Intervention de Jean-Marie Morisset

Commission des affaires sociales — Réunion du 23 novembre 2016 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2017 — Mission « égalité des territoires et logement - prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables » - examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Marie MorissetJean-Marie Morisset, rapporteur pour avis :

Monsieur le président, mes chers collègues, c'est la troisième fois que j'ai l'honneur d'être votre rapporteur pour le programme 177, consacré à l'hébergement, au parcours vers le logement et à l'insertion des personnes vulnérables. Malheureusement, les constats que je dresserai aujourd'hui devant vous conduisent aux mêmes conclusions que celles formulées en 2015 et en 2014.

Les crédits affectés au programme 177 progressent certes de près de 15 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2016, pour atteindre 1,74 milliard d'euros. Je note que, pour la première fois depuis plusieurs années, les crédits demandés dans le PLF sont supérieurs aux crédits effectivement consommés au cours du dernier exercice clos, c'est-à-dire 2015. Toutefois, compte tenu des décrets d'avance publiés ou annoncés et des crédits supplémentaires demandés dans le projet de loi de finances rectificative, les crédits demandés pour 2017 sont d'ores et déjà inférieurs de 17 millions d'euros aux crédits qui auront été consommés cette année, alors que les besoins continuent de progresser. Si elle est moins flagrante, la sous-budgétisation récurrente du programme 177, que j'ai déjà eu l'occasion de critiquer devant vous, se poursuit donc.

Les dispositifs financés par le programme 177 apparaissent comme le réceptacle des échecs d'autres politiques publiques. Ils accueillent différents types de publics : des personnes qu'une spirale de précarité a conduit à la rue aux déboutés du droit d'asile en passant par des mères avec enfants et, de plus en plus, des travailleurs pauvres, auxquels sont récemment venus s'ajouter les migrants évacués de campements de fortune, sur lesquels je reviendrai. Si ces besoins sont par nature difficiles à évaluer ex ante, les acteurs de terrain, aussi bien dans les associations que dans les services déconcentrés, auraient besoin d'une plus grande lisibilité sur les crédits qui leurs sont alloués pour mener à bien leurs missions.

La crise économique et l'augmentation de la pauvreté et de la précarité qu'elle a entraînée, dans un contexte de crise aiguë du logement, ont provoqué une sollicitation accrue des dispositifs d'hébergement. Pour ne citer que quelques chiffres, la fondation Abbé Pierre comptabilisait en 2012 141 000 personnes sans domicile, soit une progression de 50 % en 10 ans. Si nous ne disposons pas de chiffres plus récents, chacun constate quotidiennement que cette explosion du nombre de personnes sans abri se poursuit. En 2015, le nombre d'expulsions locatives a ainsi bondi de 24 % et, rien qu'à Paris, le 115 a reçu plus de 4 500 appels par jour, dont 60 % n'ont pas pu être traités en raison de la saturation des lignes.

Face à cette situation extrêmement préoccupante, et alors que le principe du « logement d'abord » est érigé depuis 2009 en doctrine de cette politique, la réponse à la question des sans-abris demeure caractérisée par une gestion de l'urgence qui prend le pas sur tous les efforts, réels, menés en faveur du développement de solutions de long terme permettant la réinsertion des personnes mises à l'abri.

Ainsi, la hausse de près de 60 % des crédits demandés en loi de finances initiale depuis 2010 a permis une augmentation de 71 % du nombre de places d'accueil en centre d'hébergement d'urgence et une progression vertigineuse de 172 % du nombre de nuitées hôtelières mobilisées. Dans le même temps, le nombre de places en centres d'hébergement et de réinsertion (CHRS), structures plus adaptées à une prise en charge globale, ne progressait que de 6,7 %.

Cette priorité accordée à l'urgence s'observe encore en 2017. Les crédits consacrés à l'hébergement d'urgence progressent en effet de 28 %, ceux consacrés aux CHRS de 1,7 %.

L'effort de réduction du recours à l'hôtel est symptomatique de ces difficultés et de la priorité qui est donnée à la gestion de l'urgence. Devant l'explosion du nombre de nuitées mobilisées chaque année, qui a approché 38 000 en 2015, le Gouvernement a annoncé en 2015 un plan de réduction du recours à l'hôtel et de développement des solutions alternatives. On constate premièrement que si ce plan permet de ralentir la progression du nombre de nuitées, l'inversion de cette courbe-là demeure une perspective bien lointaine. Deuxièmement, concernant le développement des solutions alternatives, on constate que les créations de places en centres d'hébergement d'urgence ont d'ores et déjà dépassé les objectifs mais que le développement du logement adapté et de l'intermédiation locative progresse nettement moins vite. Par ailleurs, et singulièrement en région parisienne, si le recours à l'hôtel progresse plus lentement, c'est aussi que le parc hôtelier bon marché est saturé, ce qui fait perdre à l'hôtel son caractère souple et facilement mobilisable. Je vous rappelle qu'en Ile-de-France, qui représente l'essentiel du recours à l'hôtel, c'est 15 % de l'offre hôtelière qui est mobilisée par l'hébergement d'urgence et que des familles passent d'hôtel en hôtel pendant des années sans qu'une situation plus stable ne leur soit trouvée.

Par ailleurs, la progression des crédits affectés à la veille sociale (de 35 % par rapport à la LFI pour 2016 mais seulement de 0,9 % par rapport aux crédits effectivement consommés en 2015) apparaît nécessaire. Ces crédits doivent permettre de poursuivre la mise en place d'un service d'accueil et d'orientation (SIAO) unique dans chaque département et le développement de l'outil informatisé dédié. Je note cette année encore que ces chantiers se poursuivent, en espérant pouvoir l'an prochain constater enfin leur achèvement. Ceci est également valable pour le développement des diagnostics territoriaux dits « à 360° », qu'une majorité de départements ont déjà élaborés.

Enfin, je salue la progression de 22,8 % des crédits consacrés au logement adapté. Ce type de solutions, et notamment les pensions de famille et l'intermédiation locative, apparaissent en effet de nature à permettre une réelle réinsertion des personnes concernées.

La sous-budgétisation du programme 177 est d'autant plus regrettable que les besoins sont appelés à augmenter en 2017 non seulement du fait de la progression de la précarité mais également en raison de la nécessaire prise en charge de flux de populations migrantes.

Les dispositifs généralistes financés par ce programme sont en effet impactés par l'augmentation des flux migratoires par plusieurs biais. D'une part, alors que les demandeurs d'asile ont en principe le droit à un hébergement, les crédits du programme 303 sont notoirement insuffisants, et près d'un sur deux ne peut être accueilli dans une structure dédiée. Par ailleurs, une grande majorité des demandeurs d'asile déboutés se maintiennent sur le territoire national, illégalement ou parce que leur situation ne permet pas de les éloigner. En vertu du principe d'inconditionnalité de l'accueil, ces personnes sont accueillies dans les dispositifs généralistes alors même qu'ils ne disposent d'aucune perspective de régularisation de leur situation et donc d'accès à l'emploi et au logement.

A ces problématiques, dont l'acuité continue de grandir, est venue s'ajouter depuis 2015 la question des campements de migrants que l'on a vu apparaître, notamment dans le Calaisis et en région parisienne. Face à la multiplication et à l'expansion extrêmement rapide de ces campements, qui constituent des conditions de vie tout à fait indignes, la politique d'évacuation et d'orientation vers des structures ad hoc apparaît comme indiscutable.

Toutefois, la création, souvent en urgence, de centres d'accueil et d'orientation (CAO), qui sont financés par les crédits du programme 177, pose un certain nombre de questions. Considérées comme des solutions transitoires, ces structures ne font pas l'objet d'une ligne spécifique dans la nomenclature budgétaire qui nous est proposée. Toutefois, compte tenu de l'insuffisance de places d'hébergement au niveau national et de la rapidité avec laquelle se reconstituent de nouveaux camps de fortune, on peut raisonnablement estimer que la situation d'une grande partie des personnes accueilles dans les CAO ne sera pas réglée dans trois mois et que le transitoire aura vocation à s'inscrire dans la durée. Or, un certain nombre des structures mobilisées devront d'ici quelques mois revenir à leur vocation première.

Les CAO sont par ailleurs conçus de manière étanche par rapport aux autres dispositifs financés par le programme 177. Cela répond à la volonté bien compréhensible de ne pas mélanger des publics dont les problématiques sont différentes. Cette étanchéité peut toutefois conduire à ce que des places soient vacantes au sein d'un CAO, alors que des personnes faisant appel aux dispositifs généralistes sont laissées sans solution. Cette étanchéité est critiquée par les associations.

Si cette question mobilise une partie importante de l'énergie et du temps des acteurs institutionnels et associatifs que j'ai pu auditionner, il convient toutefois de se méfier de l'effet de loupe provoqué par la médiatisation parfois spectaculaire des évacuations de campements de fortune. Le nombre de places ouvertes dans le cadre de l'évacuation de campements de fortune représente moins de 20 000 unités et les crédits engagés s'élèvent à une cinquantaine de millions d'euros. Malgré son acuité et sa visibilité, la question des migrants demeure marginale par rapport à la problématique plus large de l'hébergement dans notre pays et il serait exagéré de soutenir que la prise en charge de ces publics se ferait au détriment des publics que l'on qualifierait de traditionnels. Au demeurant, si on parle souvent de « crise » migratoire, les flux que nous connaissons actuellement ne constituent pas un défi insurmontable pour un pays comme le nôtre.

Je voudrais avant de conclure dire un mot sur les mobilisations citoyennes et associatives en faveur des personnes qui se retrouvent à la rue. J'ai eu l'occasion de rencontrer au cours de mes auditions les responsables du programme « Hiver solidaire », qui accueille au cours de la période hivernale des personnes de la rue pour leur offrir répit et stabilisation. L'accueil des migrants est également l'occasion pour nos compatriotes de faire preuve de leur générosité. Ces initiatives, si elles ne doivent pas conduire les pouvoirs publics à se défausser de leurs responsabilités, témoignent de la solidarité de nos concitoyens, que je tiens à souligner.

Dans un contexte de crise du logement qui ne permet pas aux publics accueillis dans les dispositifs d'hébergement de disposer de perspectives d'insertion stable, la sous-budgétisation manifeste du programme 177 me conduit à vous proposer de donner un avis défavorable à l'adoption de ces crédits.

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