À n'en pas douter, le budget de l'enseignement supérieur proposé pour 2017 augmente, et dans des proportions tout à fait remarquables cette année ! Les ministres successifs nous avaient habitués à nous réjouir d'une « sanctuarisation des crédits » mais cette année, je ne comprends pas très bien pourquoi, c'est Noël un peu avant l'heure.
Les trois programmes de la mission consacrés à l'enseignement supérieur représentent quelque 16,3 milliards d'euros pour 2017, en augmentation de 3,7 % par rapport à 2016. Les crédits supplémentaires prévus pour 2017 sont principalement dédiés au financement de trois décisions gouvernementales fortes. Tout d'abord, le dégel du point d'indice de la fonction publique (117 millions d'euros) ; cela a un impact extrêmement fort sur ce budget car l'enseignement supérieur est, si vous m'autorisez l'expression, une « industrie de main d'oeuvre ». Ensuite, la poursuite du plan de création d'emplois dans l'enseignement supérieur engagé depuis 2012 : 2017 est la dernière année du plan quinquennal qui avait prévu la création de 1 000 emplois chaque année. Enfin, la dotation supplémentaire de 100 millions d'euros annoncée pour aider les établissements à faire face à l'augmentation des effectifs étudiants depuis trois ans.
Mais soyez rassurés, tout n'augmente pas ! Les frais d'inscription n'augmentent pas ; pas même à proportion de l'inflation comme c'était le cas jusqu'à l'an dernier. Les frais de restauration universitaire n'augmentent pas non plus, pas plus que le taux de cotisation d'assurance maladie. Je l'ai dit sans ambages la semaine dernière au ministre : il s'agit là, à mon sens, de petits « cadeaux électoraux » destinés à se faire bien voir d'une génération de jeunes électeurs à l'approche d'une échéance électorale majeure pour notre pays. « Petits cadeaux » qui s'ajoutent au « gros cadeau » fait aux fonctionnaires par le dégel du point d'indice en dernière année de mandature ...
Les établissements d'enseignement supérieur public ne sont pas particulièrement maltraités dans ce budget. Mais le Gouvernement a semblé manquer de cap ces dernières années. Souvenez-vous : 100 millions d'euros avaient été prélevés sur les fonds de roulement des établissements en 2015 - de quoi s'interroger sur l'autonomie des universités ! - ; 100 millions d'euros avaient été ajoutés à la dernière minute, par amendement, dans le PLF 2016 pour éviter d'avoir à prélever à nouveau sur le fonds de roulement ; et maintenant, 100 millions d'euros sont prévus au PLF 2017, soi-disant au titre de la « démographie », mais, à y regarder plus précisément, c'est plutôt de la part du ministère une sorte de « solde de tout compte » destiné à calmer la grogne des établissements. Ces 100 millions d'euros doivent permettre de faire face aux effectifs étudiants supplémentaires mais ils seront également utilisés pour créer effectivement les postes annoncés par le Gouvernement depuis 2012, dont beaucoup avaient été gelés, pour éponger une partie des charges non remboursées par le Gouvernement (GVT, suppression du jour de carence), pour financer le manque à gagner lié au gel des droits d'inscription...
Un seul cap semble avoir été maintenu et je le regrette : le refus de l'augmentation, même minime, des frais d'inscription à l'université. Je suis un fervent partisan d'une hausse modérée de ces frais afin de donner des moyens financiers supplémentaires aux universités (une hausse de 100 euros appliquée à nos 1,5 million d'étudiants inscrits à l'université représente presque 100 millions d'euros supplémentaires chaque année, cela n'est pas négligeable) ; afin de donner aussi, tout simplement, de la valeur aux études ...
Permettez-moi de rappeler l'ampleur des enjeux financiers : si l'objectif, comme l'annonce le ministre et comme cela est inscrit dans la stratégie nationale de l'enseignement supérieur (StraNES), est de consacrer, en 2025, 2 % de notre PIB chaque année à l'Enseignement supérieur (alors que nous ne sommes pas encore à 1,5 % et que les États-Unis et le Canada sont au-delà de 2,5 %), c'est une marche de 40 milliards d'euros que nous devons franchir. Sur les dix prochaines années, cela suppose de consacrer chaque année 2,5 milliards d'euros supplémentaires à cet objectif... L'augmentation des droits d'inscription n'est peut-être pas la panacée mais il nous faut absolument trouver de nouvelles sources de financement de l'enseignement supérieur.
