Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir demandé à ce que ce débat soit organisé, dans des délais extrêmement contraints pour vous, et de nous permettre, ainsi, d’échanger sur le sujet dans le cadre, naturel, de notre mission de contrôle de l’action gouvernementale.
Personne ne peut contester l’application de l’article 37 de la Constitution : celui-ci vous autorisait à prendre les mesures que vous avez prises par voie de décret.
On peut peut-être contester l’existence même de cet article 37, comme je l’ai entendu dans la bouche de la première oratrice, Mme Éliane Assassi, mais il s’agit là d’un autre sujet. Au regard de la Constitution, la position que vous avez adoptée était légitime.
Tout aussi légitime est ce débat, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, dont vous permettez la tenue. Le Parlement, en effet, ne peut que s’interroger sur ces questions.
Dans la lignée de l’intervention, comme toujours très équilibrée, de notre collègue François Pillet, j’observerai qu’on ne peut avoir, sur un sujet de cette nature, aucune garantie définitive, ni aucun débat clos. Heureusement, notre discussion ne semble pas polémique – si c’était le cas, elle serait inutile – ; savoir si elle est constructive, c’est encore un autre sujet !
Comme François Pillet l’a souligné, les garanties juridiques présentent quelques difficultés. Elles sont précisées dans le décret, comme l’a rappelé notre collègue Alain Richard, et devront être mises en œuvre en toutes circonstances.
La question des garanties techniques est beaucoup plus complexe.
L’audition du président du Conseil national du numérique, que nous avons entendu hier, nous a bien démontré que l’évolution des technologies implique une remise en cause incessante de la fiabilité des dispositifs de sécurité.
Par ailleurs, mes chers collègues, nous vivons au quotidien dans une société du numérique – n’avons-nous pas adopté une loi pour une République numérique ? Où est ma liberté individuelle lorsque je me promène avec un smartphone, qui m’identifie à tout moment et repère ma position ? L’évolution est donc considérable, et les équilibres difficiles à trouver.
Votre proposition ultime, monsieur le ministre, consistant à laisser les citoyens choisir de ne pas être inscrits dans le fichier pour la totalité des informations les conduira à se poser des questions sur les éléments qu’ils seront prêts à fournir ou pas. Mais d’autres questions se poseront aussi – sécurisation totale ou partielle du titre, accès à la dématérialisation ou à une démarche simplifiée et modernisée de renouvellement de la carte d’identité ou du passeport –, et les choix qu’ils feront seront déterminants dans la procédure mise en œuvre au moment de l’élaboration du document d’identité.
Le vrai sujet, qui reste ouvert et le restera toujours, est de savoir comment nous pouvons vivre dans cette société du numérique, en tout point révolutionnaire.
Comme cela a déjà été évoqué lors de l’examen des lois sur le terrorisme, nous ne pouvons pas passer à côté de cette révolution de société, qui, selon Michel Serres, a une portée tout aussi extraordinaire que celle de l’invention de l’imprimerie. Cette révolution, il faut bien que nous nous l’appropriions !
De plus, nous vivons dans un monde extrêmement ouvert, du fait de la mondialisation, mais aussi, dans le cadre de la construction européenne, de l’espace Schengen. Le titre d’identité, qu’il s’agisse du passeport ou de la carte nationale d’identité, est de plus en plus utilisé par nos concitoyens pour se déplacer en Europe et dans le monde et, partout, la sécurité est une exigence.
Se pose donc une dernière question, quasi technique aussi : ne serait-ce pas plus simple d’avoir, au lieu du fichier, une carte d’identité avec puce ?
Hier soir, les représentants de la CNIL comme le président du Conseil national du numérique nous ont expliqué que le risque de fraude sur les puces était beaucoup plus grand que le risque d’attaque sur un fichier centralisé, sans doute car la fraude est beaucoup plus facile sur ces dernières. De ce fait, les titres seraient moins sécurisés et les problèmes de falsification et de fraude subis par nos concitoyens plus importants.
Mes chers collègues, élaborer de telles dispositions d’ordre réglementaire, dans le cadre donc d’un décret, conformément à notre Constitution, c’est choisir un équilibre intelligent entre ce que l’on veut et les risques que l’on est prêt à encourir.
À mon sens, monsieur le ministre, et vous l’avez vous-même souligné, votre texte n’est en rien identique au projet élaboré en 2012, qui, lui, supposait de recourir à la loi, car le fichier alors envisagé était beaucoup plus largement ouvert, avec, notamment, l’idée que la carte permette la signature.
Rien de tel ici ! Il s’agit simplement de moderniser le service public de la délivrance des cartes d’identité et des passeports. À l’époque, le Conseil constitutionnel avait sanctionné la loi ; nous estimons, comme le Conseil d’État, d’ailleurs, qu’il n’aura pas de raison de le faire aujourd'hui.
Ce débat était souhaitable. Je vous remercie, monsieur le ministre, de l’avoir ouvert.
Je vous remercie également de nous rendre compte des travaux de l’ANSSI et de la DINSIC, et de faire en sorte que le système soit amélioré si, effectivement, on peut trouver des techniques apportant une plus grande sécurité à nos concitoyens.