Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous entrons maintenant dans le vif du sujet.
Cet amendement, assez volumineux, comporte 462 alinéas, soit l’équivalent de 80 % du texte adopté en première partie.
Je voudrais toutefois souligner, en prenant à témoin mes collègues de la commission des finances, que nous avons eu un débat sur l’ensemble du dispositif de cet amendement et que, si l’on veut bien s’en donner la peine, celui-ci peut se lire assez aisément, car il remet en perspective l’ensemble du sujet.
Au demeurant, c’est pour des raisons essentiellement techniques qu’il est long. En effet, nous devons adapter les textes pour que la réforme soit effectuée à droit constant, sans préjuger des réformes à venir des institutions et des compétences.
En parcourant ces pages, mes chers collègues, vous pouvez vous rendre compte qu’il s’agit bien, dans la plupart des cas, de reprendre les dispositions du droit en vigueur et de les transposer au nouveau contexte, celui d’une contribution économique territoriale constituée, pour l’essentiel, de deux nouveaux impôts.
Il a semblé indispensable de ne pas préjuger du résultat des débats à venir. Par exemple, s’agissant des relations entre communes et intercommunalités, nous n’avons pas souhaité modifier l’existant, notamment la situation des communes isolées et des communes membres d’intercommunalités à fiscalité additionnelle.
Par ailleurs, le dispositif que nous proposons au travers de cet amendement territorialise la contribution économique territoriale, plus spécialement une de ses composantes, la cotisation assise sur la valeur ajoutée. En effet, la cotisation foncière des entreprises est, par vocation, territoriale, cela va de soi. Tout le débat a donc porté sur les modalités de répartition de la cotisation assise sur la valeur ajoutée des entreprises.
Nous créons ici – ou nous recréons, diraient certains –un nouvel impôt. Il faut procéder à des ajustements pour bien le calibrer. La mécanique est forcément complexe, très fine, car il faut consacrer autant de soin à définir l’assiette et le taux applicables aux redevables que les conditions dans lesquelles le produit sera perçu par les collectivités territoriales. En outre, nous devons faire cela en gardant à l’esprit le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales et sa déclinaison qu’est le principe d’autonomie financière.
La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises sera donc un impôt local et, en conséquence, territorialisé. À cet égard, je tiens à dire que l’apport de l’Assemblée nationale est essentiel.
En effet, c’est sur l’initiative de nos collègues de la commission des finances de l’Assemblée nationale qu’ont été introduites les dispositions relatives à la localisation, commune par commune, de la valeur ajoutée, qui n’apparaissaient pas dans le texte initial du Gouvernement.
C’est également sur l’initiative de la commission des finances de l’Assemblée nationale qu’à été retenu le principe d’une affectation de la cotisation sur la valeur ajoutée aux communes et aux intercommunalités, alors que cette strate n’en bénéficiait pas dans le texte initial du Gouvernement.
Très tôt, lors des réunions préparatoires que nous avons tenues, grâce au président Arthuis, et que nous avons ouvertes aux membres de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, ainsi qu’aux membres de la mission d’information présidée par M. Belot, la commission des finances a retenu le principe de modalités de territorialisation de la cotisation sur la valeur ajoutée différentes pour, d’un côté, le bloc communal, et, de l’autre, les départements et les régions.
Pour le bloc communal, nous vous proposons, mes chers collègues, de maintenir le dispositif adopté par l’Assemblée nationale. Les communes et intercommunalités sont les acteurs essentiels du développement économique local. Elles sont chargées de l’essentiel des zones d’activité de notre pays, elles sont en première ligne pour l’accueil et le développement des entreprises sur leur sol : il est cohérent, et nécessaire, que leurs recettes dépendent directement de la valeur ajoutée produite sur le territoire.
Quant aux départements et aux régions, la logique retenue par le Gouvernement dans son texte initial nous a paru séduisante, madame le ministre. Il s’agit de ventiler le produit de l’impôt en fonction de critères « péréquateurs » – j’insiste sur ce point – susceptibles de procurer, notamment aux départements, des ressources de nature à leur permettre de faire face à l’évolution de leurs charges.
Dès lors, la commission a retenu des critères dans le cadre du schéma des « quatre quarts », que nous allons commenter ultérieurement et qui peut, bien entendu, connaître des variantes. Nous l’avons fait pour susciter le débat. Néanmoins, il semble que ce schéma soit susceptible de donner des résultats satisfaisants. Les quelques simulations dont nous avons eu connaissance plaident en ce sens, mais il s’agit là du cœur même du domaine où la période probatoire sera particulièrement utile.
L’amendement n° II-200 tend à transformer l’impôt pour clarifier les relations entre les différents acteurs. Cet amendement vise à supprimer, en apparence, le barème progressif de la cotisation sur la valeur ajoutée et à le remplacer par un taux unique de 1, 5 %. Cela nous permet de nous situer du point de vue des ressources territoriales.
Toutefois, dans le respect des votes intervenus en première partie et des engagements pris, dans le respect des intentions qu’exprime la réforme, la neutralité complète de l’opération est bien entendu acquise pour les entreprises. Toutes celles dont le chiffre d’affaires est compris entre 152 500 euros et 500 000 euros bénéficieraient d’un dégrèvement intégral, et celles dont le chiffre d’affaires est compris entre 500 000 euros et 50 millions d’euros d’un dégrèvement partiel.
