est aujourd'hui dotée que de 250 millions, ouverts en loi de finances rectificative pour 2015 pour régulariser des avances déjà faites par la Caisse des dépôts et consignations, et de 250 autres millions avancés par la Caisse en 2016 et qui devraient à nouveau être régularisés a posteriori dans le prochain collectif, soit 500 millions au total, ce qui reste bien en-deçà du milliard et demi annoncé pour le fonds à l'origine. Nous avons enfin obtenu cette année quelques éléments d'information sur les actions financées mais encore ne s'agit-il que de grandes masses : ainsi, 354 millions auraient par exemple déjà été engagés, ou seraient en passe de l'être, pour soutenir les projets des « territoires à énergie positive pour la croissance verte », les TEPCV. Plus étonnamment, l'enveloppe spéciale financera aussi, pour 10 millions, un projet de plateforme scientifique dérivante dans l'Arctique. En revanche, il n'y a toujours rien sur le doublement du fonds chaleur de l'Ademe...
J'en viens maintenant aux autres charges de service public de l'énergie financées par le nouveau programme 345. La péréquation tarifaire de l'électricité, qui manifeste la solidarité entre le continent et les territoires insulaires et ultramarins, devrait voir son coût baisser en 2017 de 6,1 %, à 1,4 milliard, sous l'effet, principalement, d'un moindre recours aux moyens thermiques liée à l'anticipation d'une hydraulicité normale ainsi qu'à la mise en service d'une centrale thermique plus performante en Guadeloupe.
En matière de lutte contre la précarité énergétique, les tarifs sociaux de l'électricité et du gaz représenteront environ 400 millions en 2017 pour un nombre de bénéficiaires qui croît encore légèrement, après la forte montée en charge observée entre 2011 et 2015 grâce aux réformes successives, mais qui plafonne depuis autour de 3,3 millions de ménages. Pour toucher la cible des 4 millions de foyers précaires énergétiques, le chèque énergie, basé sur un critère fiscal unique qui évitera les « pertes en ligne » liées au croisement de fichiers complexes des tarifs sociaux, est expérimenté depuis mai 2016 dans quatre départements, avant d'être généralisé au 1er janvier 2018.
Or, les premiers résultats de cette expérimentation en termes d'atteinte des publics cibles sont encourageants, avec une hausse de 37 % des bénéficiaires par rapport aux tarifs sociaux, même si le nouveau dispositif, qui suppose une démarche active du bénéficiaire pour son affectation, nécessitera un accompagnement important. Ainsi, seuls 55 % des chèques avaient été effectivement utilisés cinq mois après leur distribution, avec en plus une complexité introduite dans le dispositif obligeant à échanger son chèque contre un autre chèque pour financer des travaux au-delà de la durée de validité du titre initial...
Le programme 345 couvre aussi, pour plus de 500 millions, les tarifs d'achat historiques des installations de cogénération gaz de moins de 12 MW. Ces contrats ont vocation à s'éteindre progressivement et seront remplacés par de nouveaux mécanismes de soutien en application des lignes directrices européennes et de la loi « Transition énergétique » : tarifs d'achat, complément de rémunération ou appels d'offres selon la puissance, y compris au-delà de 12 MW pour les cogénérations industrielles sous certaines conditions, 60 millions supplémentaires étant prévus pour ce dernier dispositif en 2017.
Objet historique de notre saisine pour avis, les crédits de l'après-mines poursuivent quant à eux leur baisse - - 10,3 % cette année, à un peu plus de 450 millions -, en cohérence avec la réduction « naturelle » du nombre des anciens mineurs et de leurs conjoints. Pour mémoire, sont financées, pour l'essentiel, des avantages en nature (chauffage et logement) et des prestations de pré-retraite, même si l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs, l'ANGDM, provisionne aussi des sommes croissantes (58,5 millions) au titre de demandes d'indemnisation liées aux expositions à l'amiante ou à d'autres produits cancérigènes pour lesquelles certains anciens salariés l'assignent en justice.
Le programme 174 finance encore « la lutte contre le changement climatique » à hauteur de 27,5 millions - dont 24,5 millions pour le dispositif national de surveillance de la qualité de l'air -, soit une enveloppe pratiquement stabilisée après deux années de forte contraction, et, enfin, quelques dépenses très spécifiques telles que la subvention pour charge de service public versée à l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, pour 2,8 millions.
Au-delà des crédits budgétaires, dix-sept dépenses fiscales sont rattachées au programme pour un coût total de 2,7 milliards dont l'essentiel tient, d'une part, aux taux réduits de taxes intérieures de consommation en faveur des industries grandes consommatrices d'énergie, pour 550 millions, et, d'autre part, au CITE, pour 1,7 milliard. Ces deux postes expliquent à eux seuls la forte dynamique des dépenses observée depuis deux ans : + 1 milliard en 2016, en raison de la première année pleine d'application du crédit d'impôt réformé en 2015 et de la montée en charge des taux réduits ; et encore + 200 millions attendus en 2017, le coût des taux réduits augmentant mécaniquement avec la hausse de la taxe carbone.
