Intervention de Michel Le Scouarnec

Commission des affaires économiques — Réunion du 9 novembre 2016 à 9h30
Loi de finances pour 2017 — Mission « écologie développement et mobilité durables » - crédits « pêche et aquaculture » - examen du rapport pour avis

Photo de Michel Le ScouarnecMichel Le Scouarnec, rapporteur pour avis :

L'année dernière, à la même époque, à l'occasion de l'examen des crédits consacrés à la pêche et l'aquaculture figurant au projet de loi de finances pour 2016, je vous avais indiqué que la conjoncture s'était bien améliorée pour la pêche française. Cette tendance se poursuit encore cette année, avec des prix du gasoil qui restent bas - autour de 40 centimes le litre durant les 6 derniers mois - ; une consommation de poissons et crustacés qui se maintient - à hauteur de 35 kg par personne et par an en France, contre 23 kg en moyenne en Europe - ; des prix en criée qui sont en légère hausse et un taux d'invendus faible et qui baisse de 2 % cette année.

Un signe ne trompe pas : les professionnels recommencent à investir dans de nouveaux navires : le nombre de permis de mise en exploitation de navires neufs en métropole était d'à peine 14 en 2009, il a été de 57 en 2015 et il est de 55 sur les 9 premiers mois de l'année 2016 ; la plupart des « gros armateurs » se sont engagés dans le renouvellement complet de leur flotte hauturière : France pélagique, Compagnie des pêches de Saint-Malo, Euronor ....

Cette embellie, qui dure depuis deux à trois ans, ne doit pas nous faire oublier que la crise a été particulièrement rude : la France a perdu 800 navires de pêche en 10 ans, et sa flotte en métropole est descendue en dessous des 4 500 navires, dont moins de 1 000 de plus de 12 mètres. Les petits ports de pêche se retrouvent aujourd'hui avec un nombre faible de navires pour faire vivre les criées et les activités à terre. Il ne faut pas oublier que pour un emploi en mer, la pêche génère 3 à 4 emplois à terre.

Il est donc indispensable de profiter de l'embellie de la conjoncture pour donner plus de force à la pêche française. Publiée en juin dernier après un an de débats, la loi Économie bleue contient quelques dispositions visant à encourager la pêche et l'aquaculture : assouplissement du statut de la société de pêche artisanale, création d'un statut spécifique des marins-pêcheurs, distinct de celui des marins en pêche de commerce, assouplissements des exigences en matière de casier judiciaire pour les patrons pêcheurs, création d'un statut pour les fonds de mutualisation en matière de pêche.

L'instrument de soutien européen, le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) doit aussi être mobilisé en faveur du secteur, même si la politique commune de la pêche (PCP) ne permet malheureusement plus de subventionner l'acquisition de navires. Il faudrait que cette possibilité revienne.

L'année dernière, je soulignais qu'il était indispensable d'accélérer la mise en oeuvre effective du FEAMP 2014-2020, doté pour la France de 588 millions d'euros. Le processus est lent : le règlement européen a été adopté le 20 mai 2014, et le programme opérationnel pour la France a été validé par la Commission européenne le 3 décembre 2015.

La gestion de ce fonds est largement décentralisée : près de la moitié des crédits du FEAMP sont en réalité gérés par les régions. Pour l'instant, seulement 25 millions d'euros ont été mobilisés sur le nouvel instrument financier européen. Nous vivons encore avec les crédits non consommés du Fonds européen pour la pêche (FEP) 2007-2013. Lors des auditions que j'ai effectuées, la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA) m'a indiqué que la dynamique était lancée et que l'année 2017 allait voir une montée en puissance effective du FEAMP. C'est indispensable.

L'année dernière, j'avais évoqué les difficultés structurelles auxquelles se heurtait la pêche française. Celles-ci sont encore d'actualité. Tout d'abord, la pêche doit en permanence s'adapter aux exigences environnementales. La première exigence consiste à respecter des quotas fixés pour ne pas épuiser les ressources halieutiques. De ce point de vue, la situation s'améliore plutôt en mer du Nord, dans la Manche et en mer celtique et plus généralement dans l'Atlantique-Nord. Les bilans publiés chaque année par la Commission européenne montrent plutôt une reconstitution des stocks. Mais il existe des inquiétudes sur certaines espèces comme la sole ou encore le bar, qui pourrait faire l'objet de mesures de restriction voire d'interdiction de pêche. En Méditerranée, la disponibilité du poisson est également très préoccupante, ce qui risque d'amener à la mise sous quotas de la pêche à l'espadon. Les mesures de baisse de quota ou d'interdiction de pêche peuvent avoir des conséquences dramatiques pour certains ports très spécialisés. Le renforcement des exigences environnementales avec la dernière réforme de la PCP constitue aussi un vrai défi : ainsi, l'interdiction des rejets en mer se met en place progressivement et devrait être totalement effective en 2018. Concernant la pêche en eaux profondes, une interdiction des captures au-delà de 800 mètres de profondeur devrait être respectée par les acteurs de la pêche hauturière.

