Séance en hémicycle du 16 novembre 2016 à 14h30

Résumé de la séance

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  • biométrique
  • d’identité
  • fichier

La séance

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La séance est ouverte à quatorze heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Par courrier en date du 15 novembre 2016, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l’article L.O. 297 du code électoral, M. Georges Labazée, sénateur des Pyrénées-Atlantiques, en mission temporaire auprès de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, et de Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État chargée des personnes âgées et de l’autonomie.

Cette mission portera sur l’évolution des modalités d’accompagnement des personnes en perte d’autonomie.

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Conformément à l’article 9 du règlement, la commission des lois a été invitée à présenter des candidatures.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Par courrier en date du mardi 15 novembre, le groupe du RDSE a informé le président du Sénat qu’il transformait sa demande de commission d’enquête sur la situation de la psychiatrie des mineurs en France, présentée en application de l’article 6 bis du règlement, en demande de mission d’information.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, portant sur le décret du 28 octobre 2016 autorisant la création d'un traitement de données à caractère personnel relatif aux passeports et aux cartes nationales d'identité.

La parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat qui nous réunit a été souhaité par un certain nombre d’entre vous, mais également par le Gouvernement.

Le 28 octobre dernier, dans le cadre des démarches que le Gouvernement a entamées en vue de la modernisation du réseau des préfectures et des sous-préfectures, nous avons décidé de prendre un décret visant à élargir l’accès au fichier des « titres électroniques sécurisés » existant, ou fichier TES, au titre de la sécurisation des cartes d’identité.

Cette disposition réglementaire s’inscrit dans le cadre de la réforme plus large que nous avons voulue, avec plusieurs objectifs extrêmement clairs.

Premier objectif : mettre fin à la révision générale des politiques publiques dans les préfectures et les sous-préfectures.

La RGPP a conduit à la suppression de près de 3 500 emplois entre 2007 et 2012 au sein des préfectures et des sous-préfectures de notre pays. Chaque préfecture comptant quelque 280 fonctionnaires en son sein, cela correspond à la suppression de l’équivalent de treize préfectures sur le territoire national.

Il nous fallait continuer à réaliser des efforts budgétaires parce que la situation des comptes publics l’exige pour chacune des grandes administrations publiques de l’État, y compris les administrations régaliennes, surtout si nous souhaitons consacrer à la sécurité publique une grande partie de nos crédits de fonctionnement en intégrant les crédits d’investissement.

Aussi, plutôt que de poursuivre la logique du rabot, qui a conduit à une véritable aporie dans l’administration publique de l’État, nous avons souhaité privilégier une autre logique, en mettant en œuvre une réforme structurelle, avec la création de cinquante-huit plateformes mutualisées de gestion des titres assurant le traitement des cartes d’identité, des passeports, des cartes grises et des permis de conduire, dans un contexte de sécurité renforcé.

Cette réforme permettra de dégager des marges de manœuvre en équivalents temps plein : 2 000 emplois seront libérés, quand le ministère du budget demande au ministère de l’intérieur d’en restituer 1 300. Très concrètement, cela signifie que, dans les prochaines années, nous serons en situation de réinjecter 700 emplois dans les préfectures et les sous-préfectures, avec un objectif très clair : conforter les missions de l’État dans un certain nombre de domaines privilégiés.

Dans le domaine de l’ingénierie territoriale, par exemple, les communautés de communes demandent avec insistance à l’État, notamment depuis la récente réforme de l’intercommunalité, d’accompagner davantage de projets structurants pour les territoires.

Nous souhaitons renforcer la lutte contre la fraude, un objectif très important de la réforme que nous conduisons.

Nous souhaitons aussi créer les conditions d’un renforcement des moyens de l’État en direction des collectivités locales dans le domaine du contrôle de légalité et du contrôle budgétaire, en faisant en sorte que les services de l’État puissent davantage se comporter en conseils qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent.

Nous souhaitons également accompagner les collectivités locales face aux risques que représentent les catastrophes naturelles ou le terrorisme, de manière à consolider la capacité de résilience de notre pays sur tous les sujets à propos desquels des défis peuvent se présenter.

Renforcer la présence de l’État dans les territoires en mettant fin à la révision générale des politiques publiques, tel est donc le premier objectif.

Deuxième objectif : simplifier et moderniser le service mis à la disposition des Français pour ce qui concerne la délivrance des titres d’identité.

Les Français pointent des démarches lourdes et complexes : celles-ci ne donnent pas satisfaction à l’usager du service public, car on ne recourt pas suffisamment aux technologies modernes numériques permettant de procéder au téléchargement d’un certain nombre de documents ou au développement des téléprocédures s’agissant d’une première demande ou du renouvellement d’une pièce d’identité.

Aussi, nous engageons une véritable action de dématérialisation des relations entre les municipalités, qui reçoivent les documents nécessaires à l’élaboration des pièces d’identité, et les préfectures, qui accueilleront des plateformes de titres, et entre les centres de titres et les administrés, afin de faciliter les procédures et d’éviter de nombreuses démarches auprès de guichets affaiblis en personnels par la révision générale des politiques publiques, en vue de rendre le meilleur service public au meilleur coût.

Dans cette volonté de modernisation et dans l’intérêt de l’usager, nous tenons particulièrement à ce que, en cas de perte ou de vol, les pièces d’identité soient renouvelées dans des délais extrêmement rapides et sans que l’usager soit obligé de fournir à nouveau la totalité des pièces exigées lors d’une première demande. C’est en cela qu’il s’agit d’une réforme de simplification absolument attendue par les Français.

Troisième objectif : dans le contexte actuel, il est déterminant de disposer de titres sécurisés. Il convient donc de sécuriser l’élaboration et la délivrance des titres, afin d’éviter aux Français d’être aussi pénalisés qu’ils peuvent l’être aujourd'hui en cas d’utilisation frauduleuse des titres qu’ils détiennent, eu égard aux conséquences que cela peut avoir très concrètement sur leur vie quotidienne.

La sécurisation des titres d’identité – cartes d’identité et passeports – est une demande très forte des Françaises et des Français, adossée à une demande de simplification, et c’est aussi une nécessité absolue pour l’État au regard du contexte de menaces actuel. Si ces titres sécurisés sont perdus ou usurpés, ils pourront faire l’objet de la part de l’État, dans le cadre, notamment, de réquisitions judiciaires, de vérifications d’éléments auxquels les juges n’auraient pas eu accès si les personnes incriminées n’étaient pas enregistrées dans les fichiers de police.

Modernisation du service public, simplification pour les usagers et sécurisation des titres, telle est la réforme que nous avons engagée de façon pragmatique. Forts de la volonté d’atteindre ces objectifs politiques, volonté partagée par une grande partie de nos concitoyens, nous avons mis en œuvre des plateformes de demandes de titres par l’effet de la mutualisation en tenant rigoureusement compte de l’existant. Or qu’avions-nous entre les mains ?

Le fichier TES, mis en place en 2008, permettait de délivrer et de renouveler des passeports biométriques dans des conditions de sécurité renforcées. Ce dispositif, instauré sous une autre majorité, avait été élaboré dans le cadre d’une application informatique qui avait garanti la délivrance de 29 millions de titres sans que cela suscite la moindre interrogation de la part de qui que ce soit…

Ce fichier reposait sur une base comportant les données biométriques des personnes titulaires de ces passeports, en conformité avec les dispositions européennes, lesquelles facilitent par ailleurs la coopération entre les pays de l’Union européenne dans le domaine de la lutte contre les faux documents, les documents volés et les organisations criminelles internationales.

Cette base, qui, je le répète, concernait 29 millions de personnes, n’a témoigné à aucun moment au cours des dernières années de la moindre fragilité et n’a fait l’objet d’aucune intrusion. En outre, l’État n’a jamais relevé d’atteintes à la protection des données personnelles ou aux libertés publiques.

Un deuxième fichier, le fichier national de gestion, qui concernait, quant à lui, 60 millions de personnes, existe non pas depuis quelques mois, mais depuis 1987. Ce fichier papier, qui comportait les empreintes biométriques, les empreintes digitales notamment, des demandeurs de titres, a donné lieu à la délivrance de 59 millions de titres, ce qui n’a suscité absolument aucune émotion à ce jour. La traçabilité de l’accès à ce fichier, dont les limites n’avaient pas non plus suscité d’émotion, est bien moindre que celle du fichier que nous proposons.

Comme nous devions procéder à la sécurisation de la délivrance des titres d’identité à l’instar de ce qui avait été fait pour les passeports, nous avons greffé le dispositif de réalisation et d’authentification des cartes d’identité sur le fichier qui, jusqu’à présent, sans le moindre problème, avait permis de délivrer et d’authentifier des passeports.

Plusieurs questions ont alors émergé, auxquelles je veux répondre avec beaucoup de précision.

Première question : le Gouvernement fait-il avec ce fichier ce que le Conseil constitutionnel avait censuré en 2012 lorsque le précédent gouvernement s’était proposé de mettre en place un dispositif de titres sécurisés qui avait provoqué certaines réactions à l'Assemblée nationale et au Sénat ? Affirmer qu’il en est ainsi est une fausse assertion. Pourquoi ?

En 2012, le précédent gouvernement avait prévu de mettre en place une carte nationale d’identité électronique, une modalité que nous ne retenons pas, et j’en expliquerai les raisons. Par ailleurs, il avait préconisé qu’on pût identifier à partir des données biométriques la personne à laquelle elles appartiennent. Enfin, il avait souhaité que l’ensemble du dispositif assure une plus grande efficacité dans la lutte contre la fraude.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision de 2012 – j’invite chacun d’entre vous à la relire plus précisément –, a censuré non pas la carte nationale d’identité électronique non plus que l’objectif de lutte contre la fraude, mais une disposition, à savoir la possibilité, à partir de la consultation des données biométriques, de procéder à l’identification d’une personne.

Lorsque nous avons décidé de mettre en place le dispositif qui fait l’objet de notre débat, nous avons décidé – vous pouvez lire l’avis du Conseil d’État et le contenu du décret visé – de nous conformer en tout point et rigoureusement à la décision du Conseil constitutionnel.

Au regard du décret que nous avons pris – je suis extrêmement clair et net sur ce point, car, sur un sujet sensible, on ne peut pas raconter n’importe quoi pour faire peur ! –, il n’est pas possible juridiquement de procéder à l’identification d’une personne à partir de la consultation de ses données biométriques, pour la bonne et simple raison que le décret l’interdit. Nous avons intégré la totalité des considérants que le Conseil constitutionnel a introduits dans sa décision et auxquels nous pensions devoir nous conformer absolument.

J’entends dire que ce que nous faisons équivaut à ce qui a été fait en 2012 – en catimini, de surcroît ! –, mais c’est faux : nous ne retenons pas, je le répète, la carte nationale d’identité électronique ; nous n’autorisons pas, nous interdisons même la consultation des données biométriques à des fins d’identification d’une personne. Je le répète, le décret est en tout point conforme à la décision du Conseil constitutionnel de 2012.

J’entends aussi dire qu’il aurait fallu légiférer. C’est faux ! Le Conseil d’État et le Conseil national du numérique se sont exprimés sur ce point. Certes, ces sujets peuvent justifier un débat – et je suis heureux de pouvoir participer au débat qui nous réunit cet après-midi ! –, mais on ne peut pas faire comme si les articles 34 et 37 de la Constitution, qui définissent les domaines relevant de la loi et du règlement, n’existaient pas. On ne saurait s’abstraire de toute règle juridique, y compris constitutionnelle, au prétexte d’une sensibilité politique du sujet forte, si forte d’ailleurs que les logiques qui l’inspirent pourraient se substituer à toutes les logiques juridiques et constitutionnelles – je ne partage pas du tout ce sentiment. Si, d’ailleurs, nous devions nous engager dans cette voie, cela nous conduirait à une inflation législative puisque, dès qu’un sujet serait jugé sensible, on considérerait qu’il relève du domaine non plus du règlement, mais de la loi.

Lorsque nous avons décidé de mettre en place ces plateformes de demandes, dans le cadre du plan Préfectures nouvelle génération, nous avons consulté le Conseil d’État à deux reprises : une première fois sur l’opportunité du décret, et il nous a été répondu que cela relevait du domaine réglementaire, puis sur le texte élaboré. Nous nous sommes en tout point conformés à ses préconisations.

La CNIL a également formulé son avis, dans lequel elle exprime des réserves, considérant que, bien que le texte relève du domaine réglementaire, la nature du sujet pourrait justifier un débat devant le Parlement – débat que nous avons ! Elle se demande aussi si toutes les garanties sont données quant à la sécurité de la base et si la réversibilité des modes de consultation des différents compartiments du fichier est possible techniquement, nonobstant la modification des textes réglementaires régissant le fonctionnement de cette base.

Nous sommes bien dans le domaine réglementaire ; nous nous sommes conformés, je le répète encore, aux préconisations du Conseil d’État : la légalité de ce dispositif, élaboré au terme de multiples processus de consultation des instances juridictionnelles ou des hautes autorités, est donc impeccable. Nous ne refaisons donc pas ce qui avait été fait en 2012 et la démarche que nous avons entreprise est absolument conforme au droit.

Mais d’autres objections encore sont apparues, auxquelles nous devons aussi répondre.

Première objection : certes, ce que nous faisons est conforme au droit, nos intentions sont louables, mais d’autres gouvernements pourraient avoir d’autres intentions qui rendraient cette base dangereuse, ces intentions possibles d’un gouvernement futur justifiant à elles seules que l’on renonce à cette base, en dépit de l’intérêt qu’elle peut présenter en matière de service rendu à l’usager. Sur ce point, j’apporterai plusieurs éléments de réponse ; là aussi, on ne peut être dans l’approximation.

Il est juridiquement impossible de permettre l’identification d’une personne à partir de ses données biométriques sans modifier le droit. On ne peut pas le faire par voie réglementaire parce que la décision du Conseil constitutionnel de 2012 pose clairement le principe que cela relève du domaine de la loi, précisant même qu’il conviendrait de modifier la Constitution si une telle loi était adoptée. Je le dis à la représentation nationale, il n’est donc pas possible pour un gouvernement, sauf à ce qu’il ne soit ni légaliste ni républicain

Murmures.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur

Deuxième objection : même si le droit était respecté, nous dit-on encore, il serait possible de modifier l’application informatique sans que personne n’en voie rien pour utiliser les données biométriques à des fins d’identification d’une personne. Ce sujet mérite d’être discuté ; il fait d’ailleurs l’objet de débats entre experts.

Aussi, pour avoir une position claire et nette sur ce sujet, j’ai demandé à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, l’ANSSI, dont c’est le rôle, et à la Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État, la DINSIC, de bien vouloir se prononcer sur les dispositifs techniques à mettre en œuvre pour empêcher la réversibilité.

Je leur ai également demandé d’indiquer si le dispositif informatique tel que nous l’avons conçu permet la réversibilité et, si oui, de préciser les modifications informatiques à mettre en œuvre pour créer les conditions de la non-réversibilité.

Je l’ai dit, leur rapport sera rendu public. De plus, alors que nous n’y sommes pas obligés, nous nous conformerons à toutes les recommandations qui nous seront adressées, de manière à être absolument irréprochables quant aux garanties à donner aux Français – garanties dont nous comprenons la nécessité – en vue de dissiper les inquiétudes qui se sont exprimées.

Mais voilà que ceux-là mêmes qui regrettaient que l’ANSSI et la DINSIC n’aient pas été sollicitées pour garantir la fiabilité technique du dispositif proposé considèrent maintenant, pour des raisons de positionnement, que, quels que soient les avis rendus, ils ne seront pas suffisants !

Nous demandons ces avis, nous les rendrons publics et nous nous y conformerons parce que nous sommes l’État et que, dans l’État, il y a des agences et des directions dont le rôle est de veiller à ces garanties. Sous prétexte que ces sujets sont traités par l’État et que ce dernier agit, on ne peut pas systématiquement jeter la suspicion et faire naître des inquiétudes : à force de raisonner de cette manière sur les sujets les plus sensibles, il n’y aura plus d’État ! Or il appartient à celui-ci d’attester, en prenant toutes les précautions et en donnant toutes les garanties nécessaires, et ce dans la plus grande transparence, qu’il est dans une démarche maîtrisée, dont il rend compte et dont le contrôle peut être assuré.

Par ailleurs, j’ai indiqué devant les commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat que, par-delà ces expertises, nous étions favorables à ce que le Parlement, la CNIL et l’ANSSI viennent chaque année au ministère de l’intérieur vérifier l’adéquation entre les applications que nous déployons et les conditions dans lesquelles elles sont mises en œuvre, de manière que personne ne puisse avoir de doute sur le respect absolu de tous les principes et de toutes les règles par l’administration chargée de la gestion de ce dispositif.

Troisième objection : la base, même si elle ne permet pas la réversibilité et qu’elle est conforme au droit, pourrait être attaquée. Je rappelle que cette base fait l’objet de dispositifs de chiffrement, qui sont protecteurs et n’ont pas permis jusqu’à présent à quiconque de l’attaquer. On m’objecte alors que d’autres pays ont été confrontés à cette intrusion. Fort bien, je comprends ce raisonnement : les interrogations formulées sont importantes et nous avons des comptes à rendre à la représentation nationale et aux hautes autorités.

C’est pourquoi, dans le cadre du processus d’homologation en cours, j’ai demandé à l’ANSSI d’examiner les pare-feu que nous avons mis en place et d’indiquer dans un rapport public si oui ou non les dispositifs de chiffrement, de cloisonnement sont suffisants. Si des modifications doivent être apportées, nous le ferons, et la représentation nationale en sera informée et pourra poursuivre le débat avec nous. Si nécessaire, je modifierai le dispositif en fonction des recommandations qui nous seront adressées.

Quatrième objection, pourquoi mettre en place une base centralisée, dans laquelle l’ensemble des éléments seront inclus, au lieu d’intégrer une puce dans la carte d’identité, ce qui permet à chacun d’avoir la garantie de la sécurisation de ses documents ? Nous ne l’avons pas fait pour une raison simple : en cas de perte de la carte à puce, sans fichier susceptible de vérifier l’identité, la personne devra reprendre toute la procédure depuis le début pour faire renouveler sa carte. La réforme de simplification que nous avons mise en œuvre perdrait alors une très grande partie de son intérêt et de son efficacité.

Or les Français demandent une procédure de renouvellement de leurs documents d’identité sécurisée, rapide, simplifiée et ne souhaitent pas avoir à refaire l’ensemble des démarches en cas de perte.

Comme nous sommes très désireux, parce que totalement sincères dans les intentions qui sont les nôtres et animés de la volonté de bien faire, de voir aboutir cette réforme, nous avons fait quelques concessions, des concessions destinées à créer le meilleur équilibre possible entre la sécurisation du process que nous devons aux Français et le respect des libertés individuelles, que nous n’avons songé à aucun moment à remettre en cause.

Quelles sont ces concessions ?

D’abord, on nous objecte que les personnes enregistrées dans cette base numérisée devraient être informées de son contenu, arguant du fait qu’il n’est pas possible d’y figurer contre son gré, au motif qu’elle pourrait être utilisée à d’autres fins. J’ai déjà apporté les garanties concernant l’impossibilité d’utiliser ce fichier à d’autres fins, mais j’ai souhaité répondre à cette interrogation, que je comprends, en ne transférant à cette base numérisée que les empreintes collectées à compter du moment où la personne souhaite bénéficier du service. Si elle ne souhaite pas figurer dans la base pour des raisons qui tiennent aux préventions qu’elle peut avoir à l’encontre de celle-ci, en dépit de toutes les garanties que nous avons données, alors acceptons-en le principe. C’est une proposition que nous avons faite, et nous la mettrons en œuvre.

