Intervention de Alain Chatillon

Commission des affaires économiques — Réunion du 16 novembre 2016 à 9h35
Loi de finances pour 2017 — Compte d'affectation spéciale cas « participations financières de l'état » - examen du rapport pour avis

Photo de Alain ChatillonAlain Chatillon, rapporteur pour avis :

Il est prévu pour cela de souscrire à une augmentation de capital d'Areva, sous réserve que la Commission européenne valide le montage envisagé par la France. Le plan prévoit la prise de contrôle d'Areva NP par EDF afin de rapprocher les branches « réacteurs » d'EDF et d'Areva. Un nouvel Areva verra le jour, recentré sur le cycle du combustible. Cette nouvelle société détiendra, via un apport partiel d'actifs, l'ensemble des activités actuelles d'Areva SA dédiées à la mine, à la conversion et à l'enrichissement du combustible, ainsi qu'au traitement aval - recyclage, logistique. Quant à Areva SA, elle continuera à exister, uniquement pour porter les actifs douteux dont on souhaite immuniser EDF et le nouvel Areva. Le plan de financement de ce montage prévoit des augmentations de capital pour un total de 5 milliards d'euros : 2 milliards d'euros iront à Areva, en charge des actifs douteux, et 3 milliards d'euros au nouvel Areva SA en charge du cycle du combustible. L'État y souscrira pour un montant compris entre 4 et 4,5 milliards d'euros.

La refondation de la filière suppose aussi d'accompagner EDF dans sa stratégie de développement. Celle-ci s'est enfin engagée dans une stratégie fondée sur la production d'électricité décarbonée. Cela se traduira par des investissements significatifs. J'y suis favorable. Dans ce cadre, l'État, actionnaire à 85 % d'EDF, a choisi de renforcer les capitaux propres de l'entreprise, en acceptant de percevoir ses dividendes en actions plutôt qu'en numéraire et en indiquant qu'il souscrira à hauteur de 3 milliards d'euros à l'augmentation de capital de 4 milliards d'euros prévue prochainement.

Au total, la recapitalisation de la filière va donc absorber entre 7 et 7,5 milliards d'euros d'investissement de la part de l'État.

Outre cet investissement massif dans la filière électronucléaire, les dépenses du CAS pour 2017 doivent aussi couvrir également plusieurs opérations déjà décidées.

D'abord, le financement du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies. Un premier versement est intervenu en 2015 pour un montant de 60 millions d'euros. Un second doit être fait en 2017, à hauteur de 90 millions. Puis, l'État devra poursuivre la dotation de la Société pour le Logement intermédiaire, pour un montant encore indéterminé. Il devra participer à la recapitalisation de plusieurs banques multilatérales de développement, comme la Banque africaine de développement. Cela pourrait mobiliser environ 250 millions d'euros. Enfin, il faudra financer le renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement (AFD), rendu nécessaire par l'entrée en vigueur des règles de Bâle III. Cela prendra la forme d'une souscription d'obligations perpétuelles, pour un montant d'environ 280 millions d'euros.

Si l'on additionne ces investissements et ceux que rend nécessaires le redressement de la filière électronucléaire, on trouve un total de dépenses de plus de 7,5 milliards d'euros en 2017. Il faut aussi tenir compte de la levée probable de l'option sur les actions d'Alstom, qui pourrait coûter 1,1 milliard d'euros à l'État. Les dépenses totales du CAS dépasseront donc 7,5 milliards d'euros en 2017, voire 8,5 milliards en cas d'achat des titres Alstom, soit 1 à 2 milliards d'euros de plus que la somme inscrite au budget. Il est donc clair que la présentation du CAS pour 2017 n'est pas réaliste.

Je me demande vraiment comment seront financées ces dépenses.

De manière conventionnelle, le montant des recettes tirées des cessions pour 2017 est fixé à 5 milliards d'euros. Supposons que, pour une fois, ce chiffre ne soit pas conventionnel et que l'État vende effectivement pour 5 milliards d'euros de titres. Comment céder un tel volume dans des conditions favorables ? Le contexte boursier est très déprimé et la majorité des titres cessibles de l'État relèvent du secteur de l'énergie, en chute libre depuis deux ans. Bref, en l'absence d'hypothèses positives ou négatives claires, il est difficile de prendre position.

Au cours de l'année écoulée, la composition du portefeuille est restée stable. L'APE gère des participations dans 81 entités. Il s'agit en majorité de sociétés anonymes : on en compte 55, dont 13 sociétés cotées, certaines étant des « navires amiraux » de l'économie française, dans les secteurs de l'énergie (EDF, Engie, Areva), de l'aéronautique et de la défense (Airbus, Safran, Thales), de l'automobile (Renault, PSA) ou du transport aérien ( Air France). On trouve aussi des sociétés d'économie mixte, des établissements publics à caractère industriel et commercial (RATP, SNCF Réseau) et des établissements publics chargés de la gestion d'infrastructures portuaires. Figure aussi la BPI, à laquelle l'État participe à hauteur de 10,8 milliards d'euros.

Si la composition du portefeuille a peu changé, il n'en va pas de même de sa valeur financière. Au 30 juin 2016, celle-ci était estimée à 90 milliards d'euros, contre 110 milliards d'euros un an plus tôt, soit un recul de 18 % : nous avons perdu 20 milliards d'euros. Cette baisse ne résulte pas d'une intensification des cessions de titres. Depuis mon précédent rapport, l'APE a cédé des actions Safran pour un montant de 753 millions d'euros et a procédé à la vente des sociétés de gestion des aéroports de Lyon et Nice, après celui de Toulouse, pour 1,7 milliard d'euros. Dans le même temps, l'État a acquis des titres pour 2,5 milliards d'euros. Le solde est donc positif.

C'est en réalité la chute de la valeur boursière des titres qui explique ce recul de 20 milliards d'euros. Si le portefeuille coté hors énergie a plutôt bien résisté, puisqu'il recule moins que le CAC 40 sur la même période, les titres du secteur de l'énergie se sont effondrés, de 57 % en un an pour Areva, de 45 % pour EDF, de « seulement » 12,8 % pour Engie. Il y a pourtant des années que nous réclamons une diversification des titres détenus par l'APE. La forte concentration du portefeuille sur le secteur de l'énergie a eu pour conséquence une exposition accrue à la volatilité des valeurs de ce secteur. Une très forte baisse des valeurs boursières de l'énergie s'était déjà produite entre 2010 et 2012. Elle fut suivie d'une très forte hausse entre 2012 et 2013, avec un doublement de l'action d'EDF. Nous pouvons espérer que la séquence actuelle est similaire - pour ma part, j'en doute.

La baisse des valeurs énergétiques a mécaniquement conduit à un rééquilibrage en valeur du portefeuille de l'État : le secteur énergétique ne représente désormais que la moitié du portefeuille géré par l'APE, contre 61 % il y a un an. Ce portefeuille demeure néanmoins structurellement peu diversifié, ce qui est regrettable. Sur les 81 entreprises entrant dans le périmètre de l'APE, les 13 entreprises cotées représentent les deux tiers du patrimoine financier de l'État.

Je signale une diversification du profil des administrateurs nommés par l'État. Ces dernières années, j'avais souhaité qu'il soit davantage fait appel à des administrateurs issus du monde de l'entreprise. Ce mouvement semble en marche et je m'en félicite. Sur les 92 administrateurs nommés au cours de l'année écoulée, la moitié n'étaient pas des agents publics. Je n'ai rien contre ces derniers, mais à Airbus, par exemple, il serait bon d'avoir, au lieu de quatre jeunes énarques, au moins deux chefs d'entreprises. Cela peut dynamiser la gestion du portefeuille.

Les dividendes perçus par l'État devraient atteindre en 2016 un montant de 3,6 milliards d'euros. Les cinq principaux contributeurs seront EDF, Engie, Renault, Orange et Aéroports de paris. Ils représentent près de 85 % du montant total versé. C'est considérable ! Dans n'importe quel fonds financier privé, des décisions urgentes seraient prises.

L'État actionnaire doit évidemment concilier l'objectif financier de retour sur investissement et son rôle d'accompagnement de long terme d'entreprises qui, par leur taille ou leur domaine d'activité, jouent un rôle stratégique pour l'économie et l'indépendance du pays. Actuellement, la priorité doit être clairement donnée au renforcement des capacités financières des entreprises du portefeuille. Or certaines sont confrontées à des besoins financiers importants. Des dépréciations d'actifs massives ont été enregistrées cette année dans le portefeuille de l'APE : 12,5 milliards d'euros au sein du groupe SNCF, 3,5 milliards d'euros à EDF et 8,7 milliards d'euros à Engie. Par ailleurs, outre la recapitalisation de la filière électronucléaire, l'ensemble des entreprises doivent faire face aux enjeux de la transformation numérique. Plusieurs sociétés, comme Orange, La Poste, EDF, Engie, Thales, Safran, PSA, Renault, La Française des jeux, se sont engagées dans un plan d'action global, portant sur l'innovation, l'adaptation de la stratégie de distribution, l'investissement dans de nouveaux systèmes, et sur des actions d'information et d'adaptation de leurs salariés. Tout cela engendre des besoins importants en capitaux.

Cette situation a conduit l'État actionnaire à adapter ses prétentions en matière de dividendes. Après avoir culminé à 5,5 milliards d'euros en 2008 et 2009, les dividendes versés à l'État se sont établis à un plateau de 4,4 milliards d'euros entre 2010 et 2013. Depuis lors, ils sont en recul : 4,1 milliards d'euros en 2014, 3,9 milliards d'euros en 2015 et 3,6 milliards d'euros en 2016. Il est peu probable que l'on assiste à une remontée dans les années prochaines. Par ailleurs, l'État a fait le choix depuis la fin 2015 de percevoir le dividende EDF en titres plutôt qu'en numéraire. On peut donc dire que la politique de dividendes de l'État correspond à ce que l'on peut attendre d'un actionnaire de référence responsable. C'est incontestable.

Pour conclure, compte tenu des incertitudes qui affectent les prévisions de dépenses et de déficit du CAS « Participations financières de l'État », je demanderai à la commission de rejeter ses crédits. J'ai eu des entretiens avec les directeurs successifs de l'APE. M. Azéma avait une belle orientation industrielle, mais il n'admettait guère la nécessité de chercher des administrateurs dans le secteur privé. Avec M. Turrini, le contact a été quasi inexistant. Nous avons de bonnes relations avec M. Vial, une personne brillante qui paraît tout à fait convenir. Il est venu ici pendant deux heures avec ses collaborateurs. Il n'a été nommé qu'en octobre, et n'a pas rencontré son prédécesseur ! Imaginez, dans une entreprise, qu'un gestionnaire sortant ne rencontre pas son successeur et qu'aucun délai ne soit ménagé pour la passation de pouvoirs...

Dans la situation actuelle, je constate que l'on n'affiche pas les bons résultats, et je le regrette. Le résultat apparent est ce qu'il est, mais il ne traduit pas véritablement l'exacte situation, ce qui fait craindre le report de dépenses lourdes sur les années à venir, sans contrepartie en termes d'objectifs stables. Nous ne lisons rien dans ce CAS sur des projets de cession ou de participation dans des activités susceptibles de créer de l'emploi ou de susciter des dividendes. En revanche, nous lisons un certain statisme, d'autant plus inquiétant que les risques pris ne sont pas compensés par des évolutions positives à court ou à moyen terme. En tout cas, ce CAS ne traduit pas une vision correcte de la situation pour les trois ou cinq ans à venir.

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