Une autre difficulté pour la pêche maritime tient à un certain désintérêt pour cette activité malgré la bonne conjoncture. Une quinzaine de lycées maritimes forment des jeunes à la pêche, et un BTS pêche vient d'être lancé par le Gouvernement mais les recrutements et la fidélisation de marins-pêcheurs sont difficiles. Les investisseurs français ne se pressent pas non plus dans le secteur de la pêche maritime : la quasi-totalité des grands armements est passé sous le contrôle d'investisseurs étrangers, en particulier hollandais et espagnols. Outre-mer, on constate le même type de phénomène : ainsi, les navires thoniers battant pavillon français pêchent dans les eaux françaises autour de la Réunion mais débarquent les prises aux Seychelles. Nos poissons sont ensuite réimportés sur notre territoire.

Le coût des investissements nécessaires pour moderniser les équipements ou pour s'installer comme patron-pêcheur reste également élevé : plusieurs millions d'euros pour un navire neuf de 20 mètres. Les jeunes pêcheurs débutent plutôt avec des navires d'occasion, qu'ils doivent acheter cher car, dans le prix du bateau, il y a une valorisation implicite des droits de pêche qui y sont attachés.

Il existe une inquiétude supplémentaire pour la pêche maritime cette année : la perspective du « Brexit » fait courir de nouveaux risques pour la pêche française. Les pêcheurs des Hauts-de-France passent 75 % de leur temps dans les eaux britanniques et ceux de Normandie et de Bretagne 50 %. D'après les informations qui m'ont été fournies, les captures françaises dans la zone économique exclusive du Royaume-Uni représentent 22 % en valeur et 16 % en volume de l'ensemble de la pêche française. À Boulogne-sur-Mer, 44 % des débarquements concernent du poisson venant des eaux britanniques, qui y est transformé et conditionné. Or, avec le Brexit, les anglais pourraient remettre en cause le libre accès par les navires de l'Union européenne, et donc français, à leur zone économique exclusive. Si nous n'avons plus accès aux eaux britanniques, beaucoup de navires de notre façade Nord-Ouest resteront à quai.

Un autre risque porte sur les quotas de pêche. Les négociations ont lieu aujourd'hui chaque année au sein de l'Union européenne, en respectant le principe de stabilité relative, c'est-à-dire en répartissant les quotas entre pays avec les mêmes clefs de répartition. Le Royaume-Uni pourrait considérer que la clef de répartition historique est injuste ou ne reflète pas la répartition géographique des stocks, qui bien que situés dans la zone exclusive britannique, sont attribués majoritairement aux autres États membres, comme par exemple le lieu noir. Le Brexit ouvre donc la voie à une renégociation dure des quotas entre Union européenne et Grande-Bretagne, qui ne peut être qu'au détriment de l'Union européenne.

Enfin, une clef de répartition moins favorable à l'Union européenne pourrait conduire les autres États membres comme l'Espagne, l'Irlande ou les Pays-Bas, à demander une révision complète de la stabilité relative, avec pour conséquence une baisse, au sein de l'Union européenne, de la part revenant à la France.

Il convient donc d'exercer dès maintenant une grande vigilance sur les conséquences du Brexit sur la pêche. Cette vigilance m'avait été demandée par les pêcheurs de Lorient dans les jours qui ont suivi le vote britannique. Nous disposons de moyens de négociation : la Grande-Bretagne a besoin d'accéder au marché européen pour écouler sa production. La France est d'ailleurs, la première destination des produits aquatiques anglais et représente 507 millions d'euros, soit 28 % de la valeur des exportations britanniques dans l'Union européenne - coquilles Saint-Jacques, cabillaud, langoustine. L'accès des anglais à notre marché ne saurait être accepté si, dans le même temps, les anglais empêchaient nos pêcheurs d'accéder à leurs eaux dans des conditions proches de celles d'aujourd'hui.

Il convient de s'intéresser à l'aquaculture, qui est dans une situation délicate : en ostréiculture, la production a baissé de 113 000 tonnes en 2007 à 80 000 tonnes ces dernières années. Certes, les prix ont augmenté de l'ordre de 20 % mais cela ne compense pas le manque à gagner. La France reste au premier rang européen pour la production d'huîtres mais doit faire face depuis 2008 à un problème récurrent de surmortalité dont la cause est connue - virus OsHV-1 - mais les mécanismes mal identifiés. En outre, des fermetures de zones viennent parfois perturber la production d'huîtres à la suite de contrôles de qualité des eaux mettant en évidence la présence d'agents pathogènes : c'est arrivé par exemple sur l'étang de Thau à la mi-septembre. Ce phénomène a aussi été constaté dans le Morbihan.

En mytiliculture, la France, qui est au 2ème rang mondial, et dispose d'une production très qualitative avec les moules de bouchot, qui bénéficient d'une reconnaissance au titre des spécialités traditionnelles garanties (STG), les producteurs sont aussi confrontés à un problème très préoccupant de surmortalité depuis 2014, qui peut atteindre 70 %. Un plan de soutien de 4 millions d'euros a d'ailleurs été annoncé par le Gouvernement en mai dernier.

Enfin, la pisciculture marine reste confidentielle et ne se développe absolument pas : la France produit de l'ordre de 5 000 tonnes de poissons par an dans ses élevages marins, contre 12 000 tonnes en Italie, 44 000 tonnes en Espagne et 95 000 tonnes en Grèce. On ne compte que 27 entreprises et aucun projet nouveau depuis dix ans.

Les crédits inscrits au sein du programme 205 en faveur de la pêche et de l'aquaculture s'inscrivent dans la continuité des précédents projets de loi de finances. Avec 45,6 millions d'euros, ce budget baisse de 2,64 % par rapport à l'année dernière. Sur cinq ans, l'érosion des crédits est de 14 %.

La répartition interne des crédits entre les différentes priorités est inchangée :

- 6,45 millions d'euros, contre 6,8 millions d'euros dans le budget précédent, sont consacrés au suivi scientifique et statistique et à la collecte de données, dont 3 millions pour le programme d'observation à la mer. Le reste des crédits finance les conventions avec l'Ifremer, l'Institut de recherche et de développement ou encore le Muséum national d'histoire naturelle.

- 5,9 millions d'euro, contre 6,2 millions d'euros dans le budget précédent sont consacrés au contrôle des pêches, notamment les moyens informatiques.

- 3,5 millions d'euros environ, comme dans le précédent budget, financent l'assistance technique ou encore les frais de participation aux instances internationales.

- 6,4 millions d'euros, contre 6,5 millions d'euros dans le précédent budget couvrent la participation de l'État aux caisses chômage intempéries, indemnisant les marins-pêcheurs en cas de mauvais temps.

Les crédits d'intervention économique représentent plus de la moitié de l'enveloppe budgétaire : 23,4 millions d'euros, en baisse de 400 000 euros par rapport au précédent budget. Il s'agit essentiellement des contreparties nationales aux dépenses engagées dans le cadre du FEAMP. Une petite part est consacrée à des programmes purement nationaux : repeuplement des civelles dans le cadre du plan anguilles, plan chlordécone III en Martinique et Guadeloupe,

D'autres crédits provenant du budget de l'État, non retracés dans cette enveloppe de 45,6 millions d'euros, concourent aussi à la politique de la pêche : ainsi, les contrôles des pêches reposent sur les moyens de la gendarmerie maritime, des affaires maritimes, des douanes, ou encore de la DGCCRF, figurant dans d'autres budgets.

Enfin, il faut noter que le soutien à la pêche maritime dépend aussi d'un acteur interprofessionnel qui est devenu indispensable dans le paysage de la pêche : France filière pêche. Grâce à une dotation de 31 millions d'euros, France filière pêche a pu déployer une politique d'encouragement de la consommation de poisson français à travers le pavillon France. Un tiers du budget a été dépensé en publicité et actions d'animation pour faire connaître le label. Le reste de l'enveloppe a servi à financer des actions de recherche scientifique (par exemple le programme sursole sur la survie de la sole en cas de prise accessoire) ou encore l'investissement dans les navires : 2 400 bateaux ont pu bénéficier de ces aides, ce qui est massif.

La première convention de France filière pêche arrive à expiration. J'ai reçu en audition le président de France filière pêche, qui m'a indiqué que la grande distribution allait s'engager à reconduire son soutien pour la période 2017-2020, à hauteur de 18,6 millions d'euros par an pendant deux ans et 15,5 millions par an les deux années suivantes, montants moindres qu'auparavant mais qui devraient permettre de continuer à agir. La notoriété du pavillon France étant établie, l'essentiel des financements concerneront la modernisation des navires et la recherche appliquée.

Je terminerai mon propos en rappelant que les pouvoirs publics doivent garder un oeil vigilant sur la pêche et l'aquaculture. La situation s'est améliorée pour les pêcheurs mais cette embellie conjoncturelle doit être consolidée. Une étude de FranceAgrimer de juin 2016 montre que notre pêche, plutôt vertueuse sur le plan environnemental et social, a cependant des problèmes de compétitivité par rapport à nos voisins anglais ou espagnols. Il faut donc s'orienter plutôt vers une politique de compétitivité hors-prix, par exemple en améliorant l'information à l'avance sur les débarquements, ou encore en modernisant la première transformation : filetage, conditionnement ...

La pêche peut avoir des effets d'entraînement bénéfiques pour des secteurs voisins. Ainsi la déconstruction des navires pourrait être développée, à côté de l'activité de construction. Aujourd'hui, cette activité est tout à fait marginale. Or, nous disposons d'un savoir-faire et de sites propices (Marseille, Bordeaux, Lorient, Concarneau). Il y a aussi un véritable marché de la déconstruction, lorsqu'on étend l'analyse aux bateaux de plaisance : 4 000 navires seraient concernés. Encore faudrait-il que des acteurs économiques s'y intéressent un peu plus.

Pour conclure, je propose à la commission de réserver son avis sur les crédits relatifs à la pêche figurant au sein de la mission « Écologie, développement et aménagements durables », dans l'attente de l'audition de la ministre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion