Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Commission des affaires sociales — Réunion du 23 novembre 2016 à 14h30
Projet de loi de finances pour 2017 -mission «anciens combattants mémoire et liens avec la nation » — Examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Baptiste LemoyneJean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis :

Les bouleversements qu'a connus notre pays depuis 18 mois, face à la menace terroriste qui a frappé Paris à deux reprises puis Bruxelles, ont replacé au coeur du débat politique les thématiques qu'embrasse le champ de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».

Alors que les militaires de l'opération Sentinelle protègent nos villes et que le dimensionnement de nos armées a été revu, le lien armée-Nation se matérialise au quotidien pour nos concitoyens. Il appartient également à l'Etat de garantir aux jeunes femmes et aux jeunes hommes qui s'engagent aujourd'hui pour défendre la République qu'ils bénéficieront, une fois de retour dans la vie civile, des mêmes droits que leurs aînés. La politique de mémoire, en particulier en cette période commémorative riche, est quant à elle un puissant facteur de cohésion nationale et de promotion des valeurs que nous partageons tous, quelles que soient nos origines.

Dès lors, ce n'est pas l'inexorable et incontestable déclin des dernières générations du feu du vingtième siècle qui retire toute pertinence à cette politique publique. Au contraire, il appelle de profondes mutations pour s'adapter à cette nouvelle réalité.

Comme chaque année, le départ d'anciens des conflits de 1939-1945, de l'Indochine et de l'Algérie structure l'évolution des crédits de la mission. En 2017, ceux-ci devraient s'élever à 2,55 milliards d'euros, en baisse de 2,6 % par rapport à 2016, soit - 67 millions d'euros. Le nombre des bénéficiaires des droits et prestations entrant dans le champ de la mission connaît quant à lui une diminution de 4,8 % pour la retraite du combattant, de 4,9 % pour les pensions militaires d'invalidité (PMI) et de 2,1 % pour la majoration des rentes mutualistes.

Cette réduction des crédits est concentrée sur le programme 169 « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant », qui représente 95 % des crédits de la mission et assure le financement de ces différentes prestations. En revanche, le budget du programme 167 « Liens entre la Nation et son armée » reste inchangé, tout comme celui du programme 158 qui assure l'indemnisation des victimes d'actes de barbarie commis durant la Seconde Guerre mondiale.

Le programme 167 regroupe deux aspects essentiels de la politique visant à rapprocher les citoyens, en particulier les jeunes, et les armées. Il s'agit tout d'abord de la Journée défense et citoyenneté (JDC), que tous les Français doivent accomplir à compter de leur recensement et avant l'âge de 25 ans. Ainsi, en 2015, plus de 795 000 jeunes ont été accueillis dans 270 sites répartis sur l'ensemble du territoire, dans l'hexagone et outre-mer. Un binôme d'animateurs, chacun issu d'une armée différente, les prend en charge et, au cours d'une journée très dense, leur présente les enjeux liés à la défense et leur fait passer des tests évaluant leur maîtrise de la langue française.

Dans un rapport réalisé au début de l'année à la demande de la commission des finances, la Cour des comptes avait souligné l'efficacité de l'organisation de la JDC par le ministère de la défense mais avait recommandé de poursuivre son recentrage sur les questions de défense. Ce mouvement a été engagé en 2014 à la demande du Président de la République, et la JDC rénovée semble donner satisfaction aux appelés.

Néanmoins, ce moment de contact unique avec la quasi-intégralité d'une classe d'âge est également l'occasion de faire passer plusieurs messages civiques et sociaux : présentation des dispositifs d'insertion, information sur les dons d'organe et de sang. Son module d'initiation aux premiers secours a été remplacé cette année par un module de sensibilisation à la sécurité routière, dont les premiers résultats sont plus mitigés sur le plan de la satisfaction. Ne pourrait-elle pas également avoir un rôle à jouer dans la prévention et la détection de la radicalisation ?

Deux préoccupations concurrentes entrent donc ici en collision : la sensibilisation à l'esprit de défense et celle, plus large, de la formation des citoyens de demain. Cette tâche ne peut incomber au seul ministère de la défense. C'est pourquoi des réflexions sont en cours sur l'opportunité de prolonger la JDC lors d'une seconde journée, voire même sur une semaine comme l'a évoqué le Président de la République. Cela peut potentiellement soulever d'importantes difficultés, notamment en matière de logement des jeunes. La solution pourrait passer par l'organisation d'une journée supplémentaire décalée par rapport à la JDC et centrée sur les thématiques civiques et sociales, qui pourrait se dérouler dans les établissements scolaires. La réflexion sur ce point n'en est encore qu'à un stade préliminaire.

