Intervention de Pierre Bernard-Reymond

Réunion du 29 janvier 2008 à 22h00
Titre xv de la constitution — Suite de la discussion et adoption conforme d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de Pierre Bernard-ReymondPierre Bernard-Reymond :

Certes, le titre de ministre des affaires étrangères aurait mieux correspondu au niveau et au profil souhaité, mais c'est précisément celui à qui je pense pour ce poste qui n'en a pas voulu...

Au-delà de ces questions institutionnelles et de ces désignations qui devront être marquées par le souci de choisir les meilleurs au lieu de résulter d'un processus de négociations et de marchandages - on peut toujours rêver ! -, nous ne pouvons que nous féliciter des autres avancées que marque le traité, en particulier l'amélioration de la capacité de décision, le rôle accru des parlements nationaux et européens, le contrôle de la subsidiarité, qui font du traité de Lisbonne un texte équilibré et porteur de progrès pour la construction démocratique de l'Union.

De ce point de vue aussi, le traité de Lisbonne aura vraiment libéré l'avenir européen.

Une fois l'horizon éclairci, les ratifications acquises et les responsables désignés, l'Europe pourra repartir du bon pied, douze ans, tout de même, après la conférence de Turin, qui marqua le début du processus de réforme.

Ce sera un moment privilégié pour réaffirmer le sens profond de la construction européenne, sa vocation et son ambition.

L'Europe est d'abord un projet de civilisation. Je ne me sens autorisé à utiliser cette formule que parce que je l'ai écrite dans un article en 1996. En effet, l'objet de la construction européenne ne s'arrête pas à la création d'un marché unique, lui-même simple partie de plus en plus indifférenciée de l'espace économique mondial.

Nous croyons à la force des valeurs dans une société qui place l'homme au centre de toute chose. La recherche de la paix, le respect des droits de l'homme, la défense des libertés, la démocratie pluraliste, le développement de nos entités culturelles, mais aussi la solidarité, les notions de service public, de coopération et de mutualisme contribuent à faire de nos sociétés des communautés singulières, que nous voulons préserver et développer en les modernisant.

Mais pour être une civilisation, l'Europe doit être aussi une puissance.

Nous n'imaginons pas qu'à l'heure de la mondialisation l'Europe puisse se réfugier dans une attitude de neutralité ou se contenter de jouer le rôle d'une puissance régionale, car nous devons défendre nos valeurs et nos intérêts et assurer leur promotion dans le monde.

Nous ne pensons pas qu'il soit bon que la société internationale soit livrée aux seules forces du marché et de la mondialisation. L'Europe ne doit pas être le cheval de Troie de cette mondialisation, mais elle ne peut pas être non plus un simple rempart contre elle.

D'une façon plus réaliste, en matière monétaire, sociale et environnementale - il s'agit là des trois domaines essentiels du dumping mondial - nous devons nous rapprocher des pays émergents pour « civiliser » avec eux les forces qui déterminent la société internationale et dont l'accélération, certainement trop brutale, crée des drames aussi bien chez eux que chez nous.

Pour toutes ces raisons, nous ne nous contenterons pas d'organiser un espace : nous voulons bâtir une puissance.

À cet égard, le renforcement de notre puissance économique par la relance de la stratégie de Lisbonne, l'élaboration d'une diplomatie commune, par exemple, en créant, dans le cadre de la Commission et sous l'autorité du Haut représentant, un centre d'analyse et de propositions pour la politique étrangère, ainsi que, par ailleurs, la construction d'une réelle politique de défense et la promotion, dans le cadre de l'ONU, d'une enceinte de négociations pour toutes les questions de développement durable, apparaissent aujourd'hui essentielles.

Pour organiser cette puissance, l'Europe doit devenir une fédération.

Il s'agit non pas de forger une « fédération-Léviathan » qui ferait de l'Europe un État-nation, mais, au contraire, d'organiser une fédération décentralisée, fondée sur la subsidiarité et le respect de nos identités. Toutefois, cette fédération doit être dotée d'une structure de pouvoir qui lui permette d'agir et de réagir avec l'efficacité nécessaire.

Un État unitaire européen ne correspond pas aux aspirations du rassemblement de vieilles nations que nous représentons. Au contraire, nous sommes persuadés que nos diversités géographiques, historiques et culturelles constituent un formidable atout dans la compétition mondiale qui fait rage ; aussi pensons-nous que cette fédération doit prendre la forme d'une communauté de nations.

Jusqu'ici, les relations entre les peuples se sont développées selon deux modes essentiels, l'impérialisme et le nationalisme, qui ne sont pas satisfaisants au regard de nos propres valeurs. Ce que nous visons, avec la construction de l'Europe, n'est rien moins que l'invention d'un nouveau mode de relations entre les peuples : une Communauté fondée sur la libre adhésion, la démocratie et le respect des identités culturelles de chacun.

Ainsi notre ambition pour l'Europe pourrait-elle être précisée : un projet de civilisation servi par une puissance organisée sur le mode du fédéralisme décentralisé et qui constitue une communauté de nations.

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