Cette proposition remet-elle en cause la conservation sous forme papier des empreintes digitales, comme cela se pratique depuis 1987 ? Non. Depuis cette date, on prend les empreintes. Si, demain, dans le cadre d’une affaire terroriste ou autre, nous devions répondre à une réquisition judiciaire diligentée par un juge judiciaire, dont vous avez été nombreux à considérer qu’il est toujours le juge protecteur des libertés, en lui fournissant l’accès, à partir d’une identité, aux données biométriques, afin de vérifier si la personne à l’origine d’un crime ou d’un acte terroriste est bien celle qui apparaît sur les papiers d’identité, nous serions totalement désarmés, alors que notre pays est actuellement confronté à un niveau de menaces extrêmement élevé.

La procédure ira évidemment moins vite que dans l’hypothèse où nous aurions disposé d’une base de données numérisée. Cependant, la conservation des empreintes sous forme papier, selon des modalités contribuant à renforcer considérablement la traçabilité de l’accès à ces données – dimension qui n’existait pas pour le fichier centralisé de 1987, ce qui prouve que notre dispositif est nettement plus protecteur des libertés –, permet de garantir l’identification d’une personne et de veiller à ce que la personne qui a fait l’objet d’une demande d’identification est bien celle qui a été identifiée, d’une part, et d’assurer une identification aussi sécurisée que précédemment, mais avec un meilleur équilibre entre le principe de liberté et le principe de sécurité, d’autre part.

Je sais que certains considèrent que la possibilité d’une collecte et d’une transmission facultatives des données personnelles à la base signifie la non-conservation des empreintes biométriques des Français dans le dossier au format papier. Seulement, cela reviendrait à remettre en cause tout ce qui existe depuis maintenant près de trente ans et à désarmer le pays face aux menaces auxquelles il est confronté. Je le dis très clairement : cela n’aurait pas été responsable de notre part !

Nous n’avons pas fait ce choix, car il convient de trouver le meilleur équilibre possible entre liberté et sécurité. J’assume totalement cette position devant la représentation nationale, parce que je pense qu’elle correspond à ce à quoi nos compatriotes aspirent profondément, compte tenu du niveau de menace auquel nous faisons face.

Enfin, j’ai indiqué que l'ANSSI et la DINSIC mèneront des expertises sur la mise en place du fichier et que je les rendrai publiques.

Je conclurai sur un dernier point. On nous reproche le caractère tardif de ce débat, mais la vérité oblige à dire qu’un gouvernement qui, agissant avec la volonté de moderniser un service public, utilise une base existante tout en renforçant les conditions de traçabilité et en simplifiant l’accès aux informations d’une base obsolète raccordée à la base existante est tout de même très loin en termes de perversité d’un gouvernement qui profiterait de la Toussaint pour signer en catimini un décret remettant en cause les libertés publiques !

Je rappelle d’ailleurs à ceux qui ne seraient pas tout à fait conscients des règles de droit que c’est au Conseil d’État de déterminer la liste des ministres qui signent les décrets après avoir examiné leurs décrets d’attribution, et que c’est au Conseil d’État de transférer lesdits décrets au Secrétariat général du Gouvernement après qu’ils ont été validés. En outre, il s’écoule trois semaines entre le moment où le Conseil d’État rend son avis et le moment où les décrets sont signés. Or le Conseil d’État a rendu sa position le 29 septembre dernier : il était donc assez logique que le décret soit signé à la fin du mois d’octobre !

Vous comprendrez, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il m’est extrêmement pénible de voir l’État systématiquement mis en cause et d’entendre certains alimenter la suspicion sur son action, alors qu’il s’emploie à moderniser un service public au profit des citoyens français, par souci de mieux protéger les libertés publiques et de mener les réformes de simplification que ceux-ci appellent de leurs vœux.

Je tenais à évoquer ce point au moment où nous engageons la discussion ensemble. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un débat pour solde de tout compte : il en appelle d’autres. Si M. le président du Sénat ou M. le président de la commission des lois souhaitaient procéder à d’autres auditions au terme des expertises que je rendrai publiques, ils savent que je suis toujours à la disposition du Sénat.

J’ai d’ores et déjà indiqué que le Gouvernement pourrait modifier le texte du décret en fonction des conclusions auxquelles nous conduira l’ensemble de ces débats et de ces expertises. Le Gouvernement ne fait donc preuve d’aucune psychorigidité ; il manifeste simplement la volonté de bien faire dans le cadre de son ambition de modernisation du service public. Je sais pouvoir compter sur le Sénat, que je veux remercier encore une fois pour la qualité des débats que nous avons eus jusqu’à présent.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.

Dans le débat, la parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain et citoyen.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cinq ans après le « fichier des honnêtes gens » de Nicolas Sarkozy, qui créait déjà une base centrale de données personnelles et biométriques, censurée par le Conseil constitutionnel, nous voici à nouveau confrontés à la volonté d’un gouvernement d’élaborer une base numérique permettant le fichage de 60 millions de Français !

Face aux interrogations fort légitimes qui montent tant de nos travées que de l’extérieur de nos hémicycles, on nous répond que l’esprit du décret est différent de celui de la loi de 2012, ce que vient encore de déclarer M. le ministre. Ce décret viserait principalement à atteindre l’objectif de rationalisation visé par le plan Préfectures nouvelle génération tout en permettant par ailleurs à supprimer 1 300 postes dans l’administration préfectorale.

Afin de faire des économies budgétaires, le Gouvernement a donc choisi de créer une machine infernale, un fichier centralisé qui contiendra non seulement l’ensemble des données à caractère personnel, mais aussi les données biométriques de la quasi-totalité de la population de notre pays.

Ces informations seront accessibles à un nombre impressionnant d’agents qui dépendent tout autant des services centraux des ministères de l’intérieur et des affaires étrangères que des préfectures, des sous-préfectures, des services diplomatiques et consulaires, des services de renseignement ou des communes, et j’en passe ! La photographie numérisée, donnée biométrique et donc éminemment sensible, pourrait même être accessible aux agents qui travaillent avec leurs homologues d’Interpol !

Depuis quelques années, nous assistons à une course effrénée au « tout sécuritaire », qui diminue sans cesse l’espace de nos libertés fondamentales. Cela fait plus d’un an que notre pays vit sous le régime d’exception de l’état d’urgence. Dans ce contexte, le Gouvernement crée un nouvel outil d’ingérence dans la vie privée des individus.

L’argument économique semble prendre le pas sur la préservation des libertés publiques de nos concitoyens. En effet, il existe bel et bien une alternative à la création de ce mégafichier ! La CNIL propose d’ailleurs la mise en place d’une puce sécurisée sur les cartes d’identité elles-mêmes. Nous courrions ainsi moins de risques en matière de détournement et d’atteinte au droit et au respect de la vie privée, puisque cela permettrait au détenteur de la carte d’identité d’être le seul à posséder les données biométriques le concernant. Cependant, cette alternative a été balayée d’un revers de la main, car elle a été jugée trop coûteuse.

Le second objectif du dispositif est de simplifier les procédures de délivrance des titres et de lutter efficacement contre la fraude et l’usurpation d’identité, nous dit-on. Il nous semble qu’il ne s’agit pas d’une urgence au regard de la situation économique et sociale du pays !

Hier, en commission, vous avez avancé le chiffre de 800 000 vols et faits de fraudes documentaires en France chaque année, monsieur le ministre. Pour notre part, nous avons trouvé des chiffres différents dans le dernier rapport de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, lequel comptabilisait 5 910 cas de « fraude à l’identité » en 2014. Je vous laisse mettre ce chiffre en perspective avec les 813 466 infractions à la législation du travail constatées la même année…

Au-delà d’un questionnement sur la pertinence même de la création d’un tel fichier, nous nous interrogeons sur la méthode plus que cavalière utilisée par le Gouvernement. Passer une nouvelle fois par la voie réglementaire, déniant ainsi au Parlement son rôle de législateur, participe purement et simplement du déni démocratique, …

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

… et c’est d’autant plus vrai que le sujet touche aux libertés fondamentales !

Monsieur le ministre, vous nous dites que le choix du décret s’est fait sous le contrôle et suivant les recommandations du Conseil d’État, saisi pour avis.

Nous disposons nous aussi de cet avis. Or vous avez omis de nous signaler que celui-ci précise que « compte tenu de l’ampleur du fichier envisagé et de la sensibilité des données qu’il contiendrait, il n’est pas interdit au Gouvernement […] d’emprunter la voie législative ».

Vous avez concédé aujourd'hui un débat public au Parlement – nous vous en remercions ! – et une consultation citoyenne via le Conseil national du numérique. Toutefois, cela est loin d’être suffisant !

En effet, la voie réglementaire représente un danger démocratique à elle toute seule, facilitant la transformation de cette base de données à des fins d’identification. Comme chacun le sait, rien ne sera plus facile que de transformer d’un trait de plume ce fichier d’authentification en véritable fichier de police, facilitant la recherche de l’identité d’individus à partir de leurs empreintes ou de leur photographie.

En outre, l’argument du verrouillage juridique ne tient pas. Si le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont validé la constitution d’un fichier à des fins d’authentification, ils l’ont fait à la condition que la mise en œuvre prévue soit adéquate et proportionnée à un objectif d’intérêt général. Qui nous dit que, dans le futur, dans un contexte de menace terroriste, par exemple, l’on ne jugera pas que l’accès à cette gigantesque base de données personnelles et biométriques à des fins d’identification relève justement de l’intérêt général ?

Je ne débattrai pas ici de l’utilisation du mégafichier des titres électroniques sécurisés par de futurs gouvernants qui bafoueraient les libertés publiques, monsieur le ministre. Ceux-là, nous les combattons au quotidien pour qu’ils n’arrivent jamais au pouvoir !

Enfin, je ne reviendrai pas sur les risques que l’on court à constituer un tel fichier numérique centralisé, alors que nous disposons de pléthore d’exemples de piratages à grande échelle dans les autres pays. Sur la question de la vulnérabilité informatique d’un tel fichier, nous partageons l’opinion du ministre de la justice, Jean-Jacques Urvoas. Je ne parle pas là de sa position actuelle, mais de celle de 2012, lorsqu’il était vent debout contre le « fichier des honnêtes gens ». Il nous disait alors qu’« aucun système informatique n’est impénétrable », que « toutes les bases de données peuvent être piratées » et que « ce n’est toujours qu’une question de temps ».

Je ne pense pas me tromper en déclarant que dans ce laps de temps de cinq ans qui nous sépare de la dernière mandature, les recherches sur les technologies de l’information et de la communication n’ont pas permis de trouver le moyen de rendre un système informatique infaillible.

Monsieur le ministre, l’art rhétorique que vous maniez – avec une grande aisance, j’en conviens – depuis quelques jours afin de nous persuader qu’il s’agit d’un décret purement technique qui a pour objet de simplifier les procédures ne nous convainc pas ! On ne peut pas nier l’évidence : vous êtes en train de construire un mégafichier digne du monde d’Orwell !

C’est pourquoi nous vous demandons de retirer ce décret qui, tant sur le fond que sur la forme, constitue un véritable déni des valeurs démocratiques et une atteinte profonde aux droits des citoyens de notre pays !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour le groupe du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le principal objectif d’une innovation consistant à créer ce fichier TES devrait être de sécuriser les titres d’identité des individus, objectif qui n’est contesté par personne. Le nombre des titres douteux, nous dit-on, est de l’ordre de 800 000 par an, et les conséquences sont catastrophiques pour ceux de nos concitoyens qui subissent une usurpation de leur identité.

Toute la question est de savoir comment sécuriser les titres d’identité des Français sans insécuriser leurs libertés, non seulement aujourd’hui – ce qui ne devrait poser absolument aucun problème –, mais aussi à l’avenir ! Je n’ai pas besoin de vous rappeler les précédents épisodes de notre histoire nationale en la matière…

Si j’ai bien compris ce que nous ont dit les différents intervenants que nous avons auditionnés, plusieurs options s’offraient au Gouvernement : un fichier centralisé et sécurisé, la délivrance de titres individuels eux aussi sécurisés par une puce ou une autre technique, ou des fichiers décentralisés rendant plus difficile la reconstitution des données. La liste n’est évidemment pas limitative.

On peut regretter que cet éventail de possibilités techniques n’ait pas été ouvert et encore moins soumis à évaluation. Cependant, maintenant que la décision a été prise de choisir ce fichier centralisé, force est de reconnaître que le dispositif proposé assure le maximum de garanties possibles. M. le ministre nous en a livré les détails dès son audition, hier, et vient de le faire de nouveau. Je n’y reviendrai pas, car il défend bien mieux son projet que je ne le ferais.

Je souhaite simplement souligner certaines innovations de dernière minute qui me paraissent tout à fait intéressantes, comme le choix de se plier aux demandes de la CNIL ou de l’ANSSI en matière de sécurisation des fichiers, ou encore la décision de laisser la liberté aux intéressés de ne pas figurer dans le nouveau fichier.

Compte tenu de ces éléments, on ne peut pas faire le reproche au Gouvernement de vouloir attenter à nos libertés.

En réalité, le problème est ailleurs. Selon moi, il concerne plutôt le nombre des personnes qui ont accès au fichier, même si une telle difficulté paraît assez facile à résoudre.

Le problème a surtout trait au fait que nous ne pouvons pas être certains que ce fichier ne pourra pas servir à un autre usage que celui pour lequel il est prévu et que rien ne garantit que quelques politiciens ou officines mal intentionnés ne décideront pas progressivement de combler les vides laissés dans le fichier par ces « mauvais » citoyens qui ne voudraient pas y figurer.

Alors pourquoi ne pas avoir retenu d’autres dispositifs au terme d’une évaluation avantages-inconvénients, étant entendu qu’aucune technique ou technologie ne présente que des avantages ? Il me semble que commencer par là aurait été une bonne démarche.

M. le ministre a déjà répondu à cette question : s’il a choisi un fichier centralisé, c’est parce que ce fichier était déjà à portée de main ! Je ne force pas le trait. Vous l’avez dit, monsieur le ministre : en vérité, cette réforme est un sous-produit du plan Préfectures nouvelle génération. Le fichier existait, cela ne coûtait pas cher de l’utiliser ! De plus, cela permettait de financer la gratuité de la carte d’identité grâce au droit sur les passeports. Vous avez ainsi répondu à ma question, et tout ce que vous venez de dire à propos de la réforme des préfectures est parfaitement exact. Cependant, peut-on engager une réforme de cette ampleur simplement pour compléter la réforme des préfectures ?

Reste à savoir si le fait qu’existent déjà un fichier comportant des informations biométriques, celui des passeports, plusieurs fichiers centraux automatisés spécifiques, le fichier automatisé des empreintes digitales, le FAED, et le fichier national automatisé des empreintes génétiques, le FNAEG, un fichier général dont la traçabilité des consultations n’est pas assurée, justifie la création d’un nouveau fichier regroupant 50 à 60 millions de personnes. Que de tels fichiers existent ne signifie pas pour autant que le dispositif doive être conservé tel quel et encore moins qu’il faille le développer !

Reste aussi à savoir si, en matière de protection des libertés, les quelques centaines de millions d’euros économisés en valent la chandelle et s’il n’aurait pas été plus judicieux de traiter le problème autrement, en commençant par envisager l’ensemble des architectures et des technologies existantes et, comme je l’ai dit, par faire un choix en fonction d’un bilan avantages-inconvénients.

Ni le risque d’alourdir les procédures des demandeurs ni le coût probablement supérieur d’un dispositif plus sûr ne justifient leur élimination a priori. Peut-être aurait-on pu aboutir au même résultat a posteriori, mais nous n’en savons strictement rien aujourd’hui… C’est vrai que la liberté a un coût, mais, vous en conviendrez avec moi, elle n’a pas de prix !

Applaudissements sur les travées du RDSE. - Mme Esther Benbassa applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour le groupe UDI-UC.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Loïc Hervé

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, partons d’un constat simple à propos de la question qui nous occupe cet après-midi : le Gouvernement est passé en force ou, du moins, a pris ce décret en catimini !

Je ne vise évidemment pas la polémique sur la date de signature du décret. Hier, vous avez clairement indiqué devant la commission des lois que c’était absolument involontaire de votre part et que le ministère de l’intérieur se souciait peu des jours fériés, compte tenu de l’ampleur de la tâche qui est la sienne. J’en prends acte.

En revanche, ce qui était parfaitement volontaire de votre part, c’était de vous épargner un débat parlementaire sur le sujet, un débat dans lequel notre Haute Assemblée doit jouer pleinement son rôle en faisant notamment valoir son expertise de longue date sur la question.

Je rappelle que la loi de 2012 sur la protection de l’identité est issue d’une proposition de loi sénatoriale et que le Sénat a publié de nombreux rapports sur le sujet. Le groupe UDI-UC s’est largement impliqué sur ces questions, au travers notamment du rapport de notre collègue Catherine Morin-Desailly en 2013, intitulé L’Union européenne, colonie du monde numérique, qui évoque de manière explicite le privacy by design.

Le fait qu’un débat ait finalement lieu aujourd’hui est un bon signe pour la démocratie et pour le Parlement : le Gouvernement n’a pas réussi à passer sous silence le changement très important qu’il entendait engager en matière de gestion des titres d’identité et, au-delà, le débat sur la création d’un fichier réunissant à terme les données biométriques de tous les détenteurs d’un titre d’identité.

En soi, monsieur le ministre, le contrôle de l’action du Gouvernement par le Parlement ne peut pas être taxé de « suspicion ». Il relève de l’exercice d’une prérogative que nous confère la Constitution !

Le bien-fondé des objections faites au Gouvernement est attesté de toute part. Certaines autorités ou instances indépendantes ont fait entendre leur voix, comme la CNIL ou le Conseil national du numérique.

Au-delà, c’est le Gouvernement lui-même qui met en lumière ces objections, puisque l’un de ses membres, votre collègue Axelle Lemaire, a clairement affiché ses réticences par voie de presse au moment de la création du fichier. Vous-même, monsieur le ministre, en acceptant d’organiser a posteriori ce débat, vous faites d’une certaine façon machine arrière et amende honorable !

M. le ministre fait un signe de dénégation.

Debut de section - PermalienPhoto de Loïc Hervé

Voilà pour la forme. Sur le fond, l’introduction de la possibilité pour chaque citoyen de s’opposer à ce que ses propres données biométriques soient inscrites dans la base centrale, ce que l’on appelle l'opt-out, remet profondément en cause la philosophie initiale de votre projet. Vous vous êtes défendu de créer un fichier à trous. Je n’ai pas été convaincu par vos arguments, monsieur le ministre : certaines personnes refuseront l’intégration de leurs données biométriques à la base, d’autres l’accepteront. On aboutira ainsi à un résultat insatisfaisant et incohérent, puisque le fichier sera incomplet.

Le résultat sera insatisfaisant sur la forme, tout d’abord, car une question aussi importante devrait donner lieu, selon nous, à un débat suivi d’un vote. Si l’on se réfère souvent à notre Constitution, ce que vous avez fait, il est également bon en ces temps incertains de fréquenter les écrits d’Alexis de Tocqueville. Je ne doute d’ailleurs pas, monsieur le ministre, que vous vous livriez régulièrement à ce type de lecture…

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Et il n’est pas le seul !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Loïc Hervé

Pour Tocqueville, « lorsque le souverain est électif ou surveillé de près par une législature réellement élective et indépendante, l’oppression qu’il fait subir aux individus est quelquefois plus grande ; mais elle est toujours moins dégradante parce que chaque citoyen, alors qu’on le gêne et qu’on le réduit à l’impuissance, peut encore se figurer qu’en obéissant il ne se soumet qu’à lui-même, et que c’est à l’une de ses volontés qu’il sacrifie toutes les autres. »

Ensuite, le résultat sera insatisfaisant sur le fond : avec l’introduction de l’opt-out, le projet actuel du Gouvernement est devenu hybride et instable. Elle le vide d’une partie de sa substance.

Selon moi, nous devrions nous prononcer en faveur de l’une des deux options suivantes : le fichier TES dans sa version initiale, c’est-à-dire sans opt-out, d’une part, ou une carte d’identité contenant ces données biométriques, c’est-à-dire la seule véritable contre-proposition permettant de sécuriser les titres d’identité tout en évitant de facto la constitution d’un mégafichier, d’autre part.

