Madame la ministre, « nous avons sauvé la Sécu », avez-vous annoncé à l’occasion de différentes interviews. Voilà une affirmation qui tombe bien à propos à la fin d’un quinquennat laissant si peu de résultats satisfaisants, dans bien des domaines.
Cette affirmation en fait pourtant rêver plus d’un ! Elle fait d’abord rêver les Françaises et les Français, qui sont inquiets de laisser la facture à leurs enfants. Elle fait aussi rêver les responsables politiques que nous sommes, attachés à notre système de protection sociale et à sa préservation. La réalité est tout autre, comme le montrent trois éléments : tout d’abord, un affichage des comptes en trompe-l’œil, ensuite, un climat social dégradé, enfin, l’absence de solution pour les déserts médicaux.
Le résultat affiché est trompeur, notamment sur la branche maladie, parce qu’il est construit sur un savant système de plomberie comptable.
Les mesures ponctuelles, exposées par le rapporteur général de notre commission des affaires sociales, permettent de tenir artificiellement l’ONDAM année après année. Des mesures structurelles seraient nécessaires. Le groupe UDI-UC ne cesse de le répéter, mais il n’est pas le seul. La Cour des comptes en fait de même dans ses rapports.
Si, malgré tout, la tendance est à la réduction des déficits, personne ici ne peut le nier, la branche maladie présente un différentiel négatif de 2, 6 milliards d’euros. Si l’on y ajoute les 3, 8 milliards d’euros du FSV, l’équilibre est loin d’être atteint. Cette réduction est d’autant plus artificielle que des arrangements comptables permettent de dégonfler l’ONDAM de près d’un milliard d’euros. En effet, une partie des économies annoncée est, en réalité, issue de la mobilisation d’autres sources de financement non décomptées dans l’ONDAM.
C’est le cas, par exemple, de la création du fonds de financement de l’innovation thérapeutique, doté de 220 millions d’euros pour 2017 par un transfert provenant du FSV, soit 876 millions d’euros au total, j’y reviendrai.
Je peux également citer la mobilisation des réserves de la CNSA, soit 230 millions d’euros de moins, ou encore la réduction des dépenses comptabilisées dans l’ONDAM et la CNAM, soit 270 millions d’euros, par une modification du taux de cotisations maladies des personnels de santé exerçant en ville. Si cette mesure n’est pas une vraie économie, elle permet de réduire le taux facial d’évolution de l’ONDAM soins de ville de 0, 3 point.
Autre manœuvre : le jeu d’écriture de près de 700 millions d’euros sur la CSG, permettant de soustraire cette somme du résultat de l’exercice 2016.
Compte tenu des nouvelles dépenses prévues par le Gouvernement – la nouvelle convention médicale et la revalorisation du point d’indice de la fonction publique –, l’ONDAM sera relevé inévitablement à 2, 1 %, contre 1, 75 % en 2016.
Cette hausse est sciemment sous-estimée, selon la Cour des comptes et le directeur général de la CNAM. Une augmentation de l’ONDAM de 2, 5 % serait bien plus crédible.
S’agissant du climat social dégradé, en dehors des données financières, j’observe le malaise et les tensions qui se multiplient dans le monde sanitaire et social, le déclin de l’industrie pharmaceutique, pourtant l’un des fleurons de notre pays, les difficultés des hôpitaux et de leurs personnels, ou encore les inégalités croissantes entre les assurés sociaux.
Le secteur du médicament, qui ne représente que 15 % des dépenses d’assurance maladie, concentre la moitié des économies visées, soit 1, 4 milliard d’euros. Il y a une mise en danger du secteur en termes d’innovation, d’investissement et d’emploi.
Faute de ressources suffisantes, le Comité économique des produits de santé, le CEPS, ne tient plus, depuis longtemps, le délai de 180 jours pour inscrire les dispositifs médicaux sur la liste des produits et prestations remboursables par l’assurance maladie. Cela ne manque pas d’inquiéter.
