Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 novembre 2016 à 17h45
Projet de loi de finances pour 2017 — Audition de M. Jean-Jacques Urvoas garde des sceaux ministre de la justice

Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice :

Je suis ravi de répondre à votre invitation et je vous présente mes regrets de n'avoir pas toujours pu être à la disposition du Parlement. Vous connaissez mon attachement au fonctionnement du bicaméralisme. J'essaye d'illustrer au mieux cette maxime selon laquelle le Gouvernement est à la disposition du Parlement.

Je vais vous présenter la mission « Justice » dont l'examen s'est achevé, il y a une quinzaine de jours, à l'Assemblée nationale et qui a été voté à l'unanimité des membres présents, les rapporteurs de l'opposition s'étant abstenus positivement, considérant que ce budget n'était pas vraiment critiquable et permettait d'espérer un redressement. Ces mots devraient sonner positivement à vos oreilles, puisque vous avez créé une mission d'information sur le redressement de la justice. Nous suivons ses travaux avec attention et j'espère que nous les facilitons car j'ai donné des consignes pour que le ministère réponde le plus exhaustivement possible à vos différentes demandes. Si vous le souhaitez, je viendrai devant votre commission avant de lire vos conclusions qui sont d'ores et déjà pour nous source d'inspiration.

Je connais vos dispositions aimables à l'égard de la justice dont nous partageons le souci qu'elle puisse disposer de moyens à la hauteur des responsabilités qui sont les siennes. De ce point de vue, le budget de la mission correspond à cette intention. D'ailleurs, le diagnostic à partir duquel il a été construit transcende les clivages politiques : nous sommes tous d'accord pour dire que le fonctionnement de la justice doit s'améliorer. Lorsque vous m'aviez auditionné avec la commission des finances sur la loi de règlement, j'avais dit que des marges de progrès pouvaient encore être franchies. Lors des débats internes au Gouvernement, j'ai tout fait pour obtenir un budget à la hauteur des défis. Ce n'était d'ailleurs pas une surprise pour mes collègues puisque j'avais indiqué lors de mon arrivée à la Chancellerie, il y a dix mois, que la loi de finances était ma seule priorité car, à mes yeux, les textes votés n'ont d'intérêt que s'ils sont correctement appliqués. L'institution judiciaire doit bénéficier des moyens garantissant à la fois son impartialité, son indépendance et son bon fonctionnement.

Je suis donc heureux de vous présenter un budget dont l'augmentation est la plus forte depuis le début du quinquennat. Par rapport à l'an passé, l'augmentation se monte à 520 millions d'euros. J'ai décidé d'affecter ces moyens en priorité aux juridictions, car celles-ci connaissent de grandes difficultés, tant en ce qui concerne les justiciables que le personnel. Votre rapporteur Yves Détraigne disait à juste titre que « la justice est un service essentiel pour le bon fonctionnement de notre société. Elle est servie par des magistrats, des greffiers et d'autres agents qui ont un grand sens du service public ». Il est donc légitime que nous oeuvrions ensemble pour que leurs conditions de travail soient dignes. Cela passe d'abord par la création de postes. Avec ce projet de loi de finances, nous proposons d'en créer 600 dans les juridictions, soit 238 emplois de magistrats et 362 emplois de greffiers et d'agents administratifs. Ces créations de postes sont complémentaires d'une revalorisation des statuts et d'une réflexion sur les missions. La loi sur la justice du XXIème siècle a ainsi réorienté un certain nombre de fonctions qui pesaient sur les juridictions et qui vont relever d'autres structures, étatiques ou décentralisées.

Les crédits destinés au fonctionnement des juridictions augmentent de 12 %. Ces 355 millions d'euros permettront de soulager les juridictions et de commencer à mettre fin à l'embolie que chacun constate ici ou là.

Le ministère de la justice est le premier constructeur de l'État. Pour 2017, le budget dédié à la construction augmente de 31 %. Cela permettra de financer de grandes opérations en cours à Strasbourg, à Cayenne, à Pointe-à-Pitre ou encore à Lisieux. Des opérations seront lancées l'an prochain à Lille, à Basse-Terre ou encore à Mont-de-Marsan où je suis allé visiter la semaine dernière le tribunal de grande instance dont l'état est en-deçà de ce qui m'avait été annoncé. Nous devons également maintenir en état les juridictions, les remettre aux normes et en améliorer l'accessibilité. Entre 2012 et 2017, à côté des grands travaux, il y aura eu plus d'une centaine d'opérations de cet ordre.