D’un point de vue intellectuel, ces deux options se justifient, la vôtre, le fichier TES initial sans opt-out, en raison de son efficacité, de la sécurisation et de la simplification qu’elle procure, notamment lors du renouvellement des titres, mais également la solution consistant à inscrire les données biométriques uniquement sur la carte, puisqu’elle assure le même degré de sécurisation et élimine les dangers et les craintes inhérents à la création d’un mégafichier. Cette solution technologique, qui apporterait de vraies garanties en termes de libertés publiques, positionnerait notre pays à l’avant-garde en matière technologique.

La sécurisation des titres d’identité constitue un enjeu qu’il ne s’agit pas de minimiser. Près de 800 000 personnes ont déjà été victimes de fraude identitaire dans notre pays. Ce chiffre démontre à lui seul l’importance du sujet. Les victimes se retrouvent le plus souvent dans des situations administratives et personnelles inextricables, la fraude identitaire étant souvent le moyen de commettre d’autres infractions, notamment des escroqueries : une fois l’identité d’une personne usurpée, quoi de plus facile que d’aller contracter des achats à crédit, dont les échéances seront effectivement supportées par la victime !

Il est d’autant plus indispensable que le Gouvernement se saisisse de cette question que nous nous trouvons dans un contexte de menace terroriste. Là aussi, ne minimisons pas les dangers encourus !

La question n’est donc pas de savoir si le système actuel est satisfaisant. La réponse est évidemment non ! Il s’agit de savoir si le nouveau système mis en place atteint un double objectif, la sécurisation maximale des titres d’identité et la préservation des libertés publiques.

Oui, la sécurisation des titres d’identité implique de relever et de conserver des données biométriques. Cela ne me pose aucune difficulté : c’est aujourd’hui le seul moyen de garantir une authentification fiable des individus.

En revanche, le point qui suscite de vives inquiétudes pour nombre de mes collègues et moi-même est la suivante : que fait-on de ces données sensibles ? Plus précisément, pouvait-on éviter la mise en place d’une base centrale avec tous les inconvénients que cela entraîne ?

De mon point de vue, la réponse est oui ! Vous ne l’avez d’ailleurs pas caché, monsieur le ministre, il serait possible de conserver ces données au moyen d’une puce sur le titre lui-même. C’est d’ailleurs la technologie utilisée aujourd’hui pour les passeports, lesquels disposent d’une puce, ce qui ne sera pas le cas demain des nouvelles cartes nationales d’identité, si j’ai bien compris.

Ce système ne présente pas que des avantages, j’en ai bien conscience, notamment parce qu’il implique de repartir de zéro à chaque renouvellement de la carte. Nous y perdrons en matière de simplification, c’est indéniable, mais nous éviterons ainsi la constitution d’un mégafichier, dont on ne pourra malheureusement jamais garantir l’inviolabilité absolue, quels que soient les avis de l'ANSSI et de la DINSIC que vous avez décidé de solliciter a posteriori.

Même si vous nous apportez aujourd’hui les garanties matérielles et juridiques que ce fichier n’a d’autre effet que de permettre l’authentification des personnes et non leur identification, rien n’empêchera demain que l’on en change les finalités, une fois le mégafichier constitué. À ma connaissance, cet inconvénient disparaîtrait si les données étaient conservées directement sur la carte.

À titre personnel, j’exprime donc une nette préférence pour une solution fondée sur la sauvegarde des données au niveau de la carte elle-même, solution qui permet à chaque citoyen de conserver lui-même la maîtrise de ses données, lesquelles consacrent d’un point de vue philosophique la prolongation même de la personne humaine.

À ma connaissance, nous serions actuellement les seuls en Europe à recourir à une base unique et centralisée pour les cartes d’identité et les passeports. Ce simple élément de droit comparé devrait nous amener tous à réfléchir…

Je regrette que le Parlement n’ait pas eu à trancher cette question par un vote clair à l’issue d’un débat démocratique.

J’en viens à ma conclusion. La solution que nous vous proposons, monsieur le ministre, est une solution d’apaisement : tout d’abord, la suspension du décret ; ensuite, la mise en place une expérimentation.

Cela permettrait sans doute de lever un certain nombre de craintes. Cela permettrait aussi de rassurer les maires, qui ne comprennent pas que l’État mette en place un système de délivrance de titres d’identité qui fasse abstraction de la notion de proximité et qui entraîne des coûts supplémentaires. Cela permettrait aussi à notre pays d’être en pointe dans le domaine technologique, et ce dans le respect de notre bien le plus cher, la liberté individuelle !

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur certaines travées du RDSE. – M. le président de la commission des lois et Mme Esther Benbassa applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à Mme Esther Benbassa, pour le groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par un décret du 28 octobre 2016, publié au Journal officiel du 30 octobre 2016, en plein week-end de la Toussaint, le ministère de l’intérieur a mis en place un traitement automatisé des données à caractère personnel avec le fichier des titres électroniques sécurisés, les TES.

En pratique, ce fichier est le produit du transfert de deux fichiers informatiques existants : le fichier national de gestion, qui regroupe les informations enregistrées lors de la création d’une carte nationale d’identité, et le système TES, son équivalent pour les passeports, avec une longue liste de données personnelles qui seront, à terme, celles de la quasi-totalité de la population française.

L’objectif que vise l’exécutif avec le fichier TES est d’authentifier les personnes pour lutter notamment, à bon escient bien sûr, contre la fraude et l’usurpation d’identité. Toutefois, ce fichier pourrait un jour également servir à les identifier.

Malheureusement, la création de ce fichier ne peut pas être considérée comme une simple mesure de simplification administrative. Les enjeux sont en réalité bien plus importants et il semble que l’exécutif n’en ait pas pris la mesure.

Les réserves, voire les critiques, à l’endroit du fichier TES proviennent de toute part et, en premier lieu, de spécialistes en la matière, comme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique et de l’innovation, la CNIL, ou encore le Conseil national du numérique. Le 7 novembre, ce dernier a même appelé le Gouvernement à suspendre la mise en place de ce fichier.

La CNIL s’inquiète à juste titre de la concentration des données biométriques au sein d’un même fichier, en particulier des images numérisées des empreintes digitales et de la photographie de l’ensemble des demandeurs de cartes nationales d’identité et de passeports.

Il n’existe pas de garanties techniques absolues, monsieur le ministre. Les fichiers peuvent être piratés et ce sont les données biométriques de 60 millions de personnes qui pourraient être utilisables à des fins au mieux commerciales, au pire criminelles. En matière de sécurité informatique, on sait que la centralisation représente un risque majeur. En outre, les données biométriques ne sont pas des données comme les autres.

Dans le même sens, les garanties juridiques et politiques que vous nous présentez aujourd’hui ne sont pas immuables.

Il s’agit de faire preuve de réalisme : ce gouvernement ne sera plus, dans quelques mois, à la tête de l’État.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Dans un pays comme le nôtre, qui, par le passé, a fait un usage impardonnable de ses fichiers, un usage ayant coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes, il est difficile de prétendre que ce fichier ne pourra pas, dans le futur, être utilisé à d’autres fins par un quelconque régime peu démocratique et peu soucieux des libertés individuelles.

Avec la montée des populismes en Europe et aux États-Unis, on n’a pas le droit de faire des paris sur l’avenir avec autant de légèreté.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

De surcroît, et comme le déplore le Conseil national du numérique, la publication de ce décret n’a fait l’objet d’aucune concertation préalable et d’aucun débat.

Monsieur le ministre, le groupe écologiste, dont je porte la voix aujourd’hui, vous appelle, afin d’éviter les dérives qui pourraient découler de la constitution d’un tel fichier, à suspendre immédiatement sa mise en œuvre au bénéfice d’un travail d’aménagement des données, notamment de suppression des empreintes digitales.

Je souhaiterais en dernier lieu faire état de l’implication de la société Amesys dans le pilotage de ce fichier TES.

Depuis la mort de Mouammar Kadhafi, à la fin de 2011, de nombreuses preuves accusent cette entreprise d’avoir vendu des technologies de surveillance des télécommunications au régime de l’ancien dictateur libyen, lequel se serait servi de ces dispositifs pour arrêter et torturer des opposants.

Vous m’avez répondu hier, monsieur le ministre, mais même si cette entreprise a été rachetée à la fin de 2010 par Bull, et si cette prestation a été attribuée à son nouvel acquéreur, à la suite d’un marché public, le fait que le capital change de mains ne donne aucune garantie sur le changement des méthodes employées. Voilà encore un point qu’il convient de ne pas sous-estimer !

Nos craintes restent donc intactes, malgré les garanties juridiques et informatiques que vous nous avez données avec une grande assurance. Nous aurons eu au moins le mérite d’avertir.

Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe CRC et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à M. Alain Richard, pour le groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si vous en êtes d’accord, repartons dans ce débat d’un impératif premier de service public.

L’État doit disposer d’un outil permettant à l’administration de délivrer des cartes d’identité et des passeports aux citoyens dans des conditions de sûreté et d’efficacité maximales.

Le besoin, pour les citoyens, de disposer de ces titres sans interruption et sans risque est amplifié, nous le voyons tous les jours, par les conditions de vie offertes par la société actuelle. La forte mobilité des personnes, la multiplicité des transactions et des démarches imposant une authentification personnelle, les questions, aggravées ces derniers temps, de sécurité dans les lieux publics font de la détention d’un document d’identité sans risque de perte ou de vol une nécessité première pour la vie démocratique et pour la vie quotidienne des citoyens.

Or les menaces sur ce support premier de nos libertés individuelles se sont amplifiées, avec le vol et la réutilisation de cartes d’identité – donc l’usurpation d’identité – et le développement de la circulation des faux documents. Puisqu’un débat un peu confus s’est établi sur ce sujet, monsieur le ministre, je vous serais reconnaissant de revenir, dans votre réponse finale, sur le nombre de ces infractions, leur évolution en tendance et les risques qu’elles représentent.

S’agissant, en particulier, des usurpations d’identité, nous avons tous reçu des témoignages, souvent déchirants, des multiples préjudices que celles-ci entraînent pour les victimes, avec, évidemment, des effets aggravés lorsque ces victimes sont des personnes vulnérables, peu préparées aux procédures administratives, démunies devant la complexité de la justice pénale.

Je crois donc que la nécessité de constituer un mécanisme performant pour garantir aux Français la délivrance rapide, en toutes circonstances – notamment défavorables –, d’un titre rigoureusement sécurisé ne suscite pas le moindre doute.

Je tiens d’ailleurs à exprimer ma gratitude à l’égard du Conseil national du numérique et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés pour avoir clairement indiqué qu’ils partageaient pleinement cet objectif de service public prioritaire.

Le débat, notamment avec les représentants de la société civile, porte, non pas sur la nécessité de disposer d’un outil de création, délivrance et sécurisation des titres – c’est un rôle primordial de l’État dans une société mobile –, mais, à la rigueur, sur certains points de méthode pour atteindre un tel objectif.

Il est une première question appelant encore des précisions de la part du Gouvernement, après les échanges qui ont déjà eu lieu : quel est le droit applicable, après le décret du 28 octobre, s’agissant de l’accès aux données personnelles, y compris à la composante biométrique du fichier ?

En toute logique, les premiers à avoir accès aux données d’identification sont les opérateurs du système.

Ces derniers sont strictement énumérés dans le décret, mais qu’en est-il des circonstances dans lesquelles ils peuvent saisir le fichier ? Je comprends, pour ma part, qu’il faut une demande de l’intéressé, dans le cadre d’un renouvellement du document d’identité ou d’une plainte pour perte ou subtilisation de la pièce d’identité.

Je suppose qu’il existe un deuxième angle d’accès au fichier, par le biais de la justice pénale.

Lorsqu’une enquête pénale, bien entendu encadrée par toutes les protections de la procédure pénale, justifiera que l’on accède à ces données, sur réquisition d’un juge, cet accès sera, me semble-t-il, possible. Mais se limitera-t-il aux données alphanumériques du fichier ou concernera-t-il aussi les données biométriques ?

Cet accès au fichier m’apparaît comme une clé pour le respect de l’État de droit, lequel exige aussi que la justice puisse mener son action, y compris en ayant recours au fichier.

Je vous serai reconnaissant, monsieur le ministre, de nous fournir quelques précisions sur le sujet.

La deuxième question, centrale, porte sur la sécurité d’un fichier promis à une longue durée d’existence – vous nous avez rappelé, monsieur le ministre, que le précédent remontait à vingt-neuf ans – et soumis à une utilisation intensive. Avec 60 millions de titulaires de titres d’identité, j’imagine en effet que les demandes de renouvellement de carte se comptent par centaines de milliers chaque mois.

Le débat et l’expérience nous enseignent que les cyberattaques et les opérations de hacking peuvent présenter des aspects inattendus ou imprévus.

Dans son intervention d’hier, le président du Conseil national du numérique nous a apporté deux informations essentielles : d’une part, au vu des sécurités déjà acquises dans le fichier tel qu’on l’analyse aujourd'hui, la potentialité d’une attaque réussie paraît extrêmement faible – le fait qu’il ne s’en est pas produit depuis huit ans sur le fichier existant des passeports en est la meilleure démonstration – ; d’autre part, et c’est une observation qui fait réfléchir, si une telle attaque réussissait un jour, le dommage serait évidemment massif.

Par conséquent, est-il envisageable, maintenant ou lors d’une révision, de faire encore évoluer l’architecture de ce fichier, de manière à empêcher qu’une attaque qui finirait par aboutir ne donne accès, d’un seul coup, à l’ensemble des données ?

Cette centralisation que l’on pourrait qualifier de « partagée » ou « cloisonnée » – j’improvise, n’étant pas expert – serait mise en œuvre, en préservant, naturellement, la fonctionnalité première du fichier, c'est-à-dire l’efficacité et la quasi-immédiateté de la délivrance des titres, notamment pour les personnes mises en difficulté par la perte du leur.

La dernière question concerne l’évolution ultérieure du fichier, puisque, comme je l’indiquais, celui-ci s’inscrit dans la durée. En particulier, comment vérifiera-t-on, dans le temps, le maintien de son inviolabilité ?

À l’occasion de votre passage en commission hier, monsieur le ministre, vous avez évoqué le projet – que vous venez à nouveau de mentionner – de faire réaliser un contrôle périodique des fonctionnalités du fichier et de ses éventuelles vulnérabilités. Cette mission serait confiée à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, l’ANSSI, et à la direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État, la DINSIC, deux instances qui, au dire même du président du Conseil national du numérique, offrent un savoir-faire parmi les meilleurs du monde en matière de sécurité numérique.

Il serait, me semble-t-il, peu responsable que les résultats, notamment critiques, de ces contrôles périodiques soient rendus publics, car ils pourraient évidemment intéresser des utilisateurs « adverses ». Toutefois, vous paraît-il concevable qu’ils soient partagés avec des instances représentatives et responsables, comme, justement, le Conseil national du numérique et la CNIL ?

Nous jouons ici notre rôle de sénateurs, monsieur le ministre, comme contrôleurs du Gouvernement et comme vigies en matière de libertés. Je crois que ce débat, qui est bienvenu, sera constructif et la disposition d’esprit dont vous avez fait preuve depuis le début des discussions montre bien que le Gouvernement est pleinement disposé à fournir le maximum d’arguments et de réponses, mais aussi à rechercher les solutions optimales. Dès lors, il convient de vous encourager à poursuivre et conclure ce débat.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à M. François Pillet, pour le groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la protection de l’identité, dont la lutte contre la fraude et contre les usurpations d’identité, constituait l’objet d’une proposition de loi sénatoriale de nos collègues Jean-René Lecerf et Michel Houel. Le parcours de ce texte s’acheva par une décision du Conseil constitutionnel – décision dont nous avions annoncé le contenu dans cet hémicycle –, en date du 22 mars 2012, censurant le fichier qui devait assurer son efficacité.

Dès lors que reprenant cet objectif, le Gouvernement réengage une action utile et que la prise d’un décret sur ce sujet n’est constitutionnellement ou légalement pas contestable, seules trois questions restent posées.

Première question, faut-il utiliser la biométrie pour sécuriser l’identité ? Passons très vite, l’utilisation, au moins dans ce domaine précis, de la biométrie n’étant plus sérieusement contestée.

Deuxième question, faut-il mettre en place un fichier central d’identité biométrique ?

Même si ce dispositif ne prémunit pas totalement contre une usurpation initiale d’identité, d’où l’intérêt, également, de porter son attention sur les vérifications opérées en amont dans la chaîne de l’identité, il interdit la multiplication de fausses identités ou d’identités usurpées. Pour parvenir au but recherché, c’est de l’avis quasi général l’option la plus efficace.

Pour autant, une vigilance accrue et permanente doit présider à sa mise en œuvre, car si l’utilisation ponctuelle à des fins de recherche criminelle de fichiers limités dans leurs étendues ne fait pas débat, la question peut se poser s’agissant d’un fichier aussi vaste – il comprendra toute la population et croisera les identités civiles et légales et les identités physiques.

Il faut admettre, comme Mme la présidente de la CNIL nous y a invités hier, lors de son audition par la commission des lois, que les caractéristiques exceptionnelles de ce fichier font franchir un cap dans la conception que l’on se fait de notre société. Pour reprendre ses propres mots, ce fichier provoque un « changement de notre rapport à la démocratie ».

On peut comprendre toutes les raisons conduisant à refuser l’existence même de ce fichier. Mais il faudra dès lors, par cohérence, admettre et sans doute prévoir la destruction du fichier créé pour les passeports biométriques, fichier recensant déjà 29 millions de personnes et susceptible d’atteindre les 60 millions de personnes de manière tout à fait naturelle, dès lors que la détention d’un passeport aura poursuivi son extension parmi la population. On imagine les conséquences qu’un tel retour en arrière engendrerait sur la circulation internationale de nos concitoyens et sur leur propre sécurité !

Aussi, ce sont les réponses apportées à la troisième série de questions qui apparaissent, seules, déterminantes : quelles finalités assigner à tout fichier central d’identité biométrique et de quelles garanties entourer un tel dispositif ?

La proposition de loi de nos collègues Jean-René Lecerf et Michel Houel se donnait pour finalité exclusive la gestion et la sécurisation des titres d’identité. Monsieur le ministre, vous nous avez assurés à plusieurs reprises, et de la façon la plus claire, que c’était également votre seul objectif et nous n’avons aucune raison de ne pas vous croire.

Puisque le fichier TES ne pourra servir à d’autres fins que celles pour lesquelles il a été initialement constitué, il ne reste plus qu’à le doter d’imparables garanties.

Celles-ci ne peuvent être que de deux types : des garanties juridiques et des garanties techniques.

Indépendamment de leurs finalités – apporter des limites légales à l’accès du fichier, organiser des contrôles de son fonctionnement, tracer ses interrogations –, nous conviendrons tous et toutes que les garanties juridiques de tous ordres, aussi nécessaires et solides qu’elles soient, ne sont par nature ni absolues ni surtout définitives. Qu’elles proviennent de la loi, ou même de la Constitution, ces règles sont mortelles !

Ne reste donc, en dernier lieu, que les garanties techniques pour apaiser définitivement nos inquiétudes face à la création de ce que j’avais dénommé à l’époque le « fichier des gens honnêtes ».

Pour nous prémunir de toute atteinte aux libertés individuelles, ce fichier doit servir la protection de nos concitoyens, en authentifiant leur identité sans jamais pouvoir permettre leur identification.

La question cruciale est celle-ci : avons-nous la certitude que ce fichier ne pourra jamais entamer une quelconque métempsycose ?

Question ultime, avons-nous la certitude de sa totale et définitive irréversibilité ?

Vous l’avez confessé hier, monsieur le ministre, vous n’êtes pas technicien. Voilà d’ailleurs, avec certitude, un point de ressemblance entre nous ! Or notre interrogation dépasse l’expression de l’insoupçonnable honnêteté de votre volonté.

Dans nos échanges d’hier, vous avez renforcé vos propos, en assurant que vous mettriez tout en œuvre pour que les experts ou les agences spécialisées nous apportent, dans une totale transparence, une réponse affirmative, nette, ferme et définitive. Vous avez ajouté la mise en place d’un contrôle annuel de sa pertinence.

