Quelle que soit ma sympathie pour votre action, et pour votre style, un rapporteur se prononce sur les faits. Et ce budget doit être envisagé dans la continuité des précédents.
Le patrimoine immobilier pénitentiaire est dans une situation dramatique. Je l'ai encore vu ce matin à Fresnes. Contrairement à la plupart des ministres de la justice de ces dernières années, je suis hostile aux partenariats public-privé (PPP) - ce n'est pas notre collègue Jean-Pierre Sueur qui me contredira. J'ai en effet constaté que, dans les prisons construites sous ce régime, les malfaçons sont nombreuses. Ne disposant plus du personnel technique nécessaire pour les évaluer, les établissements doivent s'en remettre à celui de l'entreprise qui a contracté le PPP. Ainsi, à Poitiers, il y avait tant de malfaçons que le directeur avait estimé les pénalités à 1,3 million d'euros. Le ministère a transigé à 15 000 euros ! Il est vrai que c'était avant votre arrivée...
Les autres établissements sont dans une situation déplorable, que tout l'argent de ce budget ne suffirait pas à rétablir. Parfois, il faudrait raser les bâtiments pour tout reconstruire. L'inaction de plusieurs gouvernements a été telle que la tâche à accomplir est énorme. Celle qui vous a précédé à ce poste a gelé les crédits pendant trois ans. Du coup, il faut mettre les bouchées doubles, à six mois des élections !
Vous recrutez dans l'administration pénitentiaire. Très bien, mais c'est le tonneau des Danaïdes, et l'évaporation est très rapide. Qu'il s'agisse de candidats ne se présentant pas aux concours, de personnes reçues choisissant une autre administration, ou de recrues quittant le service après un an ou deux, il y a un vrai problème de fidélisation des surveillants pénitentiaires. Comme la plupart des membres de cette administration sont issus du Nord ou des outre-mer, ils n'ont qu'une idée : retourner dans leur région d'origine. Et beaucoup d'établissements sont peuplés de stagiaires, ce qui laisse craindre pour la solidité des équipes. J'ajoute que cette profession se féminise, ce qui n'est pas le cas de la population détenue, qui, de surcroît, est rarement féministe. Cela peut poser des problèmes.
Je me réjouis que vous ayez mis un terme aux expérimentations engagées en matière de lutte contre la radicalisation. Le problème est qu'une bonne partie des détenus radicaux sont mélangés au reste de la population carcérale. Comment les isoler ? Celui qui a failli tuer un gardien avait fait l'objet d'une évaluation insuffisante... J'ai rencontré, lors de mes visites, les personnes chargées de gérer les unités de lutte contre la radicalisation. Elles sont sympathiques, mais totalement inexpérimentées. Souvent, il s'agit de jeunes tout juste sortis de la faculté de psychologie, tout contents d'être sous-payés pour leur premier emploi en maison d'arrêt... Inquiétant ! De même, notre renseignement pénitentiaire souffre d'un manque criant d'effectifs. Son personnel est dix fois moins nombreux que ce qu'on observe en Grande-Bretagne. De plus, il est souvent inexpérimenté.
La surpopulation carcérale est d'autant plus forte que les magistrats ne jouent pas le jeu des peines alternatives. D'ailleurs, s'il y a bien une catégorie de personnes qu'on est sûr de ne pas croiser dans les prisons, ce sont les magistrats ! Mis à part les juges d'application des peines - encore y passent-ils aussi peu de temps que possible - les magistrats connaissent mal le monde pénitentiaire.