Nous nous attachons aussi à gérer de façon rigoureuse ce ministère dont la gestion souffre d'une mauvaise réputation. Nous avons cherché des pistes d'amélioration de la dépense publique. Avec le secrétaire d'état chargé du budget, Christian Eckert, nous avons lancé une mission commune pour identifier les marges de progression et optimiser les dépenses. En 2017, nous passerons au crible les frais de justice. Vos rapporteurs nous avaient demandé en 2016 d'être vigilants pour éviter des arriérés importants qui ont des conséquences néfastes pour les auxiliaires de justice : certains d'entre eux refusent même parfois leur concours faute de paiement de leurs missions antérieures. Quand je suis arrivé à la Chancellerie, je me suis engagé à réduire les délais de paiement dès 2016. Nous sommes sur la bonne voie. En janvier, nous avions quatre mois de retard. En raison du dégel que le Premier ministre a accordé au printemps et de la mobilisation des différentes cours d'appel, nous sommes passés à un mois. Les chefs de cour que vous rencontrerez ne pourront que corroborer mes dires. Il y a quelques semaines, j'ai obtenu que, dans le décret d'avance, 40 millions d'euros soient dédiés aux frais de justice. Néanmoins, j'ai souhaité qu'en 2017 nous réalisions des économies sur ces frais. Le déploiement progressif de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) devrait se traduire par des économies, même si je connais ses carences actuelles.

J'ai également engagé la réforme du secrétariat général. Nous ne répondrons pas à l'embolie de la justice par un accroissement des moyens, car plus nous améliorerons l'institution judiciaire, plus elle génèrera des demandes. Des réformes de structure sont donc nécessaires. C'est pourquoi la réforme du Secrétariat général doit être menée à bien : c'est une structure horizontale qu'il nous faut construire dans une administration qui a beaucoup plus l'habitude de la verticalité avec la protection judiciaire de la jeunesse, la direction de l'administration pénitentiaire, les services judiciaires et les deux directions législatives. Ayant demandé au secrétaire général d'engager une réforme profonde, je lui ai donc affecté 80 emplois de plus pour prendre le tournant du numérique. Pour l'instant, notre équipement informatique est en retard, en dépit des plateformes régionales créées. Les premières mesures prises pour regrouper les services centraux du ministère dans un immeuble situé porte d'Aubervilliers nous ont permis d'économiser 6 millions d'euros de loyers.

Avec l'augmentation du budget, l'accès à la justice et au droit sera facilité. Deux mesures importantes ont ainsi été prévues par la loi pour la justice du XXIème siècle. La première est le développement des services d'accueil unique du justiciable (SAUJ). J'étais récemment à Angers, à Mulhouse et à Strasbourg : la mobilisation des personnels des greffes permet d'offrir ce service de proximité. Nous travaillons aussi à l'intégration des tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS) et des tribunaux du contentieux de l'incapacité (TCI) au sein des tribunaux de grande instance (TGI).

Lors des débats sur la loi de finances pour 2016, vous aviez dit votre inquiétude pour l'aide juridictionnelle. Pour 2017, elle s'élèvera à 454 millions d'euros, soit une progression de 15 % qui se décompose ainsi : 371 millions d'euros de subventions et 83 millions d'euros de ressources extrabudgétaires. Avec ces crédits, je vais pouvoir honorer les engagements passés avec la profession fin 2015 et je vais pouvoir instaurer une unité de valeur unique revalorisée, servant de base au calcul de la rétribution des avocats. Aujourd'hui, nous avons trois montants : 26,5 euros, 27,5 euros et 28,5 euros. L'Assemblée nationale a voté l'amendement que j'ai déposé et qui porte cette valeur à 32 euros, au lieu des 30 euros initialement prévus en loi de finances. Ce montant unique est le fruit d'une nouvelle concertation avec le Conseil national des barreaux.

S'agissant des justiciables, le plafond de ressources pour bénéficier de l'aide juridictionnelle passera de 929 euros en 2012 - montant inférieur au seuil de pauvreté - à plus de 1 000 euros en 2017. Cela permet d'inclure dans le champ de l'aide juridictionnelle 100 000 justiciables supplémentaires.

Le budget dédié à l'aide aux victimes, dont les dépenses ont crû régulièrement ces dernières années, augmente. Nous atteindrons les 25 millions d'euros, contre 10 millions d'euros en 2012. Comme l'action des bureaux d'aide aux victimes est déterminante, nous en avons créé 116 : ce dispositif est donc généralisé à tous les TGI.

J'en viens à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) : les rapports successifs de Mme Cécile Cukierman ont mis l'accent sur le manque de postes, notamment lors de la loi de finances pour 2015. En 2017, la PJJ aura les moyens d'agir, grâce à l'augmentation de 4 % de son budget (les crédits hors CAS Pension passent de 663 à 690 millions d'euros) et à la création de 165 emplois. Je profite de l'occasion pour dire mon respect et ma gratitude à Mme Catherine Sultan, directrice de la PJJ. Nous avons encore beaucoup à faire, notamment avec le défi de la radicalisation auquel la PJJ s'est attaqué.

