Intervention de Dominique de Legge

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 16 novembre 2016 à 15h00
Loi de finances pour 2017 — Mission « défense » - examen du rapport spécial

Photo de Dominique de LeggeDominique de Legge, rapporteur spécial de la mission « Défense » :

En 2017, les crédits de la mission « Défense » s'élèveront à plus de 42 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à près de 41 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une diminution de 3 milliards d'euros pour les premières et une hausse de 900 millions d'euros pour les seconds.

La diminution des autorisations d'engagement, qui concernera pour l'essentiel les programmes 178 et 146 à hauteur de 800 millions d'euros et 3,5 milliards d'euros respectivement, peut sembler surprenante ; elle est liée aux calendriers de maintien en condition opérationnelle pour le programme 178 et des commandes d'équipements majeurs pour le programme 146, 2016 ayant été une année singulière de ce point de vue.

Ce budget offre quelques motifs de satisfaction. L'augmentation des crédits de paiement de la mission « Défense » s'inscrit dans l'esprit de la révision de la loi de programmation militaire de juillet 2015, qui s'est notamment traduite par la substitution d'une part importante des ressources exceptionnelles par des crédits budgétaires. Durant la période 2015-2019, la loi de programmation militaire (LPM) actualisée prévoyait un montant de ressources exceptionnelles ramené à 930 millions d'euros, contre un montant initial de près de 4,4 milliards d'euros. Cette évolution, que le Sénat avait appelée de ses voeux, allait incontestablement dans le bon sens.

L'augmentation des crédits de la mission « Défense » prévue en 2017 va même au-delà de ce qui était prévu dans la LPM actualisée : alors que celle-ci fixait un plafond de crédits de paiement à 32,3 milliards d'euros, ressources exceptionnelles comprises, le total des crédits du ministère de la défense devrait s'élever en 2017 à près de 32,7 milliards d'euros, soit un écart de plus de 400 millions d'euros, dont 100 millions d'euros imputables aux recettes exceptionnelles. Ce surcroît de dépenses, nécessaire compte tenu de l'évolution du contexte national et international, montre cependant les limites de l'exercice de programmation, la loi de programmation militaire étant dépassée moins d'un an et demi après son actualisation.

Néanmoins, des points de vigilance subsistent. Au lendemain des attentats de novembre 2015, le président de la République a annoncé différentes mesures en faveur de la défense, en particulier l'arrêt des déflations de personnel ; le renforcement de la chaîne opérationnelle, du renseignement et de la cyberdéfense ; un effort en faveur du fonctionnement et des infrastructures pour accompagner l'effort en matière d'effectifs ; un effort financier sur le plan capacitaire, avec une priorité donnée aux munitions, à la mobilité des unités déployées sur le territoire national ainsi qu'à la protection des emprises de la défense ; et enfin l'amélioration de la condition du personnel.

Entérinées lors du conseil de défense du 6 avril 2016, ces décisions, dont le coût est estimé à 775 millions d'euros en 2017 et à 1,2 milliard d'euros en 2019, n'ont cependant pas donné lieu à une nouvelle actualisation de la loi de programmation militaire. Et, hors des 317 millions d'euros de crédits budgétaires supplémentaires inscrits dans ce budget, les quelque 458 millions restants reposent sur des financements incertains ou non pérennes.

Le niveau de recettes exceptionnelles prévu est supérieur de 100 millions d'euros à ce qu'anticipait la loi de programmation militaire actualisée. Or si certaines opérations immobilières importantes sont effectivement programmées pour les années à venir, notamment les cessions de l'îlot Saint-Germain, de Saint-Thomas d'Aquin et du Val-de-Grâce, leur réalisation en 2017 est loin d'être assurée. De plus, le ministère de la défense devrait bénéficier de 205 millions d'euros de « gains de pouvoir d'achat » liés à l'évolution des facteurs et de 100 millions d'euros liés à l'actualisation des échéanciers de paiement. Enfin, un prélèvement de 50 millions d'euros est prévu sur la trésorerie du service des essences des armées.