Il faut toutefois garder à l'esprit que le nombre de jeunes participant à la JDC est en forte augmentation, en lien avec la natalité de la fin des années 1990. 800 000 d'entre eux sont attendus l'an prochain, soit une hausse de 10 % par rapport à 2010. Un effort supplémentaire doit également être réalisé en direction de la part de jeunes, environ 4 % d'une classe d'âge, soit 30 000 d'entre eux, qui bien qu'étant soumis à cette obligation ne participent pas à la JDC. Ce rituel républicain est d'autant plus important qu'il offre à tous les jeunes une information sur leurs droits et devoirs et un contact avec une des institutions essentielles de la République.

A côté de la JDC, la politique de mémoire contribue à l'éducation citoyenne en promouvant les valeurs au nom desquelles tant de femmes et d'hommes se sont battus pour la France au vingtième siècle. Dotée de 22,2 millions d'euros, elle finance des actions pédagogiques, comme le concours national de la Résistance et de la Déportation (CNRD) ou le soutien à des projets plus ponctuels. Elle est surtout construite autour de la commémoration des grands événements historiques du siècle passé.

Outre les onze journées commémoratives nationales, l'année 2017 sera marquée par la poursuite du centenaire de la Première Guerre mondiale. La cérémonie franco-allemande du 29 mai dernier à Verdun, dont l'organisation donna lieu à d'importants dépassements budgétaires dus au changement de format avec l'accueil de 4 000 jeunes de France et d'Allemagne, a suscité une violente polémique. Selon les témoignages que j'ai recueillis, il semble que la perception de ceux qui y ont assisté à la cérémonie ne soit pas la même que celle qui a été reçue puis véhiculée sur les réseaux sociaux notamment. La cérémonie franco-britannique du 1er juillet à Thiepval, dans la Somme, plus classique, a quant à elle été saluée pour sa solennité.

L'an prochain, trois moments importants seront commémorés : l'entrée en guerre des Etats-Unis, avec une saison franco-américaine qui débutera dans les ports qui ont accueilli les doughboys, la bataille de Vimy, à l'occasion de laquelle le Premier ministre canadien devrait réaliser sa première visite bilatérale en France, et le Chemin des Dames. Ce calendrier risque de s'entrechoquer avec nos échéances politiques nationales, puisque ces événements auront lieu durant les deux premières semaines d'avril. Il faut surtout parvenir à conserver, pour la quatrième année consécutive, l'intérêt et l'appétence des Français pour ce cycle commémoratif, sans toutefois espérer retrouver l'engouement mémoriel qui avait marqué 2014.

Par ailleurs, la politique de valorisation du patrimoine mémoriel et de soutien au tourisme de mémoire sera poursuivie, grâce à une enveloppe de deux millions d'euros. L'Onac assure quant à lui l'entretien des hauts lieux de la mémoire nationale et des sépultures de guerre.

S'agissant du droit à réparation dont bénéficient tous les anciens combattants, la principale évolution de ce PLF est la revalorisation progressive de 48 à 52 points de PMI, attendue depuis 2012, de la retraite du combattant, qui est versée à tous les titulaires de la carte du combattant à partir de 65 ans. Il s'agira d'une progression en deux temps : une hausse de deux points, soit environ 28 euros supplémentaires, dès le 1er janvier, puis une seconde hausse de même ampleur le 1er septembre. Au final, son montant devrait passer 674 euros à près de 730 euros, pour un coût de 27 millions d'euros en 2017.

On comprend aisément que le monde combattant se félicite de cette mesure. On peut simplement regretter qu'elle intervienne tardivement dans le quinquennat, alors que le Sénat l'avait adoptée dès 2014 à mon initiative et que la retraite du combattant avait été revalorisée chaque année entre 2007 et 2012. Son montant avait été revalorisé de 55 % sur cette période.

2016 a également constitué la première année pleine de mise en oeuvre des nouveaux critères d'attribution de la carte du combattant pour les anciens militaires ayant servi en opération extérieure (Opex). Ils ont été alignés sur ceux en vigueur pour la guerre d'Algérie, soit 120 jours de présence sur un théâtre d'opération, par la loi de finances pour 2015. Cette mesure produit pleinement ses effets : alors qu'entre 1993 et 2015 99 000 cartes avaient été attribuées au titre des Opex, 25 000 cartes supplémentaires ont été remises dans les 18 derniers mois. Le nombre de bénéficiaires supplémentaires est estimé à 125 000. Jeunes et encore actifs, peu d'entre eux sont éligibles à ce jour à la retraite du combattant ou à la demi-part fiscale, mais ils deviennent ressortissants de l'Onac et, à ce titre, sont couverts par sa politique d'action sociale et d'aide à la reconversion professionnelle.

Il faut rappeler que la politique en faveur du monde combattant doit également être mesurée à l'aune des dépenses fiscales qui y sont associées. Elles représentent un total de plus de 750 millions d'euros, en légère progression en raison du vieillissement des titulaires de la carte du combattant, qui à partir de 74 ans, contre 75 ans jusqu'à l'année dernière, bénéficient d'une demi-part de quotient familial supplémentaire. Redisons qu'elles font partie intégrante du droit à réparation dont peuvent se prévaloir les anciens combattants.

J'en viens maintenant aux politiques en direction des harkis et des rapatriés. En septembre dernier, le Président de la République a reconnu les responsabilités des gouvernements français dans l'abandon des anciens supplétifs. Geste symbolique tardif mais attendu, il ne vient pas pour autant corriger toutes les lacunes de notre politique en faveur de cette population. Dans le cadre du plan d'action du Gouvernement en faveur des harkis, des efforts ont été consentis en matière de reconnaissance, mais le volet réparation reste insuffisant, notamment en matière d'aide à l'emploi dans la fonction publique pour les enfants de harkis.

Il faut enfin mentionner la situation des deux opérateurs de la mission, qui constituent le lien direct entre l'Etat et le monde combattant. L'Onac tout d'abord, dont les services départementaux sont le guichet unique garantissant l'effectivité des droits des anciens combattants. À ce jour, leur pérennité est assurée.

La réforme de l'aide sociale de l'Onac a fait couler beaucoup d'encre. Elle était la conséquence d'une situation juridique complexe. Elle corrige une situation dans laquelle les anciens combattants les plus démunis, qui ne bénéficiaient pas d'une prestation spécifique, pouvaient se retrouver parfois dans une bien plus grande précarité que les conjoints survivants.

Désormais, la priorité est donnée aux plus démunis, quel que soit leur statut. L'examen individuel et anonyme des dossiers par les commissions départementales permet de définir une aide répondant aux besoins des personnes, qui peut d'ailleurs être d'un montant plus élevé que l'ancienne ADCS. Le caractère subsidiaire de l'aide versée par l'Onac est rappelé : les demandeurs doivent faire tout d'abord valoir leurs droits aux allocations de droit commun.

Pour 2017, un million d'euros supplémentaires sont accordés à l'action sociale, ce qui porte son budget à 27,5 millions d'euros. Les six premiers mois de mise en oeuvre de ces nouvelles orientations ont toutefois mis en lumière l'absence d'harmonisation des pratiques et des montants versés entre les départements. Il conviendra de réexaminer cette situation à la fin de l'année et, le cas échéant, de la corriger.

L'Onac poursuit par ailleurs sa mutation en se recentrant sur ses fonctions essentielles. La cession de ses établissements médico-sociaux, écoles de reconversion professionnelle (ERP) et établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) est presque finalisée. Une politique spécifique en direction des anciens des Opex a été mise en place, avec une offre de service adaptée : accompagnement vers l'emploi, suivi des blessés après leur départ de l'institution militaire, meilleure prise en compte des victimes de syndromes post-traumatiques. Il faut également noter que l'Onac accueille les victimes des attentats et leurs ayants droits, en particulier les orphelins devenus pupilles de la Nation.

Le second opérateur, l'institution nationale des Invalides (Ini), se trouvait depuis plusieurs années dans une situation d'entre-deux inconfortable, sans orientation claire pour son avenir, qui menaçait sa pérennité. Sa modernisation va finalement être engagée, pour assurer sa complémentarité avec les hôpitaux du service de santé des armées (SSA) et l'offre de soins régionale.

