Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen de la proposition de résolution européenne qui nous est soumise aujourd'hui permet de rappeler clairement que le secteur agricole constitue un pilier essentiel de l'économie des outre-mer et un levier clé du développement économique de ceux-ci.
Ces territoires combinent un fort potentiel naturel et de grandes fragilités structurelles. L'essor de leur agriculture est bridé par des contraintes de tous ordres : éloignement et insularité qui renchérissent les intrants, étroitesse des marchés intérieurs, virulence et récurrence des aléas climatiques. En particulier, le fait de devoir faire appel à l'expertise de l'Hexagone pour procéder aux analyses et aux diagnostics phytosanitaires et vétérinaires peut poser des problèmes de délais et de coûts.
Au-delà de ces difficultés structurelles, il est important de souligner à quel point les régions ultrapériphériques, aussi éloignées soient-elles du continent européen, font partie intégrante de l'Union européenne et contribuent au dynamisme, à la prospérité et au rayonnement de cette dernière sur l’ensemble du globe. Néanmoins, il faut sans cesse le rappeler aux institutions européennes, qui ont tendance à uniformiser les normes pour l'ensemble de l'Union européenne et à les résumer aux contraintes continentales, sans prendre en compte les spécificités des RUP.
Il convient de mentionner que les régions ultrapériphériques représentent pour l'Europe un véritable gisement. Avec leurs 4, 3 millions d'habitants, elles occupent une immense partie du territoire maritime européen, qu’elles hissent au premier rang mondial. À cela s'ajoutent 80 % de la biodiversité européenne, une économie non délocalisable, avec des produits agricoles uniques, des destinations touristiques paradisiaques et des sites industriels de pointe, comme ceux qui concernent l'aérospatial.
Pour autant, il ne faut pas oublier que les RUP doivent faire face à des contraintes liées à leur localisation, leur géographie, leur éloignement. Nous devons en tenir compte.
Nous en sommes tous conscients dans cet hémicycle, et ce depuis longtemps. Grâce à vous tous, mes chers collègues, notre nation mène une politique spécifique envers ses outre-mer. Mais il est fondamental que l'Union européenne en ait également pleinement conscience.
Juridiquement, la prise en compte de cette spécificité existe bien, grâce à l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Mais dans les faits, on ne peut que regretter sa faible invocation.
Or les territoires ultramarins doivent surmonter des difficultés intrinsèques, notamment en matière de développement économique. Ainsi, la politique européenne doit permettre de réduire les écarts avec les territoires continentaux. On peut citer, par exemple, les problèmes liés au coût des transports, des personnes et des marchandises qui renchérissent grandement le coût de la vie et diminuent la compétitivité de ces territoires.
Il est donc impératif que les institutions européennes adaptent les règlements européens aux régions ultrapériphériques. Inversement, contraindre celles-ci à adopter des règlements européens inappropriés à leur situation accroît leurs difficultés.
Nous devons par conséquent continuer à défendre des programmes spécifiques, sectoriels en faveur de certaines filières, comme celles des technologies de l'information et de la communication, des transports ou des énergies renouvelables. Nous voulons que ces régions soient des territoires d'avenir, avec des projets pilotes et expérimentaux.
Les institutions européennes ont l'obligation de prendre en compte les spécificités des RUP.
L'Union européenne veut créer un partenariat clair avec les RUP qui s'articule autour de cinq grands piliers : améliorer l'accessibilité, accroître la compétitivité, renforcer l'intégration régionale, soutenir la dimension sociale du développement et s’adapter au changement climatique, qui affecte tout particulièrement ces territoires.
Avec cette proposition de résolution européenne, le Sénat estime nécessaire de garantir la cohérence des politiques agricole, sanitaire et commerciale de l'Union européenne, et invite la Commission européenne à adapter les normes européennes réglementant l'agriculture et l'élevage aux contraintes propres des RUP en tenant compte des spécificités des productions en milieu tropical.
En guise d’illustration, j'aimerais apporter un témoignage sur la situation en Guyane, où j'ai eu la chance de me rendre en mission, situation qui illustre parfaitement les difficultés ressenties par les agriculteurs exploitants et les éleveurs.
Pour développer l'agriculture et l'élevage, des terres actuellement couvertes de forêts doivent d’abord être déforestées. Cette première étape est déjà complexe à cause de la géographie et du relief accidenté. Ensuite, les exploitants doivent ensemencer la terre en herbe. Pour cela, ils doivent utiliser des semences uniquement produites au Brésil et capables de s'adapter à la terre et à l'humidité.
Néanmoins, les exigences européennes imposent des contraintes communautaires sur ces semences, que les agriculteurs guyanais, en conséquence, ne peuvent pas acheter directement au Brésil. Les semences doivent être transportées en Europe avant de repartir vers la Guyane… Notez la logique ! D’autant que, au terme de ce transport, le coût des produits phytosanitaires peut être quatre fois plus élevé qu’au Brésil ou au Surinam voisin. On voit bien les travers qui se produisent en termes de compétitivité…
Je ferai maintenant une remarque rapide concernant les questions sanitaires. Lorsqu’un animal est malade en Guyane, certains prélèvements sanguins ne peuvent être analysés que dans des pays fort éloignés. Le temps d’acheminer les prélèvements et d’en obtenir les résultats, un élevage complet peut être perdu.
Au final, ces exemples, loin d’être anecdotiques, reflètent la complexité, mais surtout l’incohérence de certaines décisions communautaires applicables dans les RUP. Cette situation a des effets directs sur le développement économique de ces dernières.
Les politiques européennes doivent non seulement prendre en compte les contraintes effectives et la diversité des régions, mais aussi assurer une meilleure cohérence dans leur mise en œuvre.
C’est un sujet malheureusement récurrent, puisque, en 2011, en 2012 et en 2014, nous avons déjà adopté des résolutions allant dans le même sens. J’avais d’ailleurs eu le plaisir, au nom de la délégation à l’outre-mer, d’être le rapporteur de deux d’entre elles qui relevaient l’incohérence de la politique commerciale.
Le positionnement du Sénat doit permettre au Gouvernement de défendre des problématiques françaises. Pour cela, la présente proposition de résolution européenne est très claire dans les objectifs poursuivis : acclimater les normes européennes agricoles aux RUP ; autoriser pour les RUP la culture locale de variétés végétales résistantes aux ravageurs tropicaux – nous notons et approuvons votre souhait, madame la ministre, d’encourager davantage la recherche et d’inventer une solution par ce moyen ; autoriser la certification de l’agriculture biologique par un système participatif de garantie, ou SPG ; inciter la Commission européenne à prolonger au-delà de 2019 les mécanismes de stabilisation prévus dans les accords sur la banane.
La délégation sénatoriale à l’outre-mer a souhaité traduire les recommandations de son rapport d’information sur les normes sanitaires et phytosanitaires applicables à l’agriculture dans les outre-mer dans cette proposition de résolution européenne.
Avant de conclure, je souhaite remercier les auteurs et les rapporteurs de ce texte. Notre assemblée doit être celle de tous les territoires français. Notre rôle est donc de comprendre les spécificités de ceux-ci et d’adopter les mesures au plus près de leur réalité.
Le groupe UDI-UC votera par conséquent sans réserve en faveur de cette proposition de résolution.