Merci pour toutes ces questions précieuses, qui éclairent utilement la politique que nous menons.
Les téléphones portables en prison sont un fléau absolu. Entré en politique avec Michel Rocard, je ferai mien son goût du parler vrai en vous donnant quelques chiffres pour l'illustrer : nos services ont saisi 27 524 portables ou éléments de portables en 2014, 31 084 en 2015 et 21 886 du 1er janvier au 1er septembre 2016. Les appareils entrent en prison soit par projection manuelle - mais bientôt sans doute par des moyens plus sophistiqués - au-dessus l'enceinte de l'établissement, soit par les parloirs. Je remercie l'Assemblée nationale et le Sénat d'avoir modifié l'article 57 de la loi pénitentiaire pour placer les fouilles sélectives sous la responsabilité des établissements, dans le respect de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Nous devons lutter plus globalement en sécurisant les établissements, mais conduire simultanément une réflexion plus approfondie, car cela coûte cher et tous les établissements ne sont pas touchés... Le centre pénitentiaire d'Avignon n'a par exemple connu qu'une seule projection de téléphone portable depuis le début de l'année, grâce au glacis extérieur qui permet d'éviter l'approche de son mur d'enceinte.
Plus fondamentalement, je souhaite une évolution législative et réglementaire. La sécurité périmétrique des établissements relève pour l'heure de la police et de la gendarmerie. De la même façon que le législateur a étendu les pouvoirs des services de sécurité de la RATP et de la SNCF sur la voie publique, nous pourrions confier la sécurité périmétrique des prisons à l'administration pénitentiaire. Nous réglerions ainsi le problème des extractions, sujet difficile à gérer pour les cours d'appel, sur lequel le préfet Philippe Galli a d'ailleurs été missionné pour étayer le passage du diagnostic aux propositions concrètes.
Pour l'heure, la lutte contre le fléau que sont les portables en prison nous entraîne dans une dérive technologique et financière, car les brouilleurs commandés par le ministère se sont révélés rapidement obsolètes. Pour y mettre fin, l'administration pénitentiaire a engagé un dialogue compétitif avec neuf entreprises, qui sera conclu au premier trimestre 2017. Des tests sont conduits depuis novembre, afin de vérifier l'efficacité et de garantir l'adaptabilité technique des appareils, qui assureront dans le temps long aussi bien le repérage que le brouillage des portables. Une autre solution existe, que le Canada a mise en place : doter les cellules de téléphones filaires, dont les lignes seraient écoutables par l'administration pénitentiaire, dans le respect du code de procédure pénale.
La PNIJ est une sorte de serpent de mer. Je crois néanmoins toujours à la pertinence de l'outil. En 2006, il coûtait à l'État 25 millions d'euros ; il lui en a coûté 30 millions en 2012, et la facture atteindra 55 millions en 2016, compte tenu de la progression des demandes des enquêteurs, indexées sur l'évolution des technologies... J'ai organisé hier une réunion avec Thales pour évoquer des hypothèses d'adaptation. Aucune, pas même la réinternalisation du service, n'est écartée. Il est inadmissible que des procédures soient fragilisées par des problèmes techniques ; j'ai donc demandé au Premier ministre, qui l'a accepté, de diligenter une enquête technique, pilotée par le secrétaire général du ministère - que j'ai nommé il y a quelques semaines. C'est d'ailleurs, monsieur le président Bas, un magistrat de la Cour des comptes : preuve que je prends au sérieux les observations de la rue Cambon et les exigences d'amélioration de la qualité et de l'efficience du service rendu aux usagers. Le déploiement de la PNIJ sera en toute hypothèse poursuivi au rythme prévu ; Thales a commencé à réorienter ses pratiques.
Monsieur Détraigne, les chiffres des recrutements sont des cibles, dont l'atteinte dépendra des résultats aux concours. Nous savons que nous ne sommes pas un ministère attractif, et nous le déplorons. Beaucoup d'élèves surveillants pénitentiaires abandonnent leur scolarité à l'Enap, d'autres, une fois en poste, empruntent des passerelles vers d'autres types de métiers. Dans le présent budget, entre 40 et 50 millions d'euros sont dédiés à la réflexion sur la fiabilisation du personnel. La moitié des agents de Villepinte aspirent à repartir vers les Antilles ou dans le Nord-Pas-de-Calais. Beaucoup me disent qu'ils seront partis dans les cinq ans... sauf dans les établissements non parisiens, comme à Mont-de-Marsan ou à Béziers. J'ai néanmoins demandé aux directeurs de tenir les objectifs fixés, car on ne saurait déplorer la sous-administration de la justice et, simultanément, refuser de pourvoir tous les postes aux concours.
Un autre problème réside dans le temps de formation. L'énergie déployée par Mme Taubira commence seulement à produire ses effets puisqu'en 2016, le solde d'effectifs est enfin devenu positif avec 417 emplois nouveaux, du fait de 1 348 sorties des cadres et de 1 765 entrées. En 2017, les 1 200 sorties des services judiciaires seront compensées par 1 500 entrées, soit un solde positif de 300 emplois. Nous persistons à augmenter le budget, monsieur le président Bas, et cela va bien finir par se voir ! Théoriquement, l'administration pénitentiaire n'affichera en conséquence plus aucune vacance de postes en 2018. À l'Enap par exemple, trois promotions sont en formation au lieu d'une habituellement. Le nombre de magistrats a été augmenté de 30 personnes en 2015, 100 en 2016 et le sera plus encore en 2017. Le nombre d'auditeurs de justice en formation à Bordeaux est actuellement de 895, toutes promotions confondues.
Le nombre de postes ne relevant pas de la lutte antiterroriste est plus élevé que 32. Nous avons créé des magistrats référents en la matière dans chaque parquet, qui remplissent toutefois d'autres tâches. À Magnanville ou à Saint-Étienne-du-Rouvray par exemple, les parquets ont assumé cette mission, avant que le parquet antiterroriste de Paris ait repris la main. Nous avons beaucoup bénéficié du plan de lutte contre le terrorisme, car nous y avons vu un moyen d'améliorer le fonctionnement des juridictions, en facilitant la gestion des dossiers extraordinaires. Nous construisons en outre des équipes spécialisées, entourant les magistrats de juristes assistants, de greffiers assistants des magistrats et d'assistants spécialisés.
Sachant le temps qui me reste à passer à la Chancellerie, je ne relancerai pas la réforme de l'aide juridictionnelle. La difficulté réside dans la pluralité d'interlocuteurs représentant les avocats : le Conseil national des barreaux, le barreau de Paris, la conférence des bâtonniers... Je dirai d'ailleurs vendredi à l'occasion de la rentrée du barreau de Paris tout le bien que je pense de la diversité des représentants de la profession mais que parler d'une seule voix faciliterait la conduite des réformes... Nous revenons en tout cas à l'unité de valeur de base unique, portée de 30 à 32 euros. L'hypothèse d'une taxe n'a pas été retