Intervention de Gérard César

Commission des affaires économiques — Réunion du 16 novembre 2016 à 9h35
Loi de finances pour 2017 — Mission « agriculture alimentation forêt et affaires rurales » - examen du rapport pour avis

Photo de Gérard CésarGérard César, rapporteur pour avis :

L'examen du budget de l'agriculture constitue toujours l'occasion d'un tour d'horizon de la politique agricole. Après des années de baisse de ses crédits, le ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt (MAAF) disposera en 2017 d'une dotation budgétaire de 5,12 milliards d'euros, soit 15 % de plus qu'en 2016. L'essentiel de la hausse relève de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », qui passe d'un peu moins de 2,8 milliards d'euros à presque 3,4 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE). Les crédits consacrés à l'enseignement agricole relèvent d'autres missions, et augmentent plus faiblement.

Nous examinons également le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » (CASDAR), doté en 2017 comme en 2016 de 147,5 millions d'euros. Ce compte est largement surévalué. Il est en effet alimenté par la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitants agricoles. La conjoncture rend peu probable que cette taxe rapporte autant en 2017 que les années précédentes. Or un compte spécial doit être à l'équilibre. De moindres recettes se traduiront nécessairement par de moindres dépenses. Déjà, en exécution 2016, les dotations en provenance du CASDAR ont été réduites. Ainsi, FranceAgrimer a eu 2 millions d'euros de moins sur les actions de génétique animale. Les actions financées par le CASDAR comme les programmes pluriannuels des instituts techniques agricoles ou les programmes de développement menés par les chambres d'agriculture risquent fort de subir des retards de paiement.

Les crédits d'État sont complétés par des recettes provenant de taxes fiscales affectées, par exemple la redevance versée par les abattoirs, qui permettent d'abonder des lignes budgétaires qui ne figurent pas au budget de l'agriculture. Ces taxes représentent 428 millions d'euros.

Au total, les dépenses de l'État en faveur de l'agriculture s'élèvent à 5,7 milliards d'euros.

Les dépenses effectuées directement par l'État ne résument pas à elles seules le soutien public à l'agriculture. En effet, l'essentiel des dispositifs de soutien relève d'un financement communautaire, qui s'élèvera à près de 9 milliards d'euros en 2017 : 7,3 milliards d'euros sur le premier pilier et 1,6 milliard d'euros sur le deuxième pilier. Enfin, les collectivités territoriales apportent également un soutien croissant à l'agriculture, notamment à travers les cofinancements fournis dans le cadre du deuxième pilier de la politique agricole commune (PAC). Les dernières évaluations de la contribution des collectivités territoriales donnent un chiffre d'un peu plus de 1 milliard d'euros. Le chiffre reste à vérifier.

Le soutien à l'agriculture ne passe pas seulement par des crédits, nationaux ou européens. Il prend aussi la forme d'allégements de charges fiscales ou sociales. Le coût de l'ensemble des dispositions fiscales en faveur de l'agriculture et de la forêt, évalué dans le projet de loi de finances pour 2017, dépasse 1,7 milliard d'euros, le principal poste étant l'exonération de taxe sur les carburants utilisés en agriculture. Ce montant a plutôt tendance à baisser depuis 2013. À l'inverse, le coût des allégements de charges sociales a plutôt tendance à augmenter, et représentera 4,8 milliards d'euros en 2017, dont une partie concerne toutefois la transformation et les services agricoles.

Les concours publics à l'agriculture atteignent donc 20 milliards d'euros, dont près de la moitié financés par la PAC. À ce montant s'ajoutent les subventions pour équilibrer le financement du régime de protection sociale agricole, soit 13,4 milliards d'euros par an.

Au sein de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », la répartition des moyens entre programmes évolue en 2017, puisque le programme 149, sur la forêt, et le programme 154, qui portait les principaux dispositifs de soutien à l'économie agricole, ont été fusionnés pour former le nouveau programme 149, intitulé « Économie et développement durable des entreprises agricoles, agroalimentaires et forestières ». C'est le plus important programme de la mission, avec plus de 2,2 milliards d'euros. C'est sur ce programme qu'intervient la hausse des crédits de près de 600 millions d'euros, dont 480 millions pour compenser auprès de la Mutualité sociale agricole (MSA) les allégements de charges sociales des exploitants agricoles décidés début 2016.