Sa mission historique sera maintenue au sein de son centre des pensionnaires, mais elle deviendra également le centre de référence pour la réinsertion et la réadaptation des blessés en Opex, une fois passée la phase d'hospitalisation initiale. Une période de travaux de cinq ans devrait débuter à partir de la fin de l'année 2017, pour un coût estimé de 60 millions d'euros. Pour l'engager, une subvention exceptionnelle de 5 millions d'euros lui est versée.

Au final, quel bilan tirer de ce budget et, plus largement, du quinquennat qui vient de s'écouler ? Sur la période 2012-2017, le niveau des crédits aura diminué de 17 %, ce qui représente une économie cumulée d'environ 1,8 milliard d'euros par rapport au niveau des crédits de la loi de finances de 2012. Dans le même temps, le nombre de titulaires de la carte du combattant aura reculé de 16 %, et celui des bénéficiaires de PMI de 18 %.

Sur le fond, les droits acquis n'ont pas été remis en cause. Des chantiers ont pu aboutir, je pense notamment à l'attribution de la carte du combattant « à cheval » ou à l'alignement des critères pour les Opex sur ceux de la guerre d'Algérie. Par ailleurs, une politique de mémoire ambitieuse a été conduite. Initiée dès 2011, elle a jusqu'à présent été à la hauteur des enjeux nationaux et internationaux représentés par le soixante-dixième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale et le centenaire de la Grande Guerre.

Pour autant, cette consolidation de la politique de reconnaissance et de réparation envers les anciens combattants est par bien des aspects inachevée. Le Gouvernement a refusé d'ouvrir plusieurs chantiers, comme le ministre l'a reconnu lors de son audition, qui auraient permis de corriger les dernières inégalités entre compagnons d'armes.

Le premier est l'attribution de la carte du combattant aux soldats qui ont été stationnés en Algérie entre 1962 et 1964, en application des accords d'Evian. Plusieurs dizaines d'entre eux sont morts pour la France. Il est indéniable que nous n'étions plus en guerre durant cette période, mais les circonstances s'apparentent à celle d'une Opex.

Dans ces conditions, une intervention du législateur n'est pas nécessaire pour accorder la carte du combattant à ces anciens combattants : c'est au Gouvernement de modifier l'arrêté du 12 janvier 1994 qui fixe la liste des opérations ouvrant le droit à la carte au titre des Opex. Ce ne serait pas la plus ancienne, puisque cet arrêté prend déjà en compte les opérations conduites à Madagascar entre 1947 et 1949, au Cameroun entre 1956 et 1958 et en Mauritanie entre 1957 et 1959. Qui plus est, ces territoires étaient alors sous souveraineté française, ce qui les éloigne davantage de la définition d'une Opex que l'action des forces présentes sur le territoire algérien après le 1er juillet 1962.

De même, le dossier des harkis de statut civil de droit commun reste enlisé alors quelques dizaines d'entre eux, jusqu'à trois cents selon les chiffres fournis par les associations, demandent la reconnaissance du sacrifice qu'ils ont consenti pour la France.

Enfin, la situation des conjoints survivants des grands invalides, malgré le vote chaque année de mesures en leur faveur, ne semble pas s'améliorer. Le ministère ne parvenant pas à les recenser, il est donc incapable de cibler son intervention pour les faire sortir de la précarité. Sur ce point, il faut travailler davantage avec les associations pour apporter une solution définitive à leurs difficultés.

Nous devons également nous prononcer sur les trois articles rattachés à la mission, qui n'appellent pas de remarque particulière et ont une portée ainsi qu'un coût - 800 000 euros - essentiellement symboliques. L'article 53 supprime la condition d'âge pour que les conjoints survivants des militaires décédés en opération puissent bénéficier du supplément de pension pour enfant à charge. L'article 54 revalorise l'allocation de reconnaissance que perçoivent les anciens harkis et leurs conjoints survivants. L'article 55 ouvre le droit à une majoration de la pension de réversion aux ayants droit des militaires tués dans l'exercice de leurs fonctions sur le territoire national.

Sur ces considérations, vous comprendrez que je vous invite, mes chers collègues, à émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission et de ces articles qui y sont rattachés.

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