… et c’est d’autant plus vrai que le sujet touche aux libertés fondamentales !
Monsieur le ministre, vous nous dites que le choix du décret s’est fait sous le contrôle et suivant les recommandations du Conseil d’État, saisi pour avis.
Nous disposons nous aussi de cet avis. Or vous avez omis de nous signaler que celui-ci précise que « compte tenu de l’ampleur du fichier envisagé et de la sensibilité des données qu’il contiendrait, il n’est pas interdit au Gouvernement […] d’emprunter la voie législative ».
Vous avez concédé aujourd'hui un débat public au Parlement – nous vous en remercions ! – et une consultation citoyenne via le Conseil national du numérique. Toutefois, cela est loin d’être suffisant !
En effet, la voie réglementaire représente un danger démocratique à elle toute seule, facilitant la transformation de cette base de données à des fins d’identification. Comme chacun le sait, rien ne sera plus facile que de transformer d’un trait de plume ce fichier d’authentification en véritable fichier de police, facilitant la recherche de l’identité d’individus à partir de leurs empreintes ou de leur photographie.
En outre, l’argument du verrouillage juridique ne tient pas. Si le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont validé la constitution d’un fichier à des fins d’authentification, ils l’ont fait à la condition que la mise en œuvre prévue soit adéquate et proportionnée à un objectif d’intérêt général. Qui nous dit que, dans le futur, dans un contexte de menace terroriste, par exemple, l’on ne jugera pas que l’accès à cette gigantesque base de données personnelles et biométriques à des fins d’identification relève justement de l’intérêt général ?
Je ne débattrai pas ici de l’utilisation du mégafichier des titres électroniques sécurisés par de futurs gouvernants qui bafoueraient les libertés publiques, monsieur le ministre. Ceux-là, nous les combattons au quotidien pour qu’ils n’arrivent jamais au pouvoir !
Enfin, je ne reviendrai pas sur les risques que l’on court à constituer un tel fichier numérique centralisé, alors que nous disposons de pléthore d’exemples de piratages à grande échelle dans les autres pays. Sur la question de la vulnérabilité informatique d’un tel fichier, nous partageons l’opinion du ministre de la justice, Jean-Jacques Urvoas. Je ne parle pas là de sa position actuelle, mais de celle de 2012, lorsqu’il était vent debout contre le « fichier des honnêtes gens ». Il nous disait alors qu’« aucun système informatique n’est impénétrable », que « toutes les bases de données peuvent être piratées » et que « ce n’est toujours qu’une question de temps ».
Je ne pense pas me tromper en déclarant que dans ce laps de temps de cinq ans qui nous sépare de la dernière mandature, les recherches sur les technologies de l’information et de la communication n’ont pas permis de trouver le moyen de rendre un système informatique infaillible.
Monsieur le ministre, l’art rhétorique que vous maniez – avec une grande aisance, j’en conviens – depuis quelques jours afin de nous persuader qu’il s’agit d’un décret purement technique qui a pour objet de simplifier les procédures ne nous convainc pas ! On ne peut pas nier l’évidence : vous êtes en train de construire un mégafichier digne du monde d’Orwell !
C’est pourquoi nous vous demandons de retirer ce décret qui, tant sur le fond que sur la forme, constitue un véritable déni des valeurs démocratiques et une atteinte profonde aux droits des citoyens de notre pays !