Les crédits du programme 206, consacré à la sécurité et la qualité sanitaire de l'alimentation, augmentent un peu pour passer au-dessus des 500 millions d'euros. Enfin, le programme 215 consacré à la conduite et au pilotage des politiques de l'agriculture porte les crédits de personnel du ministère et des services déconcentrés. Ses crédits baissent légèrement, passant de 658 à 653 millions d'euros, ce qui correspond à une réduction de 200 postes environ sur ce programme.

Certaines lignes nous intéressent plus particulièrement.

Tout d'abord, l'installation et le renouvellement des générations. Nous vivons actuellement une situation curieuse. Le taux de remplacement est bon, de l'ordre de 75 à 80 %, car nous enregistrons peu de départs : beaucoup d'agriculteurs qui auraient dû normalement partir en retraite entre 2010 et 2015 sont partis plus tôt en profitant du dispositif de départ anticipé qui a fonctionné jusqu'en 2009. En sens inverse, beaucoup d'agriculteurs qui auraient pu partir en retraite à 60 ans ont, sous l'effet des nouveaux textes législatifs, retardé leur cessation d'activité. Mais cette situation ne va pas durer et les départs vont s'accélérer dans les années qui viennent, pour atteindre probablement 30 000 par an vers 2020. Serons-nous alors capables de les remplacer par de jeunes agriculteurs ?

Les crédits budgétaires pour l'installation sont maintenus en 2017. La suppression des crédits sur les prêts bonifiés, dispositif peu intéressant compte tenu du niveau actuel des taux d'intérêt, est compensée par la hausse de ceux de la dotation jeunes agriculteurs (DJA), qui s'élèvent pour 2017 à 40 millions d'euros. L'enveloppe consacrée aux stages à l'installation est en légère augmentation, avec 2 millions d'euros. Enfin, l'accompagnement de l'installation, qui relève du fonds d'incitation et de communication pour l'installation en agriculture (FICIA), ne dispose pas de crédits budgétaires, comme en 2016, mais doit faire l'objet d'une dotation à partir de la taxe sur les terrains nus rendus constructibles, évaluée à 12 millions d'euros.

Le ministère dispose donc des marges de manoeuvre budgétaires pour réaliser l'objectif de 6 000 installations aidées par an. Il convient de rester vigilant pour que l'installation reste une priorité de la politique agricole, car on constate depuis quelques années une non-consommation inquiétante des crédits à l'installation.

Ensuite, la gestion des crises. Comme chaque année, le budget 2017 est très peu doté en crédits de crise : 1,8 million d'euros pour Agridiff, 1,5 million d'euros pour le fonds d'allégement des charges, 1,5 million d'euros pour les aides à la cessation d'activité. Clairement, le budget n'est pas à la hauteur des besoins. Je rappelle que le dernier plan de soutien à l'élevage comportait une enveloppe d'allégement des charges de 100 millions d'euros.

À chaque crise, il est donc nécessaire de solliciter des crédits par redéploiements budgétaires ou ouvertures de crédits en loi de finances rectificative (LFR). Ainsi, on attend pour 2016 l'ouverture de crédits à hauteur de 157 millions d'euros uniquement pour le Fonds d'allégement des charges mobilisé dans le cadre du pacte de consolidation et de refinancement des entreprises agricoles. On attend aussi des crédits pour compenser auprès des collectivités territoriales les pertes de recettes liées aux mesures de dégrèvement de taxe foncière sur les propriétés non bâties. Calculé au plus juste, le budget agricole ne dispose d'aucune marge de manoeuvre pour faire face aux crises et se révèle donc très fragile.

Enfin, les crédits consacrés à la forêt. Tout d'abord, ils ne font plus l'objet d'un programme, comme nous l'avons vu, mais d'une simple action : certains acteurs de terrain en tirent un sentiment de rétrogradation dans la nomenclature budgétaire. Ce réaménagement n'empêche pas la comparaison à structure constante des crédits consacrés à la forêt : ceux-ci diminuent de 4 millions d'euros par rapport à 2016. La tendance des crédits à la forêt reste donc baissière, alors même que leur niveau est au plancher.

Près des trois quarts des crédits de l'action 26 sont alloués à la gestion des forêts publiques avec, principalement, le versement compensateur de l'État à l'Office national des forêts (ONF), maintenu depuis plusieurs années à 140,4 millions d'euros. Comme son nom l'indique, ce versement vise à compenser la différence entre les charges de l'ONF imputables au régime forestier et les recettes, ou « frais de garderie », versées par les communes en contrepartie des services rendus pour gérer les forêts communales. À la satisfaction des communes, ces frais de garderie n'ont pas été augmentés, comme cela avait été envisagé, lors de la renégociation du nouveau contrat de performance de l'ONF. En contrepartie, les communes forestières se sont engagées à augmenter les coupes de bois, avec un objectif fixé à 8,5 millions de mètres cubes en 2020. Cela implique toutefois de surmonter la difficile acceptabilité sociale des coupes. C'est pourquoi les campagnes d'information organisées par l'ONF sont indispensables pour mieux faire connaître à nos concitoyens la nécessité de la régénération forestière, même si la repousse n'est visible qu'après plusieurs dizaines d'années, ce qui crée un impact psychologique.

Pour la forêt privée qui représente 75 % des surfaces boisées, la subvention au profit du Centre national de la propriété forestière s'établit à 15,1 millions d'euros, en baisse de 2 %. Les représentants de ce centre, qui oriente la gestion de la forêt privée, s'inquiètent de la perspective de devoir recruter des fonctionnaires au moment où l'ONF, en sens inverse, fait appel à des apprentis ou à des emplois aidés. Le ministre, quand nous l'avons entendu en commission des affaires économiques, a surtout insisté avec talent sur les 28,5 millions d'euros d'AE alloués au Fonds stratégique de la forêt et du bois et destinés à la régénération et au reboisement. On estime à 150 millions d'euros les crédits nécessaires à la replantation de 340 millions de plants. En même temps, il a répété à plusieurs reprises qu'il se joignait à l'« appel de Mende », en rendant hommage à l'initiative lancée par Philippe Leroy et le groupe sénatorial d'études Forêt- Bois.

Tout le problème, c'est que l'appel de Mende est un plaidoyer pour le reboisement - car notre forêt vieillit - et pour que la France joue enfin sa carte forestière de façon beaucoup plus dynamique. Il y a là un énorme potentiel d'emplois et de croissance verte sur nos territoires. Or, malgré la bonne volonté de notre ministre, la réalité du financement de la forêt est celle d'un stop and go des crédits budgétaires et d'une tuyauterie assez compliquée puisqu'aujourd'hui c'est par le biais de la mission « écologie » et du fonds chaleur, géré par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) que transitent les sommes les plus importantes allouées à la forêt.

Le bon sens consisterait à rationaliser les canaux de financement et à garantir en permanence à notre politique forestière, qui a besoin d'une vision à long terme, 150 millions d'euros par an. Cela nous permettrait de rattraper notre retard par rapport aux autres nations forestières, et de rassembler les acteurs de la forêt autour d'un objectif d'intérêt national. Comme vous le savez, l'irrecevabilité financière de l'article 40 est devenue un couperet qui nous interdit de présenter un amendement dans ce sens. Cela ne doit pas nous empêcher de formuler des propositions cohérentes, et nous soutenons l'idée d'un mécanisme qui consisterait d'abord à rappeler que la filière forêt-bois compense environ le cinquième des émissions françaises de gaz à effet de serre. En contrepartie, l'État pourrait abonder le fonds stratégique à hauteur de 150 millions d'euros par an en prélevant, par exemple, une toute petite partie de la composante carbone de la contribution climat-énergie.

Pour conclure, j'émets un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».

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