L’application du taux unique et l’extension du champ des entreprises redevables conduisent à une augmentation du produit à enregistrer dans les budgets locaux, que l’on peut estimer à 3, 77 milliards d’euros. Ainsi, le produit global passe de 11, 5 milliards d’euros à 15, 27 milliards d’euros. Ces chiffrages ont été établis au mieux, sur la base des informations dont nous disposions en commun, et devront naturellement être affinés.
Il s’agit bien là d’un surcroît de recettes fiscales, qui va s’accompagner, à due concurrence, de la diminution du montant des compensations budgétaires versées par l’État aux collectivités territoriales. On peut donc parler d’une double neutralité, qui concerne, comme nous l’avons vu, les entreprises, mais également les finances de l’État.
L’opération, de notre point de vue, améliorera l’autonomie financière des collectivités territoriales, en même temps qu’elle sera neutre pour le budget de l’État.
Pourquoi avoir retenu ce dispositif ? À nos yeux, il est le seul qui permette de vraiment concilier les différents objectifs de la réforme, qui, nécessairement, sont un peu contradictoires. Ces objectifs, nous les approuvons, au même titre que le principe de la réforme, mais, d’un côté, il faut améliorer la compétitivité des territoires et des entreprises, et, de l’autre, il faut préserver le lien entre les entreprises et les territoires. Si l’objectif de réduction des charges des entreprises est légitime, l’objectif d’assurer la dynamique locale des territoires l’est tout autant ! C’est, en quelque sorte, d’une double compétitivité dont nous avons besoin.
Comment parvenons-nous à concilier ces objectifs ? Je crois que nous arrivons à clarifier le rôle et les responsabilités de chacun.
L’État, qui ne se limite pas au Gouvernement, mais englobe les pouvoirs législatif et exécutif, prend ses responsabilités en allégeant la fiscalité locale sur les entreprises, en supprimant un impôt sur l’investissement et en créant un impôt à taux unique, dont il choisit d’exonérer en tout ou partie certaines entreprises en fonction de leur chiffre d’affaires, et donc de leur vulnérabilité. L’État assume le coût financier de la responsabilité qu’il prend.
Ensuite, l’intérêt des collectivités territoriales à conduire des politiques favorables aux entreprises est maintenu et préservé, en soumettant au barème l’ensemble des entreprises à compter de 152 500 euros de chiffre d’affaires, et non une partie trop faible d’entre elles.
L’égalité des collectivités devant l’assiette des impôts est rétablie par le taux unique, qui permet de faire dépendre le niveau des recettes de la valeur ajoutée produite sur le territoire, sans interférence de la structure, par taille ou par branche, des entreprises.
Enfin, cet amendement tend à aménager la répartition du produit de la cotisation sur la valeur ajoutée entre les catégories de collectivités et, à cet égard, nous nous inscrivons dans la même ligne que l’Assemblée nationale et nous complétons son travail.
Il est ressorti de nos discussions que le texte dont nous sommes saisis conduisait à une perte excessive d’autonomie fiscale pour les départements et que le bloc communal, acteur du développement économique, était certes le seul bénéficiaire de la cotisation foncière des entreprises, mais qu’il percevait une part encore insuffisante de l’impôt assis sur le développement, sur le dynamisme économique des territoires.
En conséquence, il nous est apparu logique d’attribuer aux départements une part plus importante de la taxe foncière sur les propriétés bâties en leur affectant la part antérieurement perçue par les régions et que le Gouvernement proposait de transférer en totalité aux communes. Il nous est également apparu logique de majorer la fraction du produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises perçue par le bloc communal, pour la porter à 26, 5 % du total, contre 20 % dans le texte élaboré par l’Assemblée nationale, sachant que nous raisonnons sur une base élargie, du fait de la logique des dégrèvements évoquée précédemment.
Ces évolutions, combinées aux effets de l’augmentation du produit due à l’élargissement de l’assiette et au taux unique de 1, 5 %, ont des conséquences sur le montant des recettes fiscales de chaque catégorie de collectivités, étant précisé qu’il est indispensable, pour l’équilibre du dispositif, que ce montant ne soit pas supérieur à ce qu’il était avant la réforme. Nous affinerons les calculs, et nous procéderons, le cas échant et certainement avec l’aide de vos services, madame le ministre, aux ajustements nécessaires d’ici à la commission mixte paritaire.
Mes chers collègues, pardonnez-moi cette présentation un peu longue, mais l’importance de cet amendement ne doit pas être sous-estimée. Nous nous efforçons de dessiner ici – et c’est un moment particulièrement important – l’architecture de la nouvelle fiscalité locale pour les entreprises. Nous ne savons pas encore par quelles phases elle passera, voire par quelles révisions, mais peut-être cette architecture sera-t-elle aussi durable que celle dont M. Fourcade avait été l’un des principaux auteurs, il n’y a guère que trente-cinq ans.
Nous avons la faiblesse de penser que les acteurs du développement local comprendront ce schéma, que nous avons voulu clair et lisible. Nous espérons qu’ils se l’approprieront, pour le plus grand bénéfice de la compétitivité de notre pays. En tout cas, nous y croyons beaucoup, et nous sommes prêts, si le Parlement vote le projet de loi de finances en retenant ce schéma, à nous déployer dès le mois de janvier dans tous les départements pour l’expliquer.