D'autres points méritent notre vigilance, à commencer par les déboires de Louvois qui, malgré la mobilisation d'effectifs importants pour en limiter les dysfonctionnements, continue de présenter d'importantes faiblesses. Son remplacement par Source Solde, décidé par le ministre en décembre 2013, était nécessaire compte tenu de son état jugé irréparable.

Le déploiement de Source Solde s'effectuera par étapes, la dernière bascule, qui concerne l'armée de l'air, étant programmée pour décembre 2019. La durée prévisionnelle du projet a été portée de 60 à 68 mois. Or chaque mois compte : il n'est pas acceptable que les militaires ne perçoivent les indemnités liées à leur participation aux opérations extérieures (OPEX) ou à Sentinelle avec plusieurs mois, voire plus d'une année de retard. Le prélèvement à la source, s'il est mis en place, pourrait entraîner des difficultés supplémentaires.

Par ailleurs, en 2017, la mise en oeuvre du protocole « parcours professionnels, carrières et rémunérations » et la création d'une indemnité d'absence cumulée se traduiront par des modifications significatives dans Louvois qui pourraient donner lieu à d'importants dysfonctionnements.

La fin de gestion 2016 s'annonce en outre très hypothétique. Les crédits du programme 146 « Équipement des forces » ont été gelés à hauteur de 1,9 milliard d'euros, dont 800 millions d'euros au titre de la réserve de précaution, 470 millions d'euros au titre du « surgel » et 590 millions d'euros de crédits de 2015 reportés en 2016. À ce niveau record de crédits gelés s'ajoute l'incertitude liée au montant de la contribution du ministère de la défense au financement des surcoûts OPEX et OPINT (opérations intérieures), dont le montant non budgété devrait s'élever à 830 millions d'euros en 2016.

Lors de son audition par la commission de la défense nationale de l'Assemblée nationale le 12 octobre dernier, le délégué général pour l'armement a indiqué que « le report de charges pourrait approcher 3,2 milliards d'euros, montant compromettant l'équilibre de la LPM », alors que « la LPM initiale et ses actualisations successives ont prévu de contenir le report de charges à 2,8 milliards d'euros d'ici à la fin de l'année 2019 ». Un tel niveau de report de charges pourrait se traduire par un étalement ou par des annulations de commandes d'équipements, ce qui, dans le contexte actuel, ne serait évidemment pas acceptable. 2,8 milliards d'euros, cela représente 25 % à 30 % du budget total du programme 146 qui est de 10 milliards d'euros.

Enfin, ce budget ne prend pas suffisamment en compte le passif. Lors des auditions que j'ai conduites, il m'a été indiqué que, si l'enveloppe de 500 millions d'euros de crédits supplémentaires consacrés au maintien en condition opérationnelle était nécessaire, elle restait significativement insuffisante. Il faudrait 300 millions d'euros supplémentaires pour assurer la régénération des matériels. Le risque d'une perte capacitaire est réel.

Pour les infrastructures, ce budget pare au plus urgent : loger dans des conditions à peu près décentes les militaires déployés dans le cadre de l'opération Sentinelle, accompagner l'augmentation des effectifs de la force opérationnelle terrestre. Néanmoins, les crédits prévus ne suffiront pas à assurer de manière satisfaisante l'entretien quotidien des bâtiments.

Au total, le report sur les années à venir de dépenses engagées et la remise à plus tard d'une remontée capacitaire prenant véritablement en compte le niveau d'engagement de la France, tant à l'étranger qu'à l'intérieur de ses frontières, donnent l'impression d'une fuite en avant. Ce n'est pas propre à la mission « Défense » et les motifs de rejet du budget 2017 dans son ensemble sont nombreux. Pour autant, il convient de noter l'évolution, certes insuffisante mais réelle, du budget de la défense. J'espère que la fin de gestion 2016 nous permettra d'aborder 2017 dans de meilleures conditions et que la loi de finances rectificative répondra aux incertitudes que j'ai soulevées. Compte tenu de ces éléments, je vous invite à adopter en l'état les crédits de la mission.

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