Entrons dans le fond des choses : quelles sont les objections que vous m’opposez, dont je tiens d’ailleurs le plus grand compte ?
Mme Assassi nous dit que le sujet est, certes, de nature réglementaire, mais que le Conseil d’État, dans son avis, estime que le Gouvernement aurait pu emprunter la voie législative. Je n’ai jamais contesté qu’on puisse introduire dans la loi des mesures d’ordre réglementaire : on le fait tous les jours. J’ai simplement dit qu’en agissant par la voie réglementaire nous nous conformions au droit.
J’ai dit aussi que, à force d’inscrire dans la loi des dispositions réglementaires, on crée une inflation législative qui empêche les assemblées de délibérer correctement et qui nous empêche de produire des lois avec une rapidité suffisante pour faire des réformes utiles. C’est un facteur d’embolie et d’affaiblissement de la démocratie, à un moment où nous avons besoin d’un État fort capable de prendre des décisions promptement sur des sujets essentiels.
Vous me demandez par ailleurs comment empêcher juridiquement une utilisation abusive du fichier par un gouvernement animé d’intentions moins bonnes.
Je dis à Mme Assassi, à Mme Benbassa, à M. Hervé et à M. Malhuret que nous sommes dans un État de droit. Je comprends et ne conteste pas qu’il puisse y avoir bien des formes de perversité numérique, mais je crois pour ma part à la force du droit. Si demain un gouvernement voulait rendre possible l’identification d’une personne par la consultation de ses données numériques, il faudrait changer la loi – ce ne serait pas possible par voie de décret – et, compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel de 2012, il faudrait modifier la Constitution. Il ne serait pas possible, mesdames, messieurs les sénateurs, de mettre en place un dispositif législatif pernicieux sans que cela se voie. Je le répète, nous sommes dans un État de droit.
Une seconde argumentation est développée : si ce n’est pas possible sur le plan juridique, il n’en est pas de même sur le plan technique. À cet égard, M. Malhuret avance plusieurs arguments. Selon lui, dès lors que l’on peut passer d’un compartiment à l’autre dans un sens, on doit pouvoir passer d’un compartiment à l’autre dans l’autre sens.
Ce fichier comporte trois compartiments étanches. L’un d’entre eux concerne les données alphanumériques, c’est-à-dire les éléments compris dans la feuille CERFA, un autre contient les données biométriques et le troisième, les pièces justificatives. On ne peut pas passer du compartiment biométrique au compartiment d’identification, mais on peut passer du compartiment qui contient les identités vers le compartiment biométrique pour les interroger.
Techniquement, la réversibilité est-elle possible ? Je constate que tous ceux qui me disent : vous n’êtes pas techniquement compétent pour nous garantir que cela n’est pas possible s’estiment tous suffisamment compétents techniquement pour me dire que l’inversion est possible. Pour ma part, aujourd’hui je ne suis pas, d’un point de vue technique, en situation de donner ces garanties. Mes services me les donnent. Il y a une interrogation : je la prends au sérieux, je saisis la DINSIC et l’ANSSI ; je rendrai public leurs rapports. C’est donc que je considère que nous sommes en situation d’apporter la réponse à cette question.
Ensuite, il m’est dit : Puisque ces rapports ne sont pas encore rendus publics, suspendez le décret. Or, je le rappelle, j’ai indiqué publiquement que l’application nouvelle ne serait pas mise en œuvre aussi longtemps que l’homologation et l’avis de l’ANSSI ne seraient pas rendus publics, cet avis étant un avis conforme.
Par ailleurs, vous comprendrez qu’un ministère comme le nôtre, confronté à des défis toujours plus divers, a besoin d’avoir des préfectures et des sous-préfectures fortes. Je viens d’ailleurs dans vos territoires pour expliquer le sens de cette réforme, qui est, vous le savez, parfaitement bien accueillie par les personnels des préfectures et des sous-préfectures.
S’agissant d’une réforme sur laquelle nous travaillons depuis deux ans, en concertation avec l’ensemble des acteurs, je ne vais pas décider de suspendre un décret sous prétexte que l’avis de l’ANSSI ne m’a pas été donné, alors même que ce décret ne sera appliqué qu’à partir du moment où l’avis de l’ANSSI m’aura été communiqué et aura été rendu public.
Je réponds aussi à M. Alain Richard et à M. le président Bas, voilà toutes les précautions que nous prenons.
Si, au terme de ces éléments, l’Assemblée nationale et le Sénat considèrent que la contribution technique de ces grands organismes au débat justifie que le Gouvernement revienne devant le Parlement et lui indique, alors qu’il s’agit d’un décret, les conditions dans lesquelles il entend le modifier pour que toutes les ambiguïtés soient levées, je le ferai. Quelles garanties supplémentaires puis-je donner ?