Si ces conditions sont remplies, le débat sera clos. Mais si elles ne le sont pas, et nos auditions d’hier après-midi ont instillé encore un doute, auquel vous avez d’ailleurs laissé la place, il faudra, après avoir évidemment suspendu la mise en œuvre de votre décret, réfléchir à nouveau à la protection de l’identité par d’autres moyens, qui susciteront d’autres interrogations, comme la création d’une carte d’identité biométrique à puce, et ce sans qu’aucune donnée budgétaire n’interfère dans l’appréciation des risques encourus pour les libertés.

En toute hypothèse, je pense avoir compris au contenu et au ton de vos propos d’hier matin que la position de fond exprimée par notre assemblée en 2012, dictée par un Sénat une nouvelle fois défenseur vigilant des libertés, doit s’imposer !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à M. Jacques Bigot, pour le groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir demandé à ce que ce débat soit organisé, dans des délais extrêmement contraints pour vous, et de nous permettre, ainsi, d’échanger sur le sujet dans le cadre, naturel, de notre mission de contrôle de l’action gouvernementale.

Personne ne peut contester l’application de l’article 37 de la Constitution : celui-ci vous autorisait à prendre les mesures que vous avez prises par voie de décret.

On peut peut-être contester l’existence même de cet article 37, comme je l’ai entendu dans la bouche de la première oratrice, Mme Éliane Assassi, mais il s’agit là d’un autre sujet. Au regard de la Constitution, la position que vous avez adoptée était légitime.

Tout aussi légitime est ce débat, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, dont vous permettez la tenue. Le Parlement, en effet, ne peut que s’interroger sur ces questions.

Dans la lignée de l’intervention, comme toujours très équilibrée, de notre collègue François Pillet, j’observerai qu’on ne peut avoir, sur un sujet de cette nature, aucune garantie définitive, ni aucun débat clos. Heureusement, notre discussion ne semble pas polémique – si c’était le cas, elle serait inutile – ; savoir si elle est constructive, c’est encore un autre sujet !

Comme François Pillet l’a souligné, les garanties juridiques présentent quelques difficultés. Elles sont précisées dans le décret, comme l’a rappelé notre collègue Alain Richard, et devront être mises en œuvre en toutes circonstances.

La question des garanties techniques est beaucoup plus complexe.

L’audition du président du Conseil national du numérique, que nous avons entendu hier, nous a bien démontré que l’évolution des technologies implique une remise en cause incessante de la fiabilité des dispositifs de sécurité.

Par ailleurs, mes chers collègues, nous vivons au quotidien dans une société du numérique – n’avons-nous pas adopté une loi pour une République numérique ? Où est ma liberté individuelle lorsque je me promène avec un smartphone, qui m’identifie à tout moment et repère ma position ? L’évolution est donc considérable, et les équilibres difficiles à trouver.

Votre proposition ultime, monsieur le ministre, consistant à laisser les citoyens choisir de ne pas être inscrits dans le fichier pour la totalité des informations les conduira à se poser des questions sur les éléments qu’ils seront prêts à fournir ou pas. Mais d’autres questions se poseront aussi – sécurisation totale ou partielle du titre, accès à la dématérialisation ou à une démarche simplifiée et modernisée de renouvellement de la carte d’identité ou du passeport –, et les choix qu’ils feront seront déterminants dans la procédure mise en œuvre au moment de l’élaboration du document d’identité.

Le vrai sujet, qui reste ouvert et le restera toujours, est de savoir comment nous pouvons vivre dans cette société du numérique, en tout point révolutionnaire.

Comme cela a déjà été évoqué lors de l’examen des lois sur le terrorisme, nous ne pouvons pas passer à côté de cette révolution de société, qui, selon Michel Serres, a une portée tout aussi extraordinaire que celle de l’invention de l’imprimerie. Cette révolution, il faut bien que nous nous l’appropriions !

De plus, nous vivons dans un monde extrêmement ouvert, du fait de la mondialisation, mais aussi, dans le cadre de la construction européenne, de l’espace Schengen. Le titre d’identité, qu’il s’agisse du passeport ou de la carte nationale d’identité, est de plus en plus utilisé par nos concitoyens pour se déplacer en Europe et dans le monde et, partout, la sécurité est une exigence.

Se pose donc une dernière question, quasi technique aussi : ne serait-ce pas plus simple d’avoir, au lieu du fichier, une carte d’identité avec puce ?

Hier soir, les représentants de la CNIL comme le président du Conseil national du numérique nous ont expliqué que le risque de fraude sur les puces était beaucoup plus grand que le risque d’attaque sur un fichier centralisé, sans doute car la fraude est beaucoup plus facile sur ces dernières. De ce fait, les titres seraient moins sécurisés et les problèmes de falsification et de fraude subis par nos concitoyens plus importants.

Mes chers collègues, élaborer de telles dispositions d’ordre réglementaire, dans le cadre donc d’un décret, conformément à notre Constitution, c’est choisir un équilibre intelligent entre ce que l’on veut et les risques que l’on est prêt à encourir.

À mon sens, monsieur le ministre, et vous l’avez vous-même souligné, votre texte n’est en rien identique au projet élaboré en 2012, qui, lui, supposait de recourir à la loi, car le fichier alors envisagé était beaucoup plus largement ouvert, avec, notamment, l’idée que la carte permette la signature.

Rien de tel ici ! Il s’agit simplement de moderniser le service public de la délivrance des cartes d’identité et des passeports. À l’époque, le Conseil constitutionnel avait sanctionné la loi ; nous estimons, comme le Conseil d’État, d’ailleurs, qu’il n’aura pas de raison de le faire aujourd'hui.

Ce débat était souhaitable. Je vous remercie, monsieur le ministre, de l’avoir ouvert.

Je vous remercie également de nous rendre compte des travaux de l’ANSSI et de la DINSIC, et de faire en sorte que le système soit amélioré si, effectivement, on peut trouver des techniques apportant une plus grande sécurité à nos concitoyens.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à M. François Bonhomme, pour le groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais commencer mon intervention en saluant l’initiative de Philippe Bas, qui, au nom de la commission des lois, a demandé à obtenir des précisions sur les finalités et l’utilisation de ce qui s’apparente à un mégafichier, regroupant les données personnelles des Français.

Naturellement, comme souvent en pareil cas, la constitution d’un fichier par le ministère de l’intérieur, fut-ce par la réunion de plusieurs bases de données existantes, suscite un grand nombre de questions, tout particulièrement lorsque ce dispositif concerne potentiellement 60 millions de Français.

Le fichier dont nous discutons ici est le réceptacle de toutes les craintes, craintes parfois largement fantasmées ; il n’en demeure pas moins qu’il est inédit dans notre pays, ne serait-ce que par son ampleur.

Tout d’abord, je note que les conditions du débat sont quelque peu fragilisées.

Permettez-moi de dire à mon tour, monsieur le ministre, qu’il aurait été plus sage de veiller à ne pas publier un tel décret à l’avant-veille de la Toussaint, date qui ne me paraît pas la plus appropriée au caractère par nature sensible de cette question.

Vous êtes trop fin connaisseur pour ne pas mesurer que cela a inutilement alimenté la suspicion d’une action en catimini, selon les propres termes de la CNIL ou du secrétariat d’État chargé du numérique et de l’innovation.

En outre, l’ordre logique des choses fait défaut, car si l’on peut se réjouir de l’organisation d’un débat, même sans vote, devant le Parlement, le fait d’accéder aux demandes d’une discussion portant sur le contenu d’un décret d’ores et déjà publié et mis en œuvre comporte une contradiction un peu malvenue.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

C’est pourquoi, à ce stade, monsieur le ministre, on ne peut que souhaiter que vous tiriez toutes les conséquences de cette « session de rattrapage », si les questions soulevées depuis la parution du décret n’obtiennent pas de réponses suffisamment claires, compte tenu de l’enjeu qui nous occupe.

C’est d’autant plus important que nous nous trouvons dans un domaine où nos citoyens doivent pouvoir avoir confiance, confiance dans les services publics numériques, dans les conditions d’utilisation et d’exploitation des données de l’État, et dans leur sécurité.

La plupart d’entre nous partagent l’objectif de modernisation des bases de données, de renouvellement des titres et, bien sûr, de sécurisation des données pour lutter contre la fraude documentaire, notamment l’usurpation d’identité.

J’ajoute qu’il n’est pas nécessaire de surestimer la fraude pour justifier la création de ce fichier, comme cela a été relevé par un journal du soir.

De nombreuses interrogations ont été formulées à l’occasion des auditions qui ont été menées, hier, par la commission des lois.

Le Sénat, tout particulièrement après la décision du Conseil constitutionnel lui ayant rendu justice, a le souci de l’équilibre délicat à trouver entre la sécurité dans la délivrance et le renouvellement des titres et l’impératif de respect des libertés publiques et de protection des données privées.

Devant la commission des lois, vous avez apporté un certain nombre de garanties. En particulier, vous avez exclu la consultation de la base à partir des données biométriques et confirmer que le Conseil constitutionnel avait rendu la consultation des données biométriques en vue de l’identification impossible, garantie propre à notre État de droit.

Je n’y reviendrai pas.

En revanche, de fortes interrogations demeurent sur le plan technique.

Vous avez précisé que vous aviez saisi la direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État pour qu’elle procède à toutes les investigations qu’elle jugerait utiles et que vous rendriez public le rapport qui en découlerait. Dont acte.

S’agissant du risque de piratage, vous avez indiqué que la base ne pourrait pas être attaquée informatiquement, du fait des pare-feu que vous aviez mis en place, sans que ceux-ci, on peut le comprendre, ne puissent être rendus publics.

Enfin, vous avez affirmé votre volonté d’obtenir, pour l’avenir, un avis conforme de l’ANSSI, une homologation du dispositif avec la possibilité d’un audit auquel vous vous êtes engagé à vous conformer, en prenant, le cas échéant, toutes les mesures complémentaires qui s’imposent.

Vous nous garantissez donc que la sécurité est assurée ou, en tous cas, en voie de l’être.

Pour autant, les auditions ne nous ont pas totalement rassurés quant à ces affirmations.

Le Conseil national du numérique, qui s’est autosaisi, a rappelé les cas de piratage à grande échelle, posant de lourdes questions.

L’un des exemples avancés a été celui des bases de données de l’administration américaine, dans lesquelles les empreintes digitales de 21 millions de personnes ont été « hackées ». L’entreprise Yahoo, qui dispose des plus grands ingénieurs en informatique, s’est également fait pirater une partie de ses données. Enfin, le cas de la National security Agency, la NSA, a été évoqué.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

Ce sont autant d’exemples, en dehors des cas purement théoriques, qui doivent nous conduire à une prudence redoublée.

Selon le Conseil national du numérique, certains hackers de par le monde ont démontré qu’ils pouvaient accéder aux bases, même les plus sécurisées.

L’enjeu se situe donc, non pas tant sur le plan juridique, mais sur le plan technologique. De ce point de vue, j’ai le sentiment que nous nous trouvons dans une sorte d’« angle mort technique ». En tout cas, je me permets d’exprimer devant vous des doutes, monsieur le ministre, que vous dissiperez peut-être tout à l’heure…

Le Conseil national du numérique nous a alertés, en particulier, sur le fait qu’on ne connaissait pas l’architecture technologique et la méthodologie utilisée, qui semble essentielle pour garantir la sécurité du dispositif, étant signalé que la France possède un grand nombre d’experts dans ce domaine.

Cette question du choix technologique n’est pas anecdotique ; elle est même centrale. Ce choix technologique doit être explicité et confronté à l’opinion des acteurs du numérique. Monsieur le ministre, des experts extérieurs pourront-ils participer à la consultation pour avis ?

N’ayons pas peur, la France a la chance d’avoir une expertise propre dans ce domaine, expertise qu’il convient d’intégrer, me semble-t-il, dans le cadre de la saisine pour avis de l’ANSSI. C’est, de toute façon, le meilleur moyen d’éprouver notre système. Rien ne serait pire que la mise à jour accidentelle d’une faille majeure, car elle ruinerait durablement les objectifs de modernisation et de sécurisation par l’État des services publics numériques, l’une et l’autre allant de pair. La Cour des comptes, dans un rapport publié en février dernier, a rappelé fort à propos le retard pris en la matière et l’enjeu que cela représente pour demain.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Commission nationale de l’informatique et des libertés vient d’emménager dans de nouveaux locaux. Par une étonnante coïncidence, la façade de l’immeuble porte une plaque avec l’inscription suivante : « Dans ce bâtiment, qui abritait le Commissariat général au travail obligatoire, le 25 février 1944, un commando du Mouvement de libération nationale conduit par Léo Hamon détruisit le fichier des jeunes Français de la classe 42 susceptibles d’être appelés pour le service du travail obligatoire. »

Nos aînés ont dû lutter, à une époque terrible, pour amoindrir la menace d’un fichier centralisé.

En 1955, le souvenir de l’État français étant encore vivace, le ministère de l’intérieur a décidé d’instaurer une carte nationale d’identité facultative, gérée exclusivement à l’échelon départemental par les préfectures, pour éviter la constitution d’un fichier central.

Depuis lors, les entorses à cette règle ont été nombreuses, cela a été rappelé ; avec le fichier unique de tous les Français, vous mettez la dernière main à son abandon.

C’est dangereux, monsieur le ministre. Vous le savez bien puisque vous multipliez les garanties. Mais nous savons aujourd’hui – j’ai tant d’exemples à votre disposition ! – que les mots « fichiers informatiques » et « garanties absolues » sont contradictoires.

Les deux dangers principaux, chacun les connaît désormais : l’identification et le piratage.

Vous nous dites que le traitement ne comporte aucune possibilité d’identifier une personne à partir de ses données biométriques, qu’il s’agit d’une impossibilité juridique, mais aussi d’une impossibilité technique.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

C’est mon premier point de désaccord avec vous. Lorsqu’on dispose de deux bases de données mises en correspondance, chacun des items de la seconde étant accessible à partir de ceux de la première, l’opération inverse est évidemment possible.

Elle ne l’est pas aujourd’hui non pas pour des raisons techniques, mais pour des raisons politiques, parce que vous avez décidé de ne pas permettre cette opération, et je vous en donne acte. Mais, demain, un autre gouvernement disposant de ces deux bases de données pourra la réaliser.

Quant à l’impossibilité juridique, puis-je vous rappeler que, par le passé, la finalité de fichiers biométriques a déjà été détournée sans saisine des organes de contrôle ? Cela fut le cas pour le fichier national automatisé des empreintes génétiques utilisé, depuis 2000 et l’affaire Élodie Kulik, sur réquisitions judiciaires pour effectuer des recherches de personnes qui ne sont pas censées être dans la base. Or le fichier TES est lui aussi susceptible de réquisitions judiciaires.

La deuxième crainte s’attache à la possibilité de piratage.

Vous affirmez que la sécurité du fichier est suffisante, car les données sont protégées de plusieurs manières. Pour ma part, je n’ai qu’une certitude : en matière de sécurité informatique, aucun système n’est imprenable.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

Centraliser les données au sein d’une même base revient nécessairement à centraliser les risques. Or, depuis quelques années, on ne compte plus les exemples de fuites de données, conséquences de négligences publiques ou privées. Et vous savez que ce fichier est d’un intérêt exceptionnel pour des personnes et des institutions très puissantes qui ne nous veulent pas que du bien.

Une question à ce sujet : vous nous avez annoncé hier en commission que les traitements se feront exclusivement en France pour ce qui concerne le ministère de l’intérieur. Vous n’avez rien dit du ministère des affaires étrangères. Pouvez-vous nous confirmer que tous les traitements, pour tous les ministères, seront effectués en France ?

Vous exprimez votre souci de transparence. Mais, d’une part, notre débat est postérieur au décret, ce qui est une drôle de méthode, et surtout ce débat n’a lieu que grâce à la mobilisation de la CNIL, du Conseil national du numérique, de la presse et de la société civile. Plus que de la transparence, c’est une concession à laquelle vous êtes obligé pour éteindre un incendie que vous n’aviez pas prévu.

De la même façon, votre engagement à solliciter l’avis de l’ANSSI et de la DINSIC souligne surtout le fait que vous n’avez pas jugé bon de les consulter avant de prendre le décret. C’est regrettable, car ces deux instances ne pourront donc pas étudier les solutions alternatives, mais devront s’en tenir à votre solution, adoptée sans leur avis. Or les spécialistes nous disent que d’autres solutions sont possibles, notamment celles qui assurent une meilleure protection pour les libertés publiques et contre le piratage sans créer un fichier de toute la population française, par exemple la carte d’identité numérique.

Les deux seuls arguments contre cette solution que j’ai entendus à ce jour de votre part sont les suivants : premièrement, c’est plus cher ; deuxièmement, c’est compliqué de refaire un titre en cas de perte ou de vol. De tels arguments, au demeurant discutables selon moi, sont-ils recevables quand il s’agit des libertés fondamentales ?

La résistance de la société civile vous a inspiré une première concession : le caractère optionnel de la remontée des données biométriques dans la base informatique et l’engagement de vous conformer à l’avis de l’ANSSI et de la DINSIC. Ce faisant, vous suscitez de nouvelles questions sur l’intérêt du fichier et le débat se complique. Je vous propose donc un dernier effort pour aller jusqu’au bout de votre volonté de transparence : suspendez ce décret, comme plusieurs de mes collègues l’ont demandé, jusqu’à ce que le débat aille à son terme, que les avis de l’ANSSI et de la DINSIC soient rendus et que les solutions alternatives évoquées par la CNIL et le Conseil du numérique soient étudiées.

C’est la meilleure solution pour retrouver la confiance et parvenir de façon concertée à une solution protectrice de la sécurité, mais aussi des libertés.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne sais pas si ce débat aura intéressé tous les Français, mais en tout cas il les concerne tous individuellement, et je pense qu’il était utile qu’il se tînt. Je remercie le ministre de l’avoir provoqué.

Nous avons ici toutes les raisons de l’aborder sans préjugé défavorable, car le Sénat a en quelque sorte l’antériorité sur cette question.

Nous nous sommes préoccupés dès 2005 des détournements d’identité et des falsifications de titre d’identité. Comme l’a rappelé notamment notre collègue Alain Richard, c’est chaque fois une tragédie pour un individu, pour sa famille. Nous savons aussi que l’efficacité des forces de sécurité dans le contrôle d’identité dépend de la fiabilité des titres d’identité.

Nous avons produit un rapport voilà dix ans et déposé une proposition de loi que nous n’avons pas pu voter. Le Conseil constitutionnel nous a ensuite donné raison, en 2012.

C’est peu dire, monsieur le ministre, que vous vous exprimez devant une assemblée qui a beaucoup réfléchi à ces questions.

Y avoir réfléchi n’interdit d’ailleurs pas de prendre en compte les évolutions et de rester vigilants, car nous nous voulons non seulement une chambre de réflexion, mais également une assemblée protectrice des libertés publiques, et nous ne devons pas rester sourds.

Les inquiétudes qui s’expriment au sein de notre société ont parfois été relayées par des experts qui ont étudié ces questions de manière approfondie sur le plan technique, beaucoup mieux que la plupart d’entre nous ou vous-même, monsieur le ministre, serions capables de le faire.

Le Sénat, je le crois, partage très largement la confiance que vous exprimez à l’égard de vos services techniques comme à l’égard de l’ANSSI. Mais il observe que de grandes institutions, dans les années récentes, ont vu leurs systèmes informatiques attaqués et, malgré leur expertise, malgré la sécurité des systèmes en question, ces attaques n’ont pas toujours été vaines.

Il entend aussi les préoccupations exprimées tant par la Commission nationale de l’informatique et des libertés que par le Conseil national du numérique, et même par certains membres du gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre. Il relève que l’on trouve en Europe peu d’équivalents au dispositif que vous souhaitez mettre en place.

Tout cela justifie de notre part une certaine prudence et un doute critique. Nous n’affirmons pas le « mal-fondé » du choix que vous avez fait, monsieur le ministre, mais nous nous interrogeons véritablement.

Cette interrogation n’a pas été entièrement levée par votre audition d’hier matin et par votre propos introductif à ce débat, tant s’en faut. C’est pour nous un motif suffisant pour vous dire que, certes, nous ne contestons pas un certain nombre de points et de garanties juridiques extrêmement importants que vous avez mis en avant, mais que, pour autant, il vous faut encore travailler pour nous convaincre que le dispositif que vous souhaitez mettre en place – et que le décret permet de mettre en place – est pleinement sécurisé.

Oui à la lutte contre la fraude, oui à la protection de nos concitoyens contre les usurpations d’identité, mais à condition que les modalités de cette lutte ne portent pas atteinte plus gravement encore aux libertés et à condition aussi que ce fichier soit efficace.

À cet égard, la décision que vous avez annoncée de rendre facultative l’inscription dans ce fichier ajoute encore au doute. Pourquoi prendre la responsabilité de mettre en place un tel fichier s’il n’est pas complet, s’il comporte des trous et si, par conséquent, son utilité et d’entrée de jeu amoindrie ?

À l’inverse, si ce fichier ne présente pas toutes les garanties techniques pour éviter qu’il puisse être modifié dans son utilisation – c’est toute la question de sa réversibilité et de l’évolution dans le temps du traitement des données qu’il contient –, l’interrogation sur l’opportunité de votre décision reste entière. Nous avons besoin d’une réponse efficace au problème de la falsification d’identité sous toutes ses formes et nous avons besoin aussi de davantage d’assurances contre les dérives possibles auxquelles pourrait donner lieu un tel fichier : dérives internes qui seraient le fait de ceux qui sont chargés de l’exploiter ou attaques dont il pourrait faire l’objet de l’extérieur.

Monsieur le ministre, je rends hommage à votre effort d’explication et d’écoute, et j’apprécie votre volonté d’ouvrir vos dossiers. Je reconnais que la réponse en termes de procédure que vous avez esquissée en nous donnant l’assurance d’une consultation qui sera rendue publique de l’ANSSI, que le souhait que vous formulez d’un contrôle permanent de l’exploitation d’un tel fichier auquel le Parlement serait associé vont dans la bonne direction. En revanche, je ne pense pas que vous ayez eu raison d’altérer par avance l’efficacité de votre dispositif en le rendant facultatif.

Ma demande est tout autre, et je veux joindre ma voix à celle de la plupart d’entre vous, mes chers collègues, qui avez réclamé la suspension de ce décret.

Monsieur le ministre, depuis la décision du Conseil constitutionnel en 2012, c’est peu dire que le Gouvernement, avant de se précipiter dans la dernière ligne droite, a laissé passer beaucoup de temps. Il n’a pas été fait beaucoup de publicité autour du travail que vous n’avez pas manqué de mener, et c’est peu dire que la concertation n’a pas été au rendez-vous pour préparer la décision que vous avez prise.

Il est encore temps, en suspendant ce décret, de tester de manière approfondie toutes les fonctionnalités de votre fichier, d’évaluer sa résistance aux agressions, de consulter des experts qui ne seront pas seulement les experts des agences gouvernementales, de confronter les points de vue de ces experts, de rendre public ce dialogue des experts et, enfin, d’explorer davantage peut-être – et sans doute pour les récuser, même si on ne peut rien préjuger – les alternatives.

Je suis très sensible, pour ma part, à ce qui nous a été dit sur l’utilisation possible, sans fichier centralisé, d’une carte à puce contenant les éléments biométriques nécessaires à l’authentification de l’identité des personnes, même si ce système est moins performant pour lutter contre la fraude.

Monsieur le ministre, si vous suspendez ce décret, si vous prenez le temps – et vous en avez déjà pris beaucoup depuis 2012 – de remettre à plat la question, vous aurez le Sénat à vos côtés pour qu’une décision objective et parfaitement éclairée puisse enfin être prise.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d’abord vous remercier toutes et tous, quel que soit votre groupe politique, pour la qualité de ce débat, pour les arguments qui ont été développés, pour les interpellations que vous avez formulées et dont, vous le savez, le Gouvernement tient le plus grand compte.

Je voudrais insister sur quelques points.

Ce débat se déroule comme si l’application dont nous parlons et les fichiers dont il est question venaient d’être subitement créés, voilà quelques jours, le 28 octobre, et que rien auparavant n’existait, ou que n’existait, à entendre le président Philippe Bas, qu’un dispositif hautement recommandable ne suscitant aucune question, contrairement à celui-ci.

Je voudrais simplement, pour éclairer le Sénat, rappeler que le fichier dont nous parlons existe depuis 2008 ; c’est une application sur laquelle nous greffons les cartes d’identité. Monsieur Bas, j’ai là l’avis de la CNIL sur le fichier mis en place en 2008 par un ministre de l’intérieur qui, à l’époque, n’était pas moi et par un Président de la République qui n’était pas François Hollande.

Voilà ce que dit la CNIL : « De même, la réalisation d’une application de gestion électronique des documents, destinée à faciliter les conditions de délivrance ou de renouvellement d’un passeport, n’est pas non plus de nature à justifier la conservation de données biométriques. » Nous sommes en plein dans le débat qui nous occupe aujourd’hui.

La CNIL poursuit : « Par conséquent, même si le ministère de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales s’engage à préciser aux termes du projet de décret qu’il ne sera pas possible de procéder à une recherche en identification à partir de l’image numérisée des empreintes digitales et que le système envisagé ne comportera pas de dispositif de reconnaissance faciale à partir de l’image numérisée de la photographie, la conservation dans une base centrale des images numérisées du visage et des empreintes digitales semble disproportionnée. »

Mesdames, messieurs les sénateurs, je me permets de vous rappeler que, à l’époque, ce ne sont pas moins de huit empreintes qui étaient conservées ; désormais, on n’en conserve plus que deux.

La CNIL ajoute : « La commission considère enfin que l’ampleur de la réforme qui se dessine et l’importance des questions qu’elle peut soulever justifieraient que, comme elle l’a rappelé à plusieurs reprises, le Parlement en soit saisi sous forme d’un projet de loi, qui lui serait préalablement soumis pour avis. »

Cela signifie qu’en 2008, alors que le Sénat, comme l’a dit le président Bas à l’instant, travaillait sur ce sujet depuis 2005, la CNIL a rendu un avis sur un projet de décret relatif à une application identique à celle dont il est question à l’instant, avis dans lequel elle dit exactement la même chose qu’aujourd’hui, à une différence près, c’est qu’elle proposait qu’il y ait un débat et non pas qu’on en passât par un texte de loi.

Tous ceux qui se sont exprimés aujourd’hui à la tribune du Sénat pour nous expliquer ce que nous devions faire n’ont eux-mêmes rien fait à l’époque, pas même organisé un débat. Rien ! Pour ma part, compte tenu des interrogations que suscite cette application, strictement identique à celle de 2008, en tant que ministre de l’intérieur, je viens m’exprimer devant vous. Mais alors que la CNIL s’est exprimée en des termes identiques à ceux de 2008, on me suspecte de refuser le débat, alors même qu’aucun débat n’avait été organisé en 2008 après qu’elle eut rendu un avis similaire.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’était sans doute là une manifestation de la démocratie dans sa forme la plus pure chimiquement… Permettez-moi de vous dire, sans aucun esprit polémique, que j’éprouve quelques difficultés à accéder à ce raisonnement.

Vifs applaudissementssur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Je le répète, l’application sur laquelle nous greffons les cartes identité est exactement celle sur laquelle la CNIL avait rendu, en 2008, l’avis dont je viens de citer quelques extraits.

Je comprends toutes les inquiétudes, et j’y réponds. En outre, je le dis en toute humilité, je ne suis pas compétent en matière informatique pour estimer si telle base ou telle autre peut faire l’objet d’une attaque. Mes services me donnent des éléments sur une application qui fonctionne depuis 2008, qui n’a jamais subi aucune attaque et dont on a pu mesurer la fiabilité informatique. Ils me disent qu’il n’y a aucune raison, parce qu’elle inclut désormais le traitement des cartes d’identité, que cette base se mette subitement à « dysfonctionner » parce qu’une autre majorité accéderait au pouvoir ou qu’un autre ministre serait aux responsabilités.

Si, malgré tout, on me dit, comme vous le faites, que cette application peut connaître des dysfonctionnements, n’étant pas technicien moi-même, je saisis alors les techniciens compétents et demande à l’ANSSI, dont c’est le rôle, de s’assurer que les dispositifs informatiques de l’État fonctionnent comme ils le doivent avec le niveau de sécurité qu’on est en droit d’attendre. Je propose même que le rapport de l’ANSSI soit rendu public et m’engage à en tirer toutes les conclusions quant au contenu du décret. Et l’on m’explique – pas ici, fort heureusement, mais ailleurs – que, saisir l’ANSSI au sujet des interrogations qu’ont formulées la représentation nationale, la CNIL ou le Conseil national du numérique et rendre publiques ses conclusions, c’est utiliser des arguments d’autorité ! Mais pourriez-vous me dire ce qu’il me faudrait faire pour être agréable ?

Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Mon état d’esprit, c’est la volonté d’assurer une totale transparence et un respect rigoureux de droit. Non seulement j’entends n’attenter à aucune de nos libertés publiques, mais encore je compte les renforcer.

À l’intention notamment de M. Hervé, je rappelle qu’en 2008 il n’y a pas eu de débat, en dépit de l’avis rendu par la CNIL. Pour ma part, je me suis exprimé devant les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat, je m’exprime devant vous en séance publique et reviendrai m’exprimer autant de fois que cela sera nécessaire. Si je comprends bien vos propos, quand un débat est organisé à la demande du Gouvernement pour répondre aux interrogations, celui-ci recule ; et lorsqu’il n’organise pas de débat, il est psychorigide ! Là encore, je vous demande de me dire en toute franchise ce qu’il conviendrait de faire pour être agréable à ceux qui nous interpellent sur cette question qui demande d’être traitée avec rationalité, précision et une bonne foi partagée.

Je ne veux faire de la peine à personne, mais cela me rappelle les procès de Moscou : quelle que soit la réponse qu’on apporte à la question, on est condamné, on a tort !

Vous avez demandé que soient apportées un certain nombre de garanties. Je le redis devant la représentation nationale, je suis sincèrement animé de la volonté de moderniser un service public en utilisant une application que vous avez, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition nationale et de la majorité sénatoriale, vous-mêmes créée, qui a les mêmes caractéristiques informatiques, qui repose sur les mêmes applications et qui présente les mêmes garanties. Essayons simplement de bonne foi de cheminer ensemble en examinant comment apporter ces garanties. Je communiquerai tous ces éléments très scrupuleusement, parce que j’ai la volonté que cette réforme réussisse et que cette application fonctionne.

Je tiens à ce qu’il soit bien acté que, en 2008, en dépit de l’avis rendu alors par la CNIL et que j’ai indiqué, l’application dont on parle n’a fait l’objet d’aucun débat, n’a donné lieu à aucune discussion ; on n’a enregistré aucun frémissement à la surface de la mer… Pas moins de 30 millions de titres étaient concernés, soit la moitié du nombre des fichiers dont on parle. Mais le problème ne tient pas simplement au nombre de titres concernés, car pirater ne serait-ce que 30 millions de titres et pouvoir attenter aux libertés individuelles de 30 millions de personnes, ce serait un sujet en soi et ce serait aussi problématique que de porter atteinte aux libertés de 30 millions de personnes supplémentaires. C’est donc non pas un problème de nombre, mais un problème de principe.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous le dis avec la plus grande sincérité : je souhaite que l’on aborde ce sujet de façon non politique, si c’est possible – mais je n’ai pas beaucoup d’espoir –, et en toute rationalité – j’en ai davantage –, et que l’on essaie de trouver, en étant aussi sincères que possible les uns à l’égard des autres, un bon dispositif permettant de délivrer des titres sécurisés dans un contexte de menace élevée pour notre pays.

Je voudrais maintenant répondre à la fois à Mme Benbassa, à M. Malhuret et à Mme Assassi.

Monsieur Malhuret, vous m’aviez déjà interpellé de la sorte lors de l’examen de la loi du 21 juillet 2016 prorogeant l’état d’urgence. Vous avez fait référence, au début de votre propos, à l’inscription apposée sur la façade de l’immeuble abritant désormais la CNIL. Je veux vous rassurer au cas où vous auriez un doute : je suis un ministre totalement républicain…

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

… et je ne mets pas en place des fichiers pour qu’on puisse organiser des déportations ou mettre en place un service de travail obligatoire. Faire ce rapprochement historique entre ces fichiers d’hier, qui n’avaient ni les mêmes finalités ni les mêmes modalités de consultation, et qui n’étaient pas administrés par la même police – c’est la police de Vichy qui était en situation de responsabilité, non pas la police républicaine à la tête de laquelle je me trouve aujourd’hui –, …

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

… et ce fichier qui présente toutes les garanties, c’est un raccourci, une forme d’amalgame…

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

… et une façon de présenter les choses qui peut être blessante pour tous ceux qui travaillent à mes côtés.

Je pense au secrétaire général du ministère de l’intérieur, je pense au directeur général des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur, qui sont de grands fonctionnaires républicains et qui ont une volonté absolument impeccable de respecter les libertés publiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Il n’est pas correct de traiter l’intervention de Claude Malhuret de la sorte !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je dis simplement que ce type de propos laissant à penser que le dispositif que nous mettons en place pourrait avoir cette finalité est extrêmement blessant pour les fonctionnaires du ministère de l’intérieur, pour le ministre qui les dirige et pour ce gouvernement, parfaitement républicains.

Applaudissementssur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Entrons dans le fond des choses : quelles sont les objections que vous m’opposez, dont je tiens d’ailleurs le plus grand compte ?

Mme Assassi nous dit que le sujet est, certes, de nature réglementaire, mais que le Conseil d’État, dans son avis, estime que le Gouvernement aurait pu emprunter la voie législative. Je n’ai jamais contesté qu’on puisse introduire dans la loi des mesures d’ordre réglementaire : on le fait tous les jours. J’ai simplement dit qu’en agissant par la voie réglementaire nous nous conformions au droit.

J’ai dit aussi que, à force d’inscrire dans la loi des dispositions réglementaires, on crée une inflation législative qui empêche les assemblées de délibérer correctement et qui nous empêche de produire des lois avec une rapidité suffisante pour faire des réformes utiles. C’est un facteur d’embolie et d’affaiblissement de la démocratie, à un moment où nous avons besoin d’un État fort capable de prendre des décisions promptement sur des sujets essentiels.

Vous me demandez par ailleurs comment empêcher juridiquement une utilisation abusive du fichier par un gouvernement animé d’intentions moins bonnes.

Je dis à Mme Assassi, à Mme Benbassa, à M. Hervé et à M. Malhuret que nous sommes dans un État de droit. Je comprends et ne conteste pas qu’il puisse y avoir bien des formes de perversité numérique, mais je crois pour ma part à la force du droit. Si demain un gouvernement voulait rendre possible l’identification d’une personne par la consultation de ses données numériques, il faudrait changer la loi – ce ne serait pas possible par voie de décret – et, compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel de 2012, il faudrait modifier la Constitution. Il ne serait pas possible, mesdames, messieurs les sénateurs, de mettre en place un dispositif législatif pernicieux sans que cela se voie. Je le répète, nous sommes dans un État de droit.

Une seconde argumentation est développée : si ce n’est pas possible sur le plan juridique, il n’en est pas de même sur le plan technique. À cet égard, M. Malhuret avance plusieurs arguments. Selon lui, dès lors que l’on peut passer d’un compartiment à l’autre dans un sens, on doit pouvoir passer d’un compartiment à l’autre dans l’autre sens.

Ce fichier comporte trois compartiments étanches. L’un d’entre eux concerne les données alphanumériques, c’est-à-dire les éléments compris dans la feuille CERFA, un autre contient les données biométriques et le troisième, les pièces justificatives. On ne peut pas passer du compartiment biométrique au compartiment d’identification, mais on peut passer du compartiment qui contient les identités vers le compartiment biométrique pour les interroger.

Techniquement, la réversibilité est-elle possible ? Je constate que tous ceux qui me disent : vous n’êtes pas techniquement compétent pour nous garantir que cela n’est pas possible s’estiment tous suffisamment compétents techniquement pour me dire que l’inversion est possible. Pour ma part, aujourd’hui je ne suis pas, d’un point de vue technique, en situation de donner ces garanties. Mes services me les donnent. Il y a une interrogation : je la prends au sérieux, je saisis la DINSIC et l’ANSSI ; je rendrai public leurs rapports. C’est donc que je considère que nous sommes en situation d’apporter la réponse à cette question.

Ensuite, il m’est dit : Puisque ces rapports ne sont pas encore rendus publics, suspendez le décret. Or, je le rappelle, j’ai indiqué publiquement que l’application nouvelle ne serait pas mise en œuvre aussi longtemps que l’homologation et l’avis de l’ANSSI ne seraient pas rendus publics, cet avis étant un avis conforme.

Par ailleurs, vous comprendrez qu’un ministère comme le nôtre, confronté à des défis toujours plus divers, a besoin d’avoir des préfectures et des sous-préfectures fortes. Je viens d’ailleurs dans vos territoires pour expliquer le sens de cette réforme, qui est, vous le savez, parfaitement bien accueillie par les personnels des préfectures et des sous-préfectures.

S’agissant d’une réforme sur laquelle nous travaillons depuis deux ans, en concertation avec l’ensemble des acteurs, je ne vais pas décider de suspendre un décret sous prétexte que l’avis de l’ANSSI ne m’a pas été donné, alors même que ce décret ne sera appliqué qu’à partir du moment où l’avis de l’ANSSI m’aura été communiqué et aura été rendu public.

Je réponds aussi à M. Alain Richard et à M. le président Bas, voilà toutes les précautions que nous prenons.

Si, au terme de ces éléments, l’Assemblée nationale et le Sénat considèrent que la contribution technique de ces grands organismes au débat justifie que le Gouvernement revienne devant le Parlement et lui indique, alors qu’il s’agit d’un décret, les conditions dans lesquelles il entend le modifier pour que toutes les ambiguïtés soient levées, je le ferai. Quelles garanties supplémentaires puis-je donner ?

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Par ailleurs, monsieur Hervé, sur votre affirmation selon laquelle il faudrait un débat suivi d’un vote, je m’interroge, pour des raisons de fond. En effet, autant je comprends qu’il y ait un débat sur un décret, autant je comprends que sur un décret le Gouvernement revienne devant l’Assemblée nationale et le Sénat pour expliquer, compte tenu des débats et des expertises, comment il compte modifier ledit décret, autant, si le Parlement se met à voter les décrets, nous allons entrer dans une logique institutionnelle qui soulève à mes yeux des problèmes à l’égard des principes fondamentaux.

Souriressur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

On ne peut pas à la fois vouloir un État fort, la restauration de la capacité de l’État à manœuvrer et demander, sur tous les décrets que l’État prend sur des sujets importants – et Dieu sait qu’il est des matières importantes qui relèvent du domaine du décret –, un vote de l’Assemblée nationale et du Sénat. Si telle est votre demande, je suis désolé d’assumer avec la représentation nationale un désaccord.

Le contrôle du Gouvernement par le Parlement est fondamental, comme la prise en compte par l’exécutif des avis des autorités administratives indépendantes. Le Gouvernement doit, sur les sujets les plus difficiles, être capable de modifier sa copie en écoutant tous ceux qui peuvent lui prodiguer des conseils. Cependant, j’estime que le Gouvernement ne doit pas se dépouiller de toutes ses prérogatives réglementaires en soumettant tout le pouvoir réglementaire au vote, sans même que ces éléments soient inscrits dans la loi, car dans ce cas, la configuration institutionnelle serait différente. Je ne crois pas que l’efficacité de l’État s’en trouverait grandie.

Il est un autre point sur lequel je voudrais insister.

J’entends dire qu’aucun pays, hormis la France, n’aurait une base centralisée. Ce n’est pas vrai. J’ai ici une liste de pays qui ont des bases centralisées pour les passeports. On pense qu’ils n’ont pas de bases centralisées parce qu’ils ont des documents à puce. Or ce n’est pas vrai : ils ont des bases centralisées et des puces ! En effet, monsieur Malhuret, lorsque le document à puce est perdu, si l’on veut pouvoir en assurer le renouvellement dans des conditions de sécurité et de simplification pour l’usager, il faut aussi une base. Les Pays-Bas, l’Espagne, le Portugal, la Finlande, les pays baltes – très modernes sur le plan numérique – et le Danemark ont tous des documents d’identité à puce et une base pour les passeports. Et cette liste n’est pas exhaustive.

Ces pays ont exactement le même dispositif que celui de la France, arrêté en 2008, et compte tenu des discussions sur la biométrie en Europe, je n’exclus pas du tout que, pour la sécurisation de leurs documents d’identité, hors passeport – tous n’ont pas de cartes d’identité –, ils soient obligés d’évoluer dans la direction que nous nous sommes fixée. Par conséquent, je le répète, s’imaginer que la puce exclut la base n’est absolument pas vrai. En cas de perte du document, il est bien difficile de le reconstituer sans base numérique.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

C’est une base centralisée. Si le problème philosophique est celui de la centralisation de données biométriques dans une base, je vous indique que notre pays n’est pas le seul en Europe à avoir mis en œuvre ce dispositif pour les passeports. Affirmer le contraire n’est pas vrai.

Je voudrais évoquer un dernier point qui me paraît très important.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez bien compris l’état d’esprit qui est le mien. Nous avons engagé une réforme destinée à sécuriser des titres et à simplifier des procédures. Il y a des interrogations : notre disponibilité est totale pour y répondre. Mais soyons vigilants : le contexte actuel – ce qui s’est passé à l’occasion d’élections récentes le montre – de remise en cause et de suspicion constante à l’égard de l’État et de ceux qui en exercent la responsabilité finit par créer un climat épouvantable où la réalité devient secondaire dans les débats dont on parle et aussi dans les faits. J’ai été très heureux de constater que, lors de notre débat, nous ne nous sommes pas déconnectés de la réalité : c’est bien sur les sujets dont il est question que nous avons débattu, dans un climat où on demande des comptes à l’État sans avoir systématique à son encontre une suspicion.

(Effectivement ! sur plusieurs travées.) De nombreux acteurs détiennent des données très importantes, avec des traces multiples, et sur lesquels ne s’exerce aucun contrôle ; ce sont généralement ceux qui sont les plus enclins à demander que l’on contrôle l’activité de l’État, comme par hasard…

M. Bruno Retailleau s’exclame.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’État n’est pas le seul à détenir des données. §Cela n’exonère de rien, et je ne dis pas cela pour m’exonérer de la responsabilité qui est la mienne en matière de comptes rendus au Parlement et aux institutions multiples lorsqu’il s’agit de sujets aussi sérieux. Mais j’aimerais que ceux qui contribuent à agiter tous les lobbies lorsqu’il s’agit de ces questions s’interrogent au sujet de la traçabilité et des éléments de contrôle que nous détenons sur d’autres acteurs non étatiques auxquels on ne demande aucun compte.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

C’est tout ce que je dis. Cette question n’est ni limitée ni résiduelle.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je renouvelle mes remerciements pour la qualité de ce débat, et je redis la totale disponibilité du Gouvernement pour approfondir les questions que nous avons évoquées ensemble.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe ainsi que MM. Pierre-Yves Collombat et Philippe Bonnecarrère applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Nous en avons terminé avec le débat portant sur le décret du 28 octobre 2016 autorisant la création d’un traitement de données à caractère personnel relatif aux passeports et aux cartes nationales d’identité.

Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à seize heures quarante-cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat qu’il a été saisi le 15 novembre 2016, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante députés, de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

Le texte de la saisine est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à M. Didier Guillaume, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Je tiens à vous faire part de notre grand étonnement et de notre consternation. Oui, nous sommes consternés par ce qui s’est passé ce matin en commission des finances, après que la majorité sénatoriale a souhaité déposer une motion tendant à opposer la question préalable sur le projet de loi de finances.

Dans le contexte politique actuel, alors que la politique est parfois balayée, les élus critiqués

Mme Françoise Férat s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

J’entends bien nos divergences et la position de la majorité sénatoriale estimant que, ce budget n’étant pas sincère, étant électoral, nous ne pouvons pas l’aborder. Mais la majorité sénatoriale aurait dû nous dire dans le cadre de ce débat : sur tel sujet, je ne suis pas favorable, je veux plus de ceci, moins de cela, augmenter tel budget, réduire tel autre. Cela aurait été, me semble-t-il, de la clarté politique.

Mais démissionner ainsi sans rien faire, abandonner, refuser d’aborder dans l’hémicycle le débat, ne serait-ce que les recettes, comme vous l’aviez fait en 2013 – vous aviez rejeté la première partie et nous n’avions donc pas abordé la seconde partie –, en renvoyant les sénateurs, à partir du 24 novembre, à des discussions et des échanges au cours desquels nous n’aborderons jamais au fond le budget de la nation alors que c’est un acte essentiel, …

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Notre groupe tenait à le souligner !

Nous sommes consternés de voir que, à sept mois de l’élection présidentielle, le Sénat de la République n’abordera pas le budget. J’espère qu’en agissant ainsi le Sénat ne se tire pas une balle dans le pied

Oh ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

, car cela pourrait être interprété par les observateurs et ceux qui veulent supprimer notre assemblée comme un signe négatif.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Hermeline Malherbe et Corinne Bouchoux applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Monsieur Guillaume, acte vous est donné de votre rappel au règlement.

Mes chers collègues, je vous indique que tous les groupes pourront intervenir lors de la conférence des présidents, qui se tiendra ce soir, à dix-huit heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Monsieur Doligé, je vous la donne à titre exceptionnel, car nous n’allons pas multiplier les rappels au règlement sur ce point.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Je souhaite faire un bref rappel au règlement. La commission des finances est réunie en ce moment et, de ses membres, seuls sont en séance le président du groupe socialiste et moi-même.

Monsieur Guillaume, je regrette que vous ayez fait votre rappel au règlement en l’absence de la plupart des membres de la commission des finances et de son rapporteur général. Vous avez choisi un moment où ils ne peuvent vous répondre.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

C’est vous qui êtes responsables de cette situation : les commissions ne devraient pas se réunir en même temps que la séance publique !

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

M. Éric Doligé. Ce matin, en commission des finances, nous avons expliqué toutes les raisons pour lesquelles nous souhaitions déposer cette motion tendant à opposer la question préalable. Vous aurez la réponse demain lorsque la conférence des présidents se sera réunie et aura fixé un nouvel ordre du jour pour l’organisation de nos débats. Je regrette que vous ayez anticipé ce moment.

Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Acte vous est également donné de votre rappel au règlement, monsieur Doligé.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de financement de la sécurité sociale pour 2017 (projet n° 106, rapport n° 114 [tomes I à VIII], avis n° 108).

Nous en sommes parvenus, au sein du chapitre Ier du titre Ier de la troisième partie, à l’article 10.

TROISIÈME PARTIE

DISPOSITIONS RELATIVES AUX RECETTES ET À L’ÉQUILIBRE FINANCIER DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR L’EXERCICE 2017

Titre Ier

DISPOSITIONS RELATIVES AUX RECETTES, AU RECOUVREMENT ET À LA TRÉSORERIE

Chapitre Ier

Mesures de simplification et de modernisation des prélèvements sociaux

I. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° L’article L. 613-1 est ainsi modifié :

a) Le 8° est ainsi rédigé :

« 8° Les personnes, autres que celles mentionnées au 7° du présent article, dont les recettes tirées de la location directe ou indirecte de locaux d’habitation meublés sont supérieures au seuil mentionné au 2° du 2 du IV de l’article 155 du code général des impôts, lorsque ces locaux sont loués à une clientèle y effectuant un séjour à la journée, à la semaine ou au mois et n’y élisant pas domicile ou lorsque ces personnes remplissent les conditions mentionnées au 1° du même IV ; »

b) Il est ajouté un 9° ainsi rédigé :

« 9° Les personnes exerçant une activité de location directe ou indirecte de biens meubles mentionnée au 4° de l’article L. 110-1 du code de commerce et dont les recettes annuelles tirées de cette activité sont supérieures à 20 % du montant annuel du plafond mentionné à l’article L. 241-3 du présent code. » ;

2° La section 2 bis du chapitre III bis du titre III du livre Ier est complétée par un article L. 133-6-7-3 ainsi rédigé :

« Art. L. 133 -6 -7 -3. – Les travailleurs indépendants exerçant leur activité par l’intermédiaire d’une personne dont l’activité consiste à mettre en relation par voie électronique plusieurs parties en vue de la vente d’un bien ou de la fourniture d’un service peuvent autoriser par mandat cette personne à réaliser par voie dématérialisée les démarches déclaratives de début d’activité auprès du centre de formalités des entreprises compétent conformément aux dispositions du code de commerce.

« Lorsqu’ils relèvent de l’article L. 133-6-8, les travailleurs indépendants peuvent autoriser par mandat la personne mentionnée au premier alinéa du présent article à procéder à la déclaration du chiffre d’affaires ou de recettes réalisés au titre de cette activité par son intermédiaire ainsi qu’au paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale dues à compter de leur affiliation, au titre des périodes correspondant à l’exercice de cette activité, auprès des organismes de recouvrement concernés.

« Dans ce cas, les cotisations et contributions de sécurité sociale dues sont prélevées par la personne mentionnée au même premier alinéa sur le montant des transactions effectuées par son intermédiaire. Ce paiement vaut acquit des cotisations et contributions de sécurité sociale par ces travailleurs indépendants. »

II. – Le 2° du I du présent article entre en vigueur le 1er janvier 2018.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, tout d’abord, je voudrais insister sur le fait que le développement des plateformes de location de biens meubles ou immeubles est souvent la conséquence de salaires et de retraites insuffisants qui imposent à nos concitoyens de rechercher des revenus complémentaires.

Monsieur le secrétaire d’État, vous l’avez vous-même rappelé devant nos collègues députés, le revenu moyen généré par Airbnb en France s’élève à 300 euros par mois, soit 3 600 euros par an, tandis que celui d’un chauffeur UberPop, avant la suspension du service le 3 juillet 2015, était de 8 200 euros par an.

Les revenus complémentaires tirés des plateformes collaboratives doivent être soumis à l’imposition. Mais exiger l’affiliation au régime social des travailleurs indépendants et la soumission à cotisations de ces particuliers pose question.

L’Assemblée nationale a retenu un critère unique d’affiliation, qui est le dépassement d’un seuil de recettes établi à 23 000 euros annuels pour les locations immobilières et 7 723 euros par an pour les locations mobilières.

Pour notre part, nous aurions tendance à penser que 2 000 euros par mois sur un meublé, c’est une activité commerciale, tandis que 600 euros par mois reste un revenu de complément.

Les différents amendements qui ont pour objet soit d’unifier le seuil, soit de diminuer le seuil, à partir duquel l’affiliation au régime sociale des indépendants, le RSI, deviendrait obligatoire démontrent que, derrière la difficulté de la définition des règles d’affiliation, nous sommes d’accord pour soumettre ces revenus à contribution sociale ; nous nous en félicitons.

Cependant, nous pensons que la priorité devrait être de soumettre à contribution les plateformes dites « collaboratives » avant de concerner les particuliers qui, selon nous, sont plus des salariés de ces plateformes.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Pour l’ensemble de ces raisons, nous nous abstiendrons sur ces amendements et sur cet article, même si, sur le fond, vous l’avez compris, nous sommes d’accord pour aller dans le sens de ce qui est préconisé.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaiterais formuler quelques considérations très simples.

L’économie collaborative se développe, c’est une évolution de la société, c’est dans l’air du temps. Il s’agit d’un phénomène nouveau qui se présente à nous, et comme tout phénomène nouveau qui n’est pas encadré ou pas encore encadré, il est ou peut être sujet à dérives.

Certaines activités, par les revenus générés, relèvent plus du caractère professionnel que de pratiques occasionnelles. Une concurrence déloyale peut s’établir ou s’établit – je pense particulièrement à la location de meublés de tourisme – avec des professionnels, qui, eux, sont soumis aux règles habituelles et à des charges sociales.

Mettre un début d’ordre dans toutes ces activités, ce n’est pas combattre le dispositif. Un début d’encadrement, de régulation, avant que la machine s’emballe, qu’elle soit préjudiciable à des pans entiers de l’économie existante et à l’économie touristique en particulier, est indispensable.

Ces risques existent aujourd’hui. Voilà pourquoi le Gouvernement a souhaité légiférer. C’est une juste décision que nous approuvons. Par conséquent, nous ne voterons pas les amendements de suppression de cet article. Nous proposerons en revanche, un amendement de modification de seuil concernant les biens meubles.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

L'amendement n° 397 rectifié bis, présenté par MM. Lemoyne, Bouvard, Charon et Danesi, Mme Deromedi, MM. Frassa et Gremillet, Mme Gruny, MM. Houpert, Husson, Kennel, Lefèvre et de Legge, Mmes Lopez et Morhet-Richaud, MM. Mouiller et Panunzi, Mme Procaccia et MM. de Raincourt et Vasselle, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Procaccia

Comme l’ont exposé à juste titre mes collègues, avec cet article ayant trait aux nouvelles formes de l’économie collaborative, il semble que l’on prenne des dispositions très rapidement, avant même d’en connaître l’impact réel. S’il convient de lutter contre les abus, nous allons trop vite en besogne, en voulant assujettir un certain nombre de personnes au RSI, qui, quoi qu’on en dise, n’est pas un modèle en termes de facilité.

En effet, les dispositions de cet article 10 risquent de conduire à une taxation systématique de ces activités. Les particuliers louant leurs biens deviendront, avec les seuils prévus dans cet article, des travailleurs assujettis à des cotisations sociales. Ceux de mes collègues qui vivent en milieu rural insistent sur les incidences également importantes que pourraient entraîner ces règles dans ce secteur.

En outre, du point de vue de la concurrence déloyale des hôtels, je ne crois pas que les clients potentiels de ces plateformes désireux de retenir des appartements répondant à certains critères précis puissent trouver ceux-ci dans l’hôtellerie. Les hôteliers devraient proposer des services plus personnalisés et plus pratiques.

Pour toutes ces raisons, nous proposons de supprimer l’article 10.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Je voudrais rappeler à Mme Procaccia qu’il s’agit non pas de soumettre à cotisations sociales des activités qui auraient jusqu’à présent été exonérées, mais de clarifier la frontière entre revenus du patrimoine et activités professionnelles. On ne peut pas laisser cette économie se développer en dehors de toute règle, ou en dehors des règles qui s’appliquent déjà à ces mêmes activités sur d’autres supports.

Cet amendement étant contraire à celui qui a été présenté par la commission, celle-ci émet un avis défavorable.

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics. Je remercie tout d’abord les différents orateurs, car j’ai constaté au Sénat une volonté partagée, voire un consensus en la matière. En effet, à côté du développement très rapide d’un pan de l’économie, puisque des études montrent que les chiffres d’affaires dans les cinq à dix prochaines années vont exploser pour ces formes d’économie, chacun reconnaît qu’il faut examiner et considérer attentivement ces nouvelles activités. Celles-ci ne doivent pas constituer une sorte de ligne de fuite et de concurrence déloyale

Mme Nicole Bricq s’exclame.

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics

Madame la sénatrice, vous avez entendu comme moi les déclarations de l’UMIH ou de la FNAIM, vous avez entendu les représentants d’un certain nombre de professions. Ils rappellent qu’ils sont installés, qu’ils payent des contributions sous forme d’impôts – ce n’est pas notre sujet aujourd’hui – et sous forme de cotisations sociales et qu’ils subissent cette concurrence. Certes, vous avez raison, madame Procaccia, les services proposés diffèrent parfois, mais il s’agit assez souvent d’une forme de concurrence. Cela concerne les chambres d’hôtes, les gîtes ruraux, les hôtels, les loueurs professionnels de véhicules et beaucoup d’autres activités.

Monsieur le rapporteur général, vous avez raison, le Gouvernement entend préciser les choses de façon à faire appliquer des règles qui, il faut bien le dire, ne sont presque pas appliquées aujourd’hui.

Vous suggérez que nous nous intéressions également aux plateformes. C’est le cas, madame Cohen. Le Parlement a autorisé l’administration fiscale à demander des communications non nominatives. Nous sommes donc en mesure de demander à certaines plateformes quels sont leurs utilisateurs qui dépassent un certain niveau de revenu. Nous le faisons. Je n’en parlerai pas plus, mais, pour le dire pudiquement, des vérifications sont en cours.

Nous avons clarifié un point du texte en particulier concernant les locations immobilières : la distinction entre location occasionnelle et location régulière. Sur ce sujet, la doctrine et la jurisprudence étaient floues. Une mise en location deux mois par an tous les ans était ainsi considérée comme régulière, ce qui pose question. À l’inverse, une offre ponctuelle dans l’année était considérée comme occasionnelle.

Nous avons fait le choix de définir des seuils. La qualification d’activité professionnelle, donc assujettie à cotisations sociales, dépend ainsi de seuils, dont on peut débattre. Nous avons discuté avec des plateformes pour établir des moyennes. Il est vrai que dégager un revenu de 600 euros n’entraîne pas une obligation de s’affilier et de cotiser, c’est en dessous du seuil.

Par ailleurs, je me permets de le rappeler, la cotisation n’est pas seulement une charge, elle ouvre en effet des droits, notamment à retraite.

Nous entendons bien que certaines activités sont accessoires et nous considérons qu’elles le sont lorsque les revenus qu’elles engendrent restent inférieurs à certains seuils. Au-delà, elles prennent un caractère professionnel.

L’Assemblée nationale a proposé de les modifier, je me présente donc devant vous avec ces nouveaux seuils. Il me semble nécessaire que nous mettions en œuvre ces mesures alors que ces activités échappent aujourd’hui à toute régulation, ce qui pose un certain nombre de questions.

Nos états d’esprit sont proches, avec peut-être quelques différences. Le Gouvernement, vous l’avez compris, est évidemment défavorable à cet amendement de suppression.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Mouiller

J’ai cosigné cet amendement. Au-delà du débat sur les seuils et la nécessité de préciser s’il s’agit de revenus du patrimoine ou non, je saisis cette occasion pour relever le drôle d’état d’esprit qui règne en France au sujet des nouvelles économies.

Nous sommes face à une économie nouvelle, une économie numérique, une économie collaborative. Comme dans tous les autres pays européens, nous devrions plutôt l’accompagner en nous posant des questions en matière de création d’emplois et d’investissements. Or notre seule préoccupation est d’imposer des normes, des contraintes, des taxes, de la fiscalité, des contributions. Le message est assez étonnant !

Certes, on nous parlera de justice sociale et de beaucoup de choses de ce genre, mais, d’une façon générale, nous aurions intérêt à regarder ce qui se passe ailleurs. Nous devrions modifier notre approche générale si nous voulons, à l’avenir, avoir un autre regard sur l’économie nouvelle. Il faut un peu de modernité dans tout cela.

Très bien ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – M. Claude Kern applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Je m’associe aux propos de mes collègues Philippe Mouiller et Catherine Procaccia. L’amendement qu’ils proposent vise également à protéger l’investissement, notamment dans les gîtes ruraux.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Monsieur le secrétaire d’État, cet article est pour le moins controversé. À l’Assemblée nationale, vous avez dû faire procéder à une deuxième délibération et trouver un accord avec le groupe majoritaire sur le seuil et sur les effets de bord possibles. Ceux-ci viennent d’être signalés par ma collègue concernant les gîtes ruraux, qui sont aujourd’hui très inquiets alors qu’ils se satisfaisaient de l’équilibre trouvé en 2012.

Vous nous avez dit en commission, mais également publiquement, qu’il ne s’agissait pas d’une mesure de rendement, mais d’une mesure de régulation. Le président Obama a une formule très imagée : quand on a un marteau dans la main, on tape forcément sur le clou ! Aujourd’hui, nous tapons sur un secteur qui est en train de se développer. Or je fais partie de ceux qui considèrent qu’il peut trouver sa place dans l’économie sociale et solidaire.

Au nom d’intérêts que je ne distingue pas bien, nous lui coupons les ailes. Il est vrai que le secteur est en croissance, il est possible qu’il donne lieu à des abus, certains sont avérés. Toutefois, on ne légifère pas pour l’exceptionnel, mais pour le général.

En outre, je crains qu’on ne légifère à l’envers. Mme Cohen a évoqué un vrai sujet : comment qualifier ces loueurs qui passent par des plateformes ? Sont-ils des salariés ou des indépendants ? Nous nous sommes posé la question lors de l’examen de la loi Travail. Nous avions alors essayé d’avancer, mais la majorité sénatoriale s’y était refusée.

Je crains que ces opérateurs ne soient pénalisés. En effet, en observant les dix dernières années, on comprend pourquoi cette économie collaborative correspond à un besoin à la fois en matière d’offre et de demande : depuis dix ans, le pouvoir d’achat a baissé en poids relatif et les acteurs cherchent à compenser.

Vous l’avez dit précédemment, et M. Vanlerenberghe l’a écrit dans son rapport : lorsque l’on paye une cotisation sociale, à la différence de l’impôt sur le revenu, on doit obtenir une contrepartie. Mais laquelle, s’agissant de loueurs qui exercent une autre activité, qui peuvent être salariés ou indépendants par ailleurs ? Vont-ils payer une cotisation sociale sans bénéficier de la contrepartie ? Quelque chose ne va pas ! Je considère qu’on légifère à la légère et je suis opposé à cette mesure.

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d’État

Je souhaite apporter un complément de réponse dans ce débat, qui est essentiel, je l’ai dit à la tribune. Si nous ne faisons rien, je crains que nous ne soyons ensuite confrontés à des usages qu’il sera de plus en plus difficile de contrebalancer. Lorsque ce secteur aura pris davantage de place, ce que je souhaite, il déstabilisera alors certains des systèmes existants. Discutez avec les chauffeurs de taxi, ils n’ont pas toujours tort lorsqu’ils vous font part de certaines de leurs préoccupations !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Nous aurions pu régler le problème des taxis. M. Grandguillaume avait fait une proposition qui a été rejetée par le Gouvernement !

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d’État

Madame la sénatrice, vous avez probablement solution à tout…

Vous me parlez des gîtes ruraux, pour lesquels rien ne change ! Je ne comprends même pas pourquoi ce sujet est abordé. Ils ont le statut de meublé, et sont soumis à un seuil qui, d’ailleurs, est le même, au-delà duquel ils sont considérés comme des professionnels. Il n’y a pas de débat. Ce qu’ils craignent, car nous les avons bien sûr rencontrés, c’est justement que le seuil de 23 000 euros soit abaissé, car leur situation serait alors désavantageuse par rapport à celle qui résulte de la proposition issue des travaux de l’Assemblée nationale.

La question de savoir si les loueurs sont ou non des indépendants est évidemment pertinente. Nous les considérons effectivement comme des indépendants. §Vous avez lu les débats à l’Assemblée nationale, au point de savoir pourquoi une deuxième délibération avait eu lieu. J’y étais. Immédiatement après le scrutin, deux de vos collègues députés ont demandé à inverser leur vote, parce que celui-ci ayant eu lieu à une heure tardive – tout le monde peut être fatigué – ils pensaient voter l’article alors qu’ils votaient un amendement de suppression, ce qui peut entraîner une certaine confusion. La troisième parlementaire a changé son vote le lendemain, avant l’ouverture des travaux. Voilà pourquoi j’ai demandé une deuxième délibération, qui, d’ailleurs, n’est pas une procédure exceptionnelle.

Si vous avez lu les débats, vous avez constaté que j’étais ouvert à ce qu’une activité que l’on pourrait qualifier de secondaire n’entraîne pas nécessairement une déclaration au RSI. Je ferai des propositions en ce sens. La direction de la sécurité sociale et les services de Bercy sont en train de travailler sur le sujet.

Vous dites qu’il n’y a pas d’ouverture de droits. Bien sûr que si ! J’ai parlé des droits à retraite, qui sont ouverts lorsque l’on cotise à l’occasion de l’exercice d’une activité complémentaire, mais on pourrait évoquer d’autres droits, y compris des indemnités journalières en cas d’empêchement. Ce sont là des questions parfois un peu délicates. Nous travaillons sur ces sujets.

J’ai bien compris que mentionner le RSI comme passage obligé d’une déclaration pouvait effrayer.

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d'État

C’est un problème dont nous avons largement débattu hier, notamment avec M. Cardoux, qui a identifié certains progrès. Nous avons précisé le partage de frais ; les seuils offrent un critère beaucoup plus fonctionnel que les notions d’occasionnel et de récurrent ; le texte me paraît donc plutôt équilibré. Il pourra encore progresser durant la navette et devra probablement être revu pour intégrer d’autres activités qui se développent, car il y a toujours des zones grises dans les processus d’échange de services.

Ce que nous mettons en place permettra d’avancer. Ce texte ne bride pas le développement de ce secteur et ne pénalise pas non plus la saine concurrence entre différentes formes d’exercice d’une même activité commerciale, de production, de vente ou d’échanges de services.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à M. Michel Bouvard, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Bouvard

Je suis confus d’intervenir après le secrétaire d’État, mais cela me permettra peut-être de gagner du temps lors de l’examen des amendements suivants.

Je voudrais exprimer un véritable regret, comme les orateurs qui m’ont précédé. Nous sommes face à un mode d’économie nouvelle, qui constitue une opportunité pour beaucoup de nos concitoyens en termes de revenus, qui est une chance pour certaines entreprises, parce que l’on peut créer des champions français dans le secteur. L’émergence de cette nouvelle économie aurait nécessité une approche globale de cette question.

L’an dernier, le Sénat, à travers la mission confiée à certain d’entre nous par la commission des finances, a émis des propositions s’agissant de la problématique de l’imposition sur le revenu, avec la définition d’une franchise, que nous avions proposé de fixer à 5 000 euros afin de prendre en compte les compensations de frais d’entretien engagés par les propriétaires de structures, d’équipements, de véhicules ou autre. Nous nous étions efforcés de proposer également des solutions innovantes en matière d’encaissement de la recette au titre de l’impôt sur le revenu au travers des plateformes.

Nous découvrons des propositions concernant le volet des cotisations sociales, envisagées sous l’angle des recettes que l’État peut en attendre pour diverses structures et sous celui de la couverture des bénéficiaires, lesquels basculeraient alors dans une activité à caractère professionnel.

Nous avons le sentiment de traiter du sujet par petits segments – c’est dommage – sans nous assurer de la cohérence de l’ensemble, sans certitude que les décisions successives parcellaires que nous prenons ne désorganiseront pas cette économie émergente, ne pénaliseront pas certains de nos concitoyens et ne casseront pas la machine à création d’activités. Nous prenons le risque d’empêcher le basculement de la France dans cette nouvelle forme d’économie.

Je voudrais dire mon regret quant à la manière dont ce sujet est abordé, au compte-gouttes, de manière fractionnée et sans aucune vision d’ensemble de la part du Parlement, singulièrement du Sénat, qui s’était engagé et avait travaillé sur ces questions et dont les propositions l’an dernier n’ont pas été prises en compte comme nous l’aurions souhaité.

Mme Marie-Annick Duchêne et M. Jackie Pierre applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

J’exprime ma position personnelle, parce que le groupe écologiste n’a pas encore analysé la question de façon globale.

Je défends la position du Gouvernement, donc le maintien de l’article 10, car il me semble important de mettre en place une taxation au-delà d’un certain niveau économique. Il est tout à fait normal que des gens percevant des revenus par la location s’engagent à payer quelque chose à la collectivité.

Je ne sais pas si vous vous représentez ce que cela signifie d’habiter à Paris dans un immeuble dont beaucoup d’appartements sont ainsi mis en location : le passage est incessant, les personnes, souvent âgées, qui habitent l’immeuble doivent entretenir les parties communes, on frappe chez elles pour demander où est l’appartement de M. Untel, le propriétaire, qui habite à cent cinquante kilomètres.

Il me semble normal que ceux qui louent leur appartement et en tirent un bénéfice soient contraints de rendre un peu à la collectivité qui a investi pour être attractive. Ne l’oublions pas, la ville est attractive grâce aux biens publics. En outre, il me semble justifié que les habitants des immeubles concernés payent moins d’impôts locaux, dans la mesure où ils subissent des dérangements pour des propriétaires qui n’habitent pas toujours à Paris.

Bien sûr, certaines personnes louent leur appartement le week-end pour se procurer un complément de revenus, mais d’autres en ont fait un métier, elles achètent pour cela, et habitent à cent cinquante ou à trois cents kilomètres de Paris.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Le seuil est très élevé ! Il ne concerne pas une personne qui loue trois fois dans l’année ! Il est donc tout à fait normal qu’il y ait taxation.

Je n’ai pas le temps de développer la seule divergence entre ma position et la vôtre, monsieur le secrétaire d’État, qui concerne la déclaration au RSI, avec les problèmes que nous avons soulevés hier. Vous nous dites qu’ils sont résolus, ce n’est pas le cas. Vous avez ébauché un embryon de solution qui reste à confirmer.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à Mme Hermeline Malherbe, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Hermeline Malherbe

Ce n’est pas tous les jours le cas, mais je partage en grande partie la manière de voir qui vient d’être exprimée.

En outre, il faut écouter les territoires, et l’écoute doit être réciproque. Certains affirment que l’on met en danger une économie en devenir, par rapport aux plateformes, mais cette économie en devenir a mis elle-même en danger une certaine économie traditionnelle, en particulier dans le tourisme. Les uns et les autres, vous avez, comme nous, entendu dans les territoires l’expression de ces deux visions des choses.

Il me semble parfaitement juste, légitime et cohérent que nous légiférions dans cet hémicycle pour plus de justice pour tous, et que, lorsque des acteurs sont dans la même situation, ils soient régis par les mêmes règles à partir d’un certain montant. Nos concitoyens attendent aussi cela aujourd’hui : la justice pour les uns comme pour les autres.

Je partage également le souhait de disposer d’une vision globale que l’on pourrait évoquer dans un autre cadre et je regrette que celle-ci n’ait pas émergé avant, mais, en attendant, il me semble important de maintenir cet article 10, qui impose plus de justice dans notre économie, qu’il s’agisse de tourisme ou de mobilité, d’ailleurs.

M. Jean Desessard applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

J’ai exprimé mon avis, qui diffère de celui de ma collègue Nicole Bricq, c’est la richesse du débat.

Je souhaite demander une explication à M. le secrétaire d’État. Ceux qui mettent un bien en location par l’intermédiaire de la plateforme Airbnb sont-ils concernés par les dispositions que nous nous apprêtons à voter ?

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d’État

La réponse est oui, monsieur le sénateur, à partir du moment où les revenus tirés de ces locations dépassent 23 000 euros par an. Cela correspond à 230 nuitées à 100 euros. On nous a parlé des étudiants qui louent leur studio quelques week-ends pour arrondir leurs fins de mois. Chacun peut reconnaître qu’ils ne sont pas concernés. On peut même imaginer quelques mois de location ou quelques semaines dans le courant d’une année, y compris pour des appartements parisiens. C’est quand même deux fois le SMIC !

(Mme Hermeline Malherbe opine.) et n’empêche pas l’exercice d’une activité annexe par les gens qui doivent – c’était votre position – compléter leurs revenus – mais c’est un autre débat.

Mme Nicole Bricq s’exclame.

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d’État

Nous avons fixé ce seuil par référence à des seuils de sécurité sociale, bien entendu. On peut en discuter, mais cette disposition n’est pas confiscatoire §

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à Mme Évelyne Yonnet, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Evelyne Yonnet

Je souhaite poser à M. le secrétaire d’État une question qui me semble très importante.

Vous évoquez 23 000 euros de revenus par an. J’ai déposé une proposition de loi sur l’habitat indigne et la lutte contre les marchands de sommeil. À mon avis, au vu des lits superposés qui sont installés dans leurs logements ou dans leurs caves, ceux-ci gagnent beaucoup plus que 23 000 euros. Qu’allez faire pour les taxer ?

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d’État

Je comprends votre sensibilité à ce problème et je la partage, madame la sénatrice, mais il ne s’agit pas du même sujet.

Les marchands de sommeil, compte tenu des sommes en jeu, que tout le monde imagine, malheureusement, doivent déjà déclarer leurs revenus et contribuer à l’impôt. Si ces revenus sont réguliers et dépassent certains seuils, ils doivent normalement s’affilier. Encore faut-il, bien entendu, qu’ils soient connus ou repérés et poursuivis.

L’amendement n’est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Je suis saisi de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 57, présenté par M. Vanlerenberghe, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 4

1° Remplacer les mots :

dont les recettes tirées de la location directe ou indirecte de locaux d’habitation meublés

par les mots :

exerçant une activité de location directe ou indirecte de locaux d’habitation meublés dont les recettes

2° Remplacer les mots :

au seuil mentionné au 2° du 2 du IV de l’article 155 du code général des impôts

par les mots :

à 40 % du plafond annuel mentionné à l’article L. 241-3 du présent code

3° Après les mots :

mentionnées au 1°

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

du 2 du IV de l’article 155 du code général des impôts ; »

II. – Alinéa 6

Remplacer le taux :

par le taux :

III. – Après l’alinéa 10

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

3° L’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale est complété par un paragraphe ainsi rédigé :

« … – Par dérogation aux dispositions du III et dans des conditions définies par décret, les professionnels qui, par voie électronique, assurent un service de réservation ou de location ou de mise en relation en vue de la location d’hébergements pour le compte de particuliers, peuvent sous réserve d’avoir été habilités à cet effet par ces derniers, être préposés au prélèvement de la contribution sur le montant des transactions effectuées par son intermédiaire. »

La parole est à M. le rapporteur général.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Nous venons de débattre fort utilement pour ouvrir cette salve d’amendements.

Au sein de la commission, nous sommes tout à fait d’accord pour fixer un seuil de revenus, nous nous accordons sur la philosophie générale.

Simplement, deux seuils sont prévus dans l’article, l’un à 23 000 euros, qui semble assez élevé et concerne les meublés, et l’autre, fixé à 7 720 euros par an, au-delà duquel un loueur de biens meubles sera considéré comme exerçant une activité professionnelle.

La commission a considéré qu’un seuil unique serait peut-être préférable, qui définirait de façon claire, au regard du plafond de la sécurité sociale, ce que peut représenter une activité professionnelle. Nous avons donc voté en commission la création d’un seuil fixé à 40 % du plafond annuel de la sécurité sociale, soit 15 691 euros, qui vaut à la fois pour les biens meublés et pour les locations de biens meubles.

Pour autant, cet article ne traite pas la question des personnes qui n’exercent pas une activité considérée comme professionnelle, mais qui valorisent leur patrimoine. Celles-ci sont actuellement redevables au premier euro, en théorie. Malheureusement, beaucoup d’entre elles y échappent, parce qu’elles ne déclarent pas leurs revenus au titre des bénéfices industriels et commerciaux. Comme les travaux de la commission des finances du Sénat l’ont montré, ces revenus sont très rarement déclarés et, donc, très rarement imposés.

La deuxième partie de cet amendement est par conséquent un appel à sécuriser davantage le recouvrement de la CSG et de la CRDS, qui sont dues sur ces revenus. Je rappelle que nous sommes tous redevables de cette contribution dans nos activités salariées ou dès lors que nous sommes indemnisés, mais nous le sommes également sur les revenus du capital.

Nous avons donc ajouté un deuxième volet à cet article, qui prend en compte et essaye de sécuriser cet aspect pour ceux qui sont en dessous du seuil.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

L'amendement n° 412, présenté par M. Bouvard, est ainsi libellé :

Alinéas 5 et 6

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. Michel Bouvard.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Bouvard

Si vous le permettez, monsieur le président, je vais défendre en même temps les amendements n° 413, 410 et 411, puisqu’ils relèvent de la même philosophie et de la même préoccupation.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

J’appelle donc en discussion les amendements n° 413, 410 et 411, présentés par M. Bouvard.

L'amendement n° 413 est ainsi libellé :

Alinéa 6

1° Après les mots :

biens meubles

insérer les mots :

leur appartenant

2° Après les mots :

code de commerce

rédiger ainsi cet alinéa :

lorsque ces biens sont loués plus de 120 jours par an. » ;

L'amendement n° 410 est ainsi libellé :

Alinéa 6

Remplacer les mots :

sont supérieures à 20 % du montant annuel du plafond mentionné à l’article L. 241-3 du présent code

par les mots :

, hors partage de frais, sont supérieures à un montant fixé par décret. Sont réputées correspondre à un partage de frais les recettes n’excédant pas le coût d’usage du bien considéré tel que ce coût est déterminé, selon des catégories appropriées, par décret en Conseil d’État.

L'amendement n° 411 est ainsi libellé :

Alinéa 6

Remplacer les mots :

à 20 % du montant annuel du plafond mentionné à l’article L. 241-3 du présent code

par les mots :

au seuil mentionné au 2° du 2 du IV de l’article 155 du code général des impôts

Veuillez poursuivre, mon cher collègue.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Bouvard

Les modifications apportées par l’Assemblée nationale à l’article 10 fixent dans la loi le seuil de professionnalisation à 20 % du plafond annuel de la sécurité sociale pour la location des biens meublés entre particuliers.

On sait très bien qu’en fonction de lieux, les coûts d’usage seront plus ou moins élevés, ce qui suscite des interrogations. Il y a en outre un problème d’équité, tous biens meubles confondus, pour ne pas freiner brutalement le partage de certains biens.

Ces amendements visent donc d’abord à établir un seuil à 1 500 euros, avec un système de déduction des sommes perçues des frais d’usage inhérents aux biens meubles partagés.

Ce seuil est issu d’un rapport rendu récemment par l’IGAS, l’Inspection générale des affaires sociales, afin de simplifier l’exercice de certaines activités accessoires générant de très faibles montants de complément de revenus.

Ces amendements tendent en outre à clarifier la finalité du partage entre particuliers, une coconsommation facilitée sans recherche de bénéfices, mais uniquement partage des coûts d’usage. Ils visent donc à établir une distinction quand un particulier est propriétaire des biens, afin que le dispositif soit sans doute plus juste.

Encore une fois, je regrette, au moment de débattre de ces amendements, que nous n’ayons qu’une approche partielle du sujet. Nous sommes en train de bricoler quelque chose qui a été modifié à l’Assemblée nationale, sans disposer d’une vision d’ensemble de ce que nous faisons, entre l’imposition sur le revenu, les cotisations sociales, leur niveau, les incidences sur les plateformes et les libertés ménagées aux particuliers.

Dans ces conditions, les mesures que je propose ne peuvent être que des pis-aller ; je regrette qu’une mesure introduite de manière subreptice et adoptée sans réflexion nous oblige à procéder de la sorte.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

L’amendement n° 187 rectifié bis, présenté par MM. Daudigny, Labazée et Guillaume, Mmes Génisson et Riocreux, MM. Godefroy, Durain et Tourenne, Mmes Schillinger, Émery-Dumas, Yonnet, Féret et Claireaux, MM. Vergoz et Caffet, Mmes Meunier et Campion, M. Jeansannetas et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Remplacer le taux :

par le taux :

La parole est à M. Yves Daudigny.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Il s’agit de savoir à partir de quel niveau de recettes annuelles on bascule d’une économie du partage vers une activité professionnelle. L’effet n’est pas neutre, puisque cela implique aussi de s’affilier au RSI.

M. le secrétaire d’État a répondu aux questions qui ont été posées précédemment en ce qui concerne les gîtes et les chambres d’hôtes. Un certain nombre de professions n’auront pas accès à ce dispositif, sans quoi ceux qui les exercent perdraient le statut ou l’avantage dont ils bénéficient.

Nous proposons de porter le seuil d’assujettissement à 15 691 euros pour les locations de biens meubles, soit le double du seuil d’assujettissement adopté à l’Assemblée nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Quel est l’avis de la commission sur l’ensemble de ces amendements, à l’exception de celui qu’elle a elle-même présenté ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Si le seuil de 120 jours par an est utilisé par certaines collectivités territoriales pour les locations meublées de courte durée, c’est pour des raisons tenant davantage au marché immobilier locatif qu’à un seuil d’activité professionnelle. Dès lors, l’amendement n° 413 ne répond pas exactement, à notre sens, à la question soulevée par l’article 10. Un seuil de revenus nous semble plus adapté.

L’avis est donc défavorable.

Nous sommes également défavorables à l’amendement n° 412, puisque, si l’on peut débattre du niveau qui doit être retenu, un niveau que la commission se propose de relever, il y a bien un seuil de revenus au-delà duquel l’activité devient professionnelle ; monsieur Bouvard, nous pouvons nous rejoindre au moins sur ce point.

M. Michel Bouvard acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Renvoyer la définition du seuil à un décret en Conseil d’État pourrait être une solution de repli intéressante, mais la commission a fait un choix différent : elle considère que le seuil doit être suffisamment élevé pour prendre en considération le partage de frais en matière sociale – je répète que, en matière fiscale, cette notion est déjà définie par l’instruction fiscale du 30 août dernier.

L’avis est donc défavorable aussi sur l’amendement n° 410.

Quant à l’amendement n° 411, il vise à unifier les seuils à un niveau très élevé, près de 2 000 euros par mois, soit plus que le salaire médian. L’avis est défavorable.

En revanche, la commission ne peut qu’être favorable à l’amendement n° 187 rectifié bis du groupe socialiste et républicain, qui vise à porter à 40 % du plafond annuel de la sécurité sociale le seuil de recettes au-delà duquel les personnes exerçant une activité de loueur de biens meubles doivent s’affilier au RSI en tant que travailleur indépendant. En effet, ce seuil est fixé au niveau qu’elle a elle-même retenu.

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d'État

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Le Gouvernement est défavorable à l’ensemble des amendements

M. Michel Bouvard rit.

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d'État

Il me semble qu’il faut distinguer la location de biens immobiliers et la location de matériels : perceuses, bétonnières ou autres.

Dans le second cas, les sommes en jeu ne sont généralement pas élevées. L’Assemblée nationale a néanmoins décidé de doubler le seuil proposé par le Gouvernement pour le porter à 7 723 euros. Le Gouvernement ne souhaite pas que ce seuil soit réduit.

En ce qui concerne les locations d’immeubles, nous avons choisi le seuil de 23 000 euros annuels, parce que c’est celui qui s’applique en matière fiscale.

Monsieur Bouvard, la question du partage de frais, que vous voulez traiter au travers de votre amendement n° 410, a fait l’objet d’un certain nombre de réflexions et travaux, comme, du reste, toutes les questions dont nous parlons. Je ne prétends pas que nous serions parfaits, mais il reste que nous avons beaucoup consulté et réfléchi, après quoi, comme M. le rapporteur général l’a précisé, la notion de partage de frais a été précisée par l’instruction fiscale du 30 août 2016 publiée au BOFIP.

Je vous le confie : nous n’étions pas tous d’accord. Ainsi, pour la location des véhicules, nous avons pris comme référence le barème kilométrique. Celui-ci, à mon avis, n’est pas forcément idéal, vu qu’il prend en compte l’amortissement des véhicules, mais nous l’avons retenu parce que le principal site de partage de voyages, BlaBlaCar, s’y réfère pour le calcul des prix recommandés dans le cadre des partages de frais. Nous n’avons pas voulu revenir en arrière, pour ne pas donner l’impression que nous voulions déstabiliser le secteur, ce qui, quoi qu’on en ait dit, n’était absolument pas la volonté du Gouvernement. Nous avons donc choisi la référence utilisée et recommandée par les plateformes.

Les conditions des partages de frais étant définies aussi parfaitement qu’il est possible dans l’instruction du 30 août 2016, l’amendement n° 410 me paraît inutile.

Monsieur le rapporteur général, j’entends bien que vous avez trouvé un consensus sur un seuil unique, qui peut apparaître comme un élément de simplification, mais je continue de penser qu’il y a lieu de distinguer des formes d’activité différentes, suivant ce qu’a fait l’Assemblée nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à M. Michel Bouvard, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Bouvard

Je ne serai pas long, car il nous reste de nombreux articles à examiner.

Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, d’avoir reconnu avec franchise que l’instruction du 30 août 2016 n’est pas parfaite. De mon point de vue, notre tort est de vouloir réfléchir à ces questions en partant des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, en essayant de faire rentrer cette nouvelle forme d’économie dans un dispositif existant.

Le travail de concertation mené par le Gouvernement avec les différents acteurs est bien réel, mais nous commettons l’erreur de ne pas aborder ces questions avec une vision différente, y compris en ce qui concerne la perception des recettes – car, au-delà des mesures votées, il faudra voir comment faire rentrer des recettes… Il nous manque une vision consolidée, globale, de cette nouvelle forme d’économie !

Je maintiens mes amendements, car, même si je comprends l’argumentation du Gouvernement, celle-ci me paraît calée sur la boîte à outils existante, alors qu’il est sans doute nécessaire d’imaginer quelque chose de nouveau.

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

En conséquence, les amendements n° 412, 413, 410, 411 et 187 rectifié bis n’ont plus d’objet.

L'amendement n° 395 rectifié bis, présenté par MM. Chaize et Mayet, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 6

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« …° Les personnes exerçant une activité de vente de biens, de fourniture de services ou d’échange ou de partage de contenus, de biens ou de services par l’intermédiaire d’une plateforme mentionnée à l’article L. 111-7 du code de la consommation, et dont les recettes annuelles tirées de cette activité sont supérieures au coût moyen annuel d’utilisation du bien partagé tel que ce coût est déterminé, selon des catégories appropriées, par décret en Conseil d’État. » ;

La parole est à M. Patrick Chaize.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Chaize

Cet amendement s’inscrit dans la continuité de ceux qui viennent d’être examinés.

L’économie collaborative est depuis quelques années en plein essor. Elle repose sur le partage ou l’échange entre particuliers de biens, de services ou de connaissances, avec ou sans échange monétaire, par l’intermédiaire d’une plateforme numérique de mise en relation.

Il est essentiel de sécuriser le développement de cette nouvelle économie de particulier à particulier qui touche tous les secteurs d’activité et concourt à l’intérêt général, ce que le député Pascal Terrasse a clairement mis en lumière dans son rapport.

Ainsi, il conviendrait de limiter ces échanges aux activités à titre non onéreux en plafonnant le montant des sommes perçues par un particulier, afin de contenir la concurrence faite aux activités de l’économie traditionnelle et aux acteurs professionnels exerçant sur le même type de plateformes.

Dans cet esprit, le présent amendement vise à permettre la distinction entre une activité de nature professionnelle et une activité exercée dans le cadre de l’économie du partage entre particuliers, caractérisée corrélativement comme étant à but non lucratif. La distinction serait opérée au moyen d’un critère unique : le coût moyen des biens partagés, tel qu’il serait défini par décret en Conseil d’État.

Dès lors, tout particulier exerçant ces activités et en tirant des recettes ou un chiffre d’affaires supérieur au seuil fixé serait automatiquement affilié au régime d’assurance maladie et d’assurance maternité des travailleurs indépendants des professions non agricoles correspondant à son activité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Cette question doit être traitée, mais la réponse apportée produit un seuil qui conduirait à l’affiliation d’un grand nombre de personnes, parfois inutilement. Ce seuil pourrait convenir en matière fiscale, mais pas en matière sociale.

L’avis est donc défavorable.

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d'État

Il est également défavorable. L’usage de biens partagés, dès lors que le propriétaire est présent et que les frais sont partagés, est traité dans le cadre de l’instruction fiscale du 30 août 2016, qui énonce une règle claire : on est en présence de revenus lorsqu’il n’y a pas de coconsommation des prestations, et que seuls les coûts directs engagés sont facturés. Le même principe s’applique en matière sociale. Votre proposition, monsieur le sénateur, ne s’inscrit pas dans cet esprit, sans compter qu’elle risquerait de poser des problèmes de constitutionnalité.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à M. Patrick Chaize, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Chaize

La difficulté est liée à une activité particulière : le transport de courte distance, utilisé, par exemple, par les étudiants pour partir en week-end ou se rendre à une manifestation. Sur de longues distances, en effet, comme celles qui sont parcourues avec BlaBlaCar, les montants pratiqués correspondent effectivement à des coûts moyens et peuvent se justifier. Sur les petits trajets, en revanche, le montant de la rétribution et les coûts de partage peuvent être notablement différents, ce qui pénalise cette activité.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote sur l'article.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Monsieur le secrétaire d’État, la volonté que vous avez affirmée de lutter contre les abus et la concurrence déloyale est un premier pas que nous trouvons intéressant, d’autant que vous avez dit vous occuper aussi des abus des plateformes, ce qui nous paraît un pendant absolument indispensable.

Permettez-moi d’illustrer la situation par quelques chiffres : en 2015, selon les estimations, la plateforme Airbnb aurait accumulé – remarquez que j’emploie le conditionnel – entre 60 millions et 160 millions d’euros de chiffres d’affaires grâce aux commissions touchées sur chaque transaction conclue sur notre territoire, alors qu’elle n’a déclaré que 4, 9 millions d’euros et a acquitté seulement 69 000 euros d’impôt. De fait, toutes les transactions passent par la filiale d’Airbnb située en Irlande, le paradis fiscal préféré de la Silicon Valley.

Au total, la valeur boursière d’Airbnb avoisinerait 30 milliards de dollars, soit deux fois plus que les hôtels Accor et leurs 500 000 chambres… Il faut donc poursuivre le travail, et nous espérons que des mesures iront plus loin !

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d'État

Je me permets de signaler au Sénat que l’adoption de l’amendement n° 57 de la commission conduirait, si elle était confirmée, à avancer le moment de l’assujettissement aux contributions sociales…

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d'État

… pour, en effet, les locations de type Airbnb. Je vous avertis, avec respect mais franchise, que le Gouvernement proposera probablement à l’Assemblée nationale de revenir au seuil de 23 000 euros.

Madame Cohen, vous avez eu raison de rappeler un certain nombre d’informations diffusées dans la presse, des informations que le secret fiscal m’empêche évidemment de confirmer. Dans ce domaine, le problème qui se pose à nous est de caractériser les établissements stables. De mon point de vue, la plateforme Airbnb doit être considérée comme un tel établissement. Ce débat devrait rebondir demain et les jours suivants à l’Assemblée nationale, comme vous le savez sans doute.

La question centrale est celle du prix de transfert et, je le répète, de la caractérisation des établissements stables. Nous devons y répondre pour être en mesure de fiscaliser les bénéfices tirés des activités exercées sur notre territoire. Il est intéressant d’avoir ce problème à l’esprit, même s’il n’est pas l’objet de la discussion de ce soir.

L'article 10 est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

L'amendement n° 159 rectifié ter, présenté par MM. Cardoux, Milon et Vasselle, Mme Debré, M. Joyandet, Mme Di Folco, M. Masclet, Mmes Deroche et Imbert, MM. de Legge et Retailleau, Mmes Cayeux, Canayer et Deseyne, M. B. Fournier, Mme Micouleau, MM. Morisset et Doligé, Mme Lopez, MM. Pillet, César, D. Robert, Nougein, Vogel, Bignon et Dufaut, Mme Duchêne, M. P. Leroy, Mme Estrosi Sassone, MM. G. Bailly et de Nicolaÿ, Mme Mélot, MM. Houel, Pointereau, Laufoaulu, Perrin et Chasseing, Mme Gruny, M. Rapin, Mme Hummel, M. de Raincourt, Mme Morhet-Richaud, MM. Lemoyne, Danesi, Revet, Laménie, Buffet, Houpert, Kennel, Mayet, Chaize, Lefèvre et Cambon, Mme Deromedi et MM. A. Marc, Gremillet et Husson, est ainsi libellé :

Après l'article 10

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Les professionnels mentionnés au 7° de l’article L. 161–22 du code de la sécurité sociale exerçant leur activité dans les zones définies dans les conditions fixées par l’article L. 1434–4 du code de la santé publique, où l’offre de soins est déficitaire, sont exonérés d’une partie des cotisations mentionnées au 1° de l’article L. 642–1 du code de la sécurité sociale.

II. – La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Noël Cardoux

Hier soir, nous avons beaucoup parlé du problème de la pénurie médicale en France et des zones sous-denses. À telle enseigne que pour proposer quelque chose vis-à-vis d’amendements coercitifs, le rapporteur général a suggéré que la MECSS, la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, s’empare de la question dans les semaines à venir, ce que j’ai bien sûr accepté en tant que président de cette instance.

L’amendement que je propose – je le présente depuis plusieurs années parce que le problème de la désertification médiale est récurrent et, nous avons beau chercher des solutions, nous n’en trouvons pas – peut être aussi une petite partie de la solution à cette désertification médicale. Il vise à exonérer de cotisations retraite les médecins retraités reprenant une activité à temps partiel dans les zones sous-denses.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez expliqué il y a quelques instants sur le débat précédent que les cotisations rapportent des points de retraite et des avantages. Or, en l’occurrence, pour les médecins qui cotisent alors qu’ils sont déjà retraités, leurs cotisations ne leur donnent aucun avantage et ne leur rapportent aucun point de retraite, ce qui est particulièrement décourageant.

Alors que les besoins, déjà considérables dans certaines zones, sont encore aggravés par la « consommation » de médecins que font désormais les administrations – je pense en particulier aux besoins des conseils départementaux pour la mise en œuvre de l’APA, la PCH ou la PMI –, certains médecins retraités reprenant une activité à temps partiel pour exercer ces fonctions-là pourraient permettre à des médecins en activité de retourner dans le secteur libéral.

On m’objectera, bien sûr, que cette proposition est inégalitaire, qu’elle privilégie une catégorie particulière de personnes, ces médecins par rapport à d’autres, et que cela pose un problème. Ce n’est pourtant pas la première fois que des avantages financiers seraient accordés à des médecins acceptant telle ou telle obligation – songeons à la prime à l’installation ou à d’autres éléments financiers. En outre, compte tenu de la gravité du problème, qui nous occupe depuis des années, c’est presque un service public qu’assureraient pour le pays les médecins reprenant une activité à temps partiel sans cotiser à une caisse de retraite.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Cette proposition de M. Cardoux a été adoptée par notre assemblée l’année dernière. Elle peut, il est vrai, constituer une partie de la solution au problème des zones sous-denses, qui n’est toujours pas résolu. De manière logique, la commission s’y est déclarée favorable.

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d'État

L’an dernier déjà, la proposition de M. Cardoux a été adoptée par le Sénat, puis supprimée par l’Assemblée nationale. Probablement en ira-t-il de même cette année. La position du Gouvernement, en tout cas, est constante : il est défavorable à l’amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à Mme Catherine Deroche, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

La position du Gouvernement, qui nous avait été exposée l’année dernière par Mme Touraine, nous l’entendons bien, mais, en même temps, nous voyons bien que le problème de la présence médicale sur tout le territoire ne peut pas être résolu par une recette miracle. S’il y en avait une, j’espère bien que le Gouvernement l’aurait trouvée depuis cinq ans… C’est donc seulement par la conjonction de multiples mesures, différentes selon les territoires, que nous parviendrons à assurer un accès aux soins égal pour tous. La mesure proposée en fait partie.

J’irais même plus loin, en permettant non seulement aux médecins généralistes, mais aussi aux spécialistes, et pas uniquement dans les zones sous-denses, de reprendre une activité à temps partiel sans avoir à cotiser. Dans des situations nombreuses et variables – certains territoires peuvent être dépourvus lorsqu’un praticien arrête brutalement son activité –, cette mesure d’exonération, qui, précisons-le, ne conduit à aucune amélioration de la retraite, serait une solution parmi d’autres. Je ne comprends pas du tout pourquoi le Gouvernement s’obstine à la combattre !

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à M. Éric Doligé, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Je ne comprends pas non plus l’opposition du Gouvernement à une mesure qui ne coûterait rien, ou si peu, et qui même pourrait rapporter, puisque permettre à des médecins retraités de reprendre une activité en zone rurale lorsqu’il y a des manques éviterait d’engager des dépenses inconsidérées.

Jean-Noël Cardoux et moi-même avons mis en place un tel système voilà quelques années en écrivant à tous les médecins retraités de notre département, avec l’avis du conseil départemental de l’ordre. La collectivité y gagne, le coût est minime et un petit service supplémentaire est assuré. Bien entendu, cette mesure ne réglera pas tout le problème de la désertification médicale, aigu même dans un département qui, comme le nôtre, n’est qu’à 100 kilomètres de Paris, mais elle y contribuera. Il me semble, monsieur le secrétaire d’État, que vous pourriez encourager cette tentative pour régler une partie du problème.

J’ajoute qu’un certain nombre de médecins sont demandeurs, parce que, habitués à travailler beaucoup, ils apprécient de pouvoir continuer à exercer, au moins pour un tiers-temps ou un mi-temps. Ils ont ainsi la satisfaction de continuer à être utiles à notre société.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Chasseing

Il faut bien mesurer que, dans les cinq ou six ans qui viennent, la situation va devenir catastrophique dans certains territoires ruraux. Je ne dis pas que rien n’a été fait : les maisons de santé ont été mises en place et divers avantages et aides, instaurés. Pour l’instant, toutefois, on ne peut pas dire que cela ait été concluant…

Il faut donc qu’une nouvelle équipe prenne le problème à bras-le-corps, pour que les jeunes médecins généralistes soient davantage auprès de leurs aînés ; je ne reviens pas sur ce que j’ai dit hier soir au sujet des stages, qui doivent être beaucoup plus nombreux, et de la considération plus forte qui doit être portée aux maîtres de stage.

Permettre aux médecins retraités – qui n’auraient pas plus d’avantages, comme Mme Deroche vient de l’expliquer – de reprendre une activité en étant exonérés de cotisation retraite les encouragerait à rendre ce service en leur accordant une reconnaissance. Conjuguée à d’autres, cette mesure permettrait peut-être de maintenir la médecine en milieu rural.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Génisson

Le groupe socialiste et républicain votera cet amendement. Comme il a été dit, il n’y a pas une solution unique au problème de la désertification, mais une multitude de solutions. Les médecins retraités ont travaillé selon des critères qui ne sont peut-être plus ceux des jeunes générations : ils aspirent pour certains à continuer d’exercer au service de la collectivité et peuvent servir d’exemple aux jeunes médecins et avoir un effet d’entraînement à leur égard.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Pour sûr, il n’y a pas qu’une seule mesure à prendre contre la désertification ; si c’était le cas, comme le disait Mme Deroche, on l’aurait trouvée depuis longtemps. Il y a, en effet, plusieurs mesures à mettre en œuvre. Seulement, chaque fois que notre assemblée en adopte une, il s’agit, étrangement, d’une défiscalisation ou d’un avantage ; et chaque fois que nous proposons quelques mesures avec un peu de contrainte pour l’installation des médecins, on n’est pas les bienvenus et on nous accuse de faire la guerre à la médecine libérale !

Parmi les multiples mesures qui doivent être prises, il y en a qui sont un peu plus équilibrées : elles sont nécessaires pour que l’installation des médecins se fasse dans de bonnes conditions.

On a fait valoir, hier soir, que les études de médecine coûtent cher, et que, dans toutes les autres filières, les personnes vont travailler là où elles le souhaitent. Certes, mais n’oublions pas que les médecins libéraux sont liés par contrat avec la sécurité sociale, qui leur assure une partie de leurs revenus. Des mesures un peu plus contraignantes sont nécessaires pour lutter vraiment contre la désertification !

Pour ces raisons, nous ne voterons pas cet amendement.

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 10.

Mes chers collègues, pour permettre à la conférence des présidents de se réunir, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à vingt-et-une heures, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.