S'agissant des industries grandes consommatrices d'énergie, on rappellera qu'un grand nombre de dispositifs ont été mis en place ces trois dernières années pour préserver leur compétitivité, ce dont on ne peut que se réjouir mais qui appellerait néanmoins une évaluation globale de la cohérence de ces diverses mesures - le cas échéant pour aller au-delà si cela s'avérait nécessaire. Ainsi, si l'on additionne les taux réduits du présent programme, les taux réduits de CSPE et la « compensation carbone » relevant de la mission « Économie », la rémunération de l'interruptibilité ou la réduction de TURPE créés par la loi « Transition énergétique », on parvient à un total de près d'1,5 milliard de soutien à ces industries, sous la forme soit de moindres rentrées fiscales, soit de dépenses budgétaires, soit de coûts financés par les autres consommateurs ou utilisateurs de réseaux.
S'agissant du CITE, une évaluation de son efficacité s'avère, au vu du quasi-doublement de son coût, encore plus indispensable, d'autant que certains chiffres posent question : en effet, si la hausse de la dépense s'explique logiquement, d'une part, par la réforme intervenue en 2015 qui en a relevé les taux et élargi les conditions d'éligibilité et, d'autre part, par l'augmentation du nombre des travaux déclarés (+ 29 % en 2015), en revanche, le nombre de bénéficiaires lui continue à diminuer, à 660 000 ménages en 2015 contre 720 000 en 2014 et 850 000 en 2013 sans que l'on sache aujourd'hui, faute d'évaluation, à quoi serait due cette concentration de la dépense fiscale. L'an dernier, nous appelions déjà le Gouvernement à évaluer le dispositif ; en mai dernier, la Cour des comptes regrettait, je cite, que « l'efficacité économique de cette dépense n'ait pas fait l'objet d'une évaluation avant sa prorogation, en vue de s'assurer qu'elle ne soit pas qu'un soutien au secteur du bâtiment et qu'elle contribue réellement efficacement à la transition énergétique », ce dont une étude de l'UFC-Que Choisir pouvait laisser douter. Finalement, nos collègues députés ont voté cette année une demande d'évaluation d'ici au 1er septembre 2017, amendement dont j'approuve le principe sinon la rédaction, sans doute un peu trop large.
Pour conclure, je dirai quelques mots du CAS « électrification rurale » dont les crédits sont, cette année encore, reconduits à l'identique, à 377 millions d'euros. Cette stabilité de l'enveloppe globale masque cependant quelques mouvements de crédits entre sous-enveloppes, au bénéfice des travaux de sécurisation des fils nus et au détriment du renforcement, de l'extension et de l'enfouissement. Notre collègue Jacques Genest, rapporteur spécial du CAS, propose donc de revenir partiellement sur ces mouvements en rappelant non seulement que l'enfouissement n'a pas qu'une finalité esthétique et contribue aussi à sécuriser le réseau, mais aussi que les travaux d'extension accompagnent le développement des territoires ruraux.
Bien qu'il comporte certains points positifs, à commencer par la possibilité enfin donnée au Parlement de voter les charges de CSPE, mais avec les réserves rappelées en introduction, ce projet de budget est marqué par au moins deux défauts majeurs : d'une part, une absence de compensation de la hausse de la taxe carbone tout simplement contraire à la loi et qui occasionnera encore des prélèvements supplémentaires sur les consommateurs d'énergie ; d'autre part, des instruments de financement de la transition énergétique qui restent opaques et, surtout, bien en-deçà des besoins, ou même des annonces initiales du Gouvernement.
Enfin, ce budget s'inscrit dans le « manque de vision stratégique » qu'a justement souligné notre collègue Jean-François Husson, rapporteur spécial de la mission « Écologie » et dont on peut citer deux exemples parmi tant d'autres : en premier lieu, l'annonce présidentielle, en janvier, d'un prix plancher du carbone pour la production électrique nationale, limité ensuite aux seules centrales charbon avant d'être finalement abandonné, alors que les difficultés posées par une telle fixation unilatérale étaient identifiées dès l'origine ; en second lieu, l'inconséquence de la programmation pluriannuelle de l'énergie, censée décliner opérationnellement les objectifs de la loi « Transition énergétique » mais qui ne dit rien sur la façon dont on réduirait la part du nucléaire à 50 % de la production électrique en moins de dix ans désormais, ce que nous comprenons fort bien pour avoir dénoncé le caractère irréaliste de cet objectif mais qui n'est, du point de vue du Gouvernement, guère cohérent. Peut-être la ministre, que nous entendrons le 23 novembre prochain, pourra-t-elle nous en dire plus...
En attendant, je vous propose, comme c'est l'usage en pareil cas, de réserver notre avis - dont vous aurez cependant, je n'en doute pas, compris la tonalité générale - pour nous prononcer après l'audition de la ministre.