D'autres crédits n'augmentent pas, ou si peu : c'est le cas notamment des crédits à l'enseignement supérieur privé. Longtemps il a été difficile de se repérer dans un paysage de l'enseignement supérieur privé très foisonnant, où se côtoyait le meilleur, et parfois le pire... Mais depuis la loi pour l'enseignement supérieur et la recherche (ESR) de 2013, les établissements d'enseignement supérieur privé bénéficient d'un label qui leur assure une reconnaissance par l'État, celui d'établissement d'enseignement supérieur privé d'intérêt général (EESPIG). Ce sont des écoles, des instituts, portés par des associations, dans un but non lucratif et qui complètent notre offre d'enseignement supérieur. Ils accueillent aujourd'hui 3,5 % de nos étudiants et ont largement permis à notre système d'enseignement supérieur d'absorber les récentes augmentations d'effectifs étudiants. Malheureusement, ils sont loin de bénéficier d'un soutien de l'État à la hauteur de leur participation à la mission de service public de l'enseignement supérieur : les crédits accordés ont baissé de 17 % en valeur absolue depuis 2012 et même de 35 % si on les rapporte au nombre d'étudiants accueillis. Le ministre nous annonce, royalement, que sur les 100 millions d'euros attribués au titre de l'augmentation des effectifs, les EESPIG bénéficieront d'un petit million d'euros, soit 1 % de la dotation, alors qu'ils ont accueilli 7 % des effectifs étudiants supplémentaires des trois dernières rentrées. Le meilleur indicateur de cette différence de traitement est la dotation de l'État par étudiant : de l'ordre de 10 000 euros à l'université, elle est passée, depuis 2012, sous la barre de 1 000 euros dans l'enseignement privé, où elle atteint à peine 753 euros cette année...
En refusant de soutenir ces établissements, en vertu d'une idéologie « anti-privé » à très courte vue, nous les fragilisons et c'est tout le paysage de notre enseignement supérieur dont nous abîmons la diversité. Je refuse le modèle unique de l'université : la diversité des parcours et des établissements est un gage de réussite pour tous car chacun doit pouvoir trouver un parcours adapté à son profil et à son projet.
J'en viens à l'aide à la recherche du premier emploi, l'Arpe, un sujet que certains trouveront peut-être un peu anecdotique mais qui en dit long sur la conception que se fait la majorité gouvernementale du rôle de l'enseignement supérieur. Créée il y a quelques mois dans le cadre de la loi El Khomri, cette nouvelle allocation s'adresse aux jeunes diplômés du supérieur qui étaient boursiers et qui pourront continuer à profiter d'une allocation pendant les quatre mois suivant l'obtention de leur diplôme pour rechercher un emploi : 76 000 étudiants pourraient être concernés en 2017 pour un budget prévisionnel de 92 millions d'euros.
Pourquoi m'offusquer d'une telle mesure, qui part pourtant d'un si bon sentiment ? Parce que cela habitue nos jeunes à vivre d'allocations et les incite à repousser dangereusement l'échéance de la recherche d'emploi. C'est aussi renoncer à faire porter la charge et le temps de l'insertion professionnelle sur la dernière année d'université alors que c'est pourtant lorsque les étudiants sont encadrés et conseillés que leurs actions d'insertion professionnelle seront les plus efficaces. J'aurais préféré que ces crédits soient attribués aux établissements pour qu'ils aident concrètement à l'insertion professionnelle de leurs futurs diplômés.
Vous l'aurez compris, ce budget me laisse sur ma faim : petits cadeaux pré-électoraux ; insuffisante réflexion sur un nouveau modèle économique pour l'enseignement supérieur français ; maltraitance avérée de l'enseignement supérieur privé à but non lucratif ; erreur historique avec la création de l'Arpe.
Je n'ai pas répondu à l'étrange question que j'avais posée à titre liminaire : « Un budget qui augmente est-il un bon budget ? » Permettez au mauvais élève que je suis de demander à pouvoir changer de sujet et de répondre à une toute autre question pour vous donner son avis sur le budget de l'enseignement supérieur pour 2017. Cette nouvelle question est celle que nous posait le candidat François Hollande il y a presque cinq ans, au Bourget : « Est-ce que les jeunes vivront mieux en 2017 qu'en 2012 ? ». De mémoire, il souhaitait n'être évalué que sur cette seule promesse faite à la jeunesse. Alors, chiche !
Pour répondre, je ne prendrai qu'un critère, celui de la réussite de nos étudiants en 1er cycle. Un sujet qui concerne près d'un million de jeunes inscrits chaque année en licence. En 2011, 27,6 % de nos étudiants obtenaient leur licence en trois ans ; en 2017, ils devraient être 27,5 % et l'objectif du Gouvernement est de porter ce taux à 30 %. Quel terrible aveu d'impuissance collective ! Autrement dit, nous acceptons collectivement que deux étudiants sur trois soient en échec.
Alors, oui, la politique du Gouvernement en matière d'enseignement supérieur a été intéressante à bien des égards et je l'ai saluée lorsque l'occasion s'en présentait : lors du vote de la loi pour l'enseignement supérieur et la recherche, de l'installation et développement des CoMUE, les communautés d'universités et établissements, lorsqu'on a vu se réduire le nombre des universités en déficit, lorsque les crédits budgétaires ont été sanctuarisés, puis augmentés, et même très récemment avec l'instauration du principe de sélection en master, cher à notre collègue Jean-Léonce Dupont. Oui, le chantier est immense et très difficile.
Mais, reconnaissons-le, la jeunesse étudiante française n'a pas bénéficié de ce quinquennat. Le Gouvernement n'a pas su engager les réformes en profondeur nécessaires à la réussite de nos jeunes.
Vous l'aurez compris, sur ce seul critère fondamental, qui dépasse peut-être le cadre de l'annualité budgétaire mais qui nous permet d'évaluer globalement la politique menée sur les cinq dernières années, je vous proposerai d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Recherche et Enseignement supérieur ».