Face à une concurrence internationale exacerbée, les contraintes administratives et juridiques en France sont un repoussoir pour l’industrie pharmaceutique. À la suite du rapport de mes collègues, Gilbert Barbier et Yves Daudigny, des mesures pourraient être prises afin de favoriser le développement des industries pharmaceutiques sur le sol français, donc de l’innovation.
L’hôpital, je l’ai dit, connaît des tensions. Les dernières manifestations des infirmières, la semaine dernière, montrent le manque de reconnaissance vis-à-vis d’un personnel dont les cadences ne permettent plus la délivrance de soins avec humanité. Les professionnels de santé perdent le sens de leur métier et de leur vocation.
Par ailleurs, comment ne pas s’interroger sur la complexité croissante des modalités de prise en charge de l’assurance maladie et des niveaux individuels de prise en charge, qui s’inscrivent en baisse ? Nous devons nous engager à limiter le reste à charge des ménages, car c’est la cause d’inégalités croissantes, en renforçant l’idée de contrat responsable par assuré, et à donner plus d’efficience au suivi des malades en affection de longue durée, ou ALD.
Le dernier point concerne les déserts médicaux. La désertification médicale ne concerne pas seulement les secteurs ruraux, mais aussi certains quartiers de grandes villes. Ce sujet a fait l’objet de nombreux diagnostics, rapports et analyses. En conséquence, chacun y va de ses mesures, et je salue celles qui ont été engagées par le Gouvernement – il n’a pas manqué de mettre en place des sollicitations financières et d’augmenter le numerus clausus –, mais aussi celles qui ont été mises en œuvre par les collectivités locales, communes, départements ou régions, qui financent des maisons de santé et aident les étudiants en médecine ou les médecins stagiaires.
Toutefois, cela ne suffit pas, car rien n’est possible sans l’adhésion des professionnels et leur implication. Ainsi, sur mon territoire, si les médecins ne s’étaient pas personnellement impliqués, le succès n’aurait pas été aussi net.
Nous l’observons, certaines de ces dispositions apportent satisfaction, mais elles ne suffisent pas véritablement pour remédier à cette fracture sanitaire. Une évaluation des dispositifs pourrait être commandée à la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, la MECSS, ou, éventuellement, faire l’objet d’une mission parlementaire, afin de lancer, par la suite, un véritable plan Marshall sur ce sujet.
L’idée serait de conjuguer ces différents dispositifs en les modulant selon les territoires et en y introduisant, probablement, une régulation choisie par les médecins.
Je ne terminerai pas mon intervention sans évoquer deux articles.
D’une part, l’article 49, qui crée un fonds d’innovation thérapeutique. Son financement interpelle et cache mal son intention véritable, qui est de permettre de diminuer l’ONDAM artificiellement. Comme l’indique le rapporteur général de la commission des affaires sociales, la fonction même de l’ONDAM est de prévoir les dépenses supplémentaires, y compris celles qui sont liées à l’innovation.
D’autre part, l’article 40, qui met en place une expérimentation pour trois ans d’une prise en charge et d’un suivi de jeunes en souffrance psychique. J’approuve cette mesure, mais elle ne masque pas l’urgence de refonder notre politique de soins psychiques et psychiatriques.
Pour conclure, je déplore les artifices comptables déployés par le Gouvernement pour présenter un ONDAM dégonflé. Le quasi-équilibre, affiché à tous crins pour 2017, est un trompe-l’œil. Le retour à l’équilibre des comptes sociaux est, en réalité, encore reporté, malgré une diminution des déficits. L’assurance maladie en est le premier exemple. Elle nécessite des réformes structurelles.
Je souhaite, enfin, remercier le rapporteur général de la commission des affaires sociales de la clarté de son exposé, ses collègues rapporteurs et les fonctionnaires du Sénat ayant examiné avec précision ce PLFSS pour 2017, plus que jamais équivoque.