Il y a d'autres enjeux, comme la révolution numérique. Nous allons dédier 121 millions d'euros à l'informatique (+ 7 %). Cette décision correspond aux attentes des procureurs et des présidents. Déjà, en début d'année, j'avais débloqué 21 millions sur les 107 millions d'euros dégelés. Cette augmentation financera l'équipement courant, mais aussi le projet « Justice.fr », site d'information du justiciable ouvert au printemps dernier mais qui doit encore être développé afin que chacun puisse engager des démarches sans se déplacer.

Parmi les autres grands enjeux, nous devons adapter la prison. Vous connaissez bien sûr le problème de la surpopulation, des conditions de travail, mais aussi des conditions de détention qui sont éprouvantes. Depuis 2012, et si l'on inclut 2017, nous aurons construit 4 035 places de prison nettes. C'est beaucoup mais cela reste insuffisant. Le Premier ministre a d'ailleurs annoncé le 6 octobre un vaste plan de construction pénitentiaire : 32 nouvelles maisons d'arrêt et un centre de détention. Les préfets de 33 départements ont été mobilisés et je suis l'objet de nombreuses sollicitations de parlementaires. Les préfets devront nous rendre leur copie le 16 décembre. Début janvier, nous procéderons aux choix afin d'engager immédiatement les procédures d'acquisition et les travaux de construction. Ce programme n'a pas uniquement vocation à lutter contre la surpopulation mais aussi à garantir l'encellulement individuel. Nous prévoyons 1,158 milliard d'euros pour la construction de ces établissements et pour les quartiers de préparation à la sortie (QPS), structures permettant de prévenir la récidive. En outre, 150 millions d'euros sont destinés à la maintenance et à la rénovation des bâtiments. Depuis des années, la Cour des comptes nous invite à inscrire ce montant alors que l'entretien de ce patrimoine public a trop longtemps été considéré comme une variable d'ajustement. Depuis une décennie, il était habituel de prévoir 40 à 50 millions d'euros pour l'entretien alors qu'il en fallait 150. En outre, cette année nous devrons payer 170 millions d'euros aux entreprises avec qui l'État a conclu des partenariats public-privé. Je souhaite que nous entretenions notre patrimoine public qui est considérable : nous disposons de 1 200 implantations judicaires et de 188 prisons. Or, 70 % d'entre elles n'ont jamais été construites pour en faire des établissements pénitentiaires : il s'agissait de couvents ou de casernes... De plus, 72 % de ces bâtiments sont centenaires et nécessitent des travaux importants : plus nous les laissons se dégrader, plus les coûts de réhabilitation seront élevés. Les 150 millions inscrits vont permettre de poursuivre les travaux engagés, comme à la Santé qui rouvrira au deuxième trimestre 2018, mais aussi l'entretien des Baumettes et de Fleury-Mérogis. La sécurité des bâtiments est également essentielle : 40 millions d'euros lui seront consacrés afin que le droit à la sûreté ne soit pas que virtuel.

En outre, 1 255 emplois seront créés dans l'administration pénitentiaire, sous la responsabilité de son nouveau directeur, le préfet Philippe Galli : compte tenu de sa longue expérience, je n'ai aucun doute sur sa capacité à faire face aux nombreuses obligations que je lui ai imposées. Depuis 2012, 4 245 emplois pénitentiaires auront été créés, dont près de 2 500 emplois de surveillants et 1 150 emplois pour les services d'insertion et de probation. Ces recrutements ont été complémentaires d'une revalorisation de la rémunération des personnels. L'administration pénitentiaire voit donc son budget de fonctionnement progresser de 59 millions d'euros.

Nous avons également dégagé des moyens supplémentaires pour lutter contre la radicalisation et le terrorisme en milieu ouvert comme en milieu fermé. Le 25 octobre, j'ai annoncé l'ouverture d'un centre ouvert expérimental en Île-de-France. Les magistrats pourront faire figurer dans les contraintes pénales, dans les sursis avec mise à l'épreuve ou dans les contrôles judicaires des obligations de passage dans ce centre afin de désengager les individus de la violence. Pour ce qui est de la déradicalisation, les choses me semblent plus difficiles à mettre en oeuvre.

Pour le milieu fermé, l'administration pénitentiaire prendra diverses mesures : j'ai répondu à des questions d'actualité sur ces sujets. Nous allons réaffecter les 1 350 détenus radicalisés et les 358 détenus poursuivis sous le chef d'association de malfaiteurs à but terroriste. La semaine dernière, nous avons eu sept écrous de plus sous cette seule incrimination. C'est dire à la fois l'efficacité des services mais aussi la responsabilité qui pèse sur l'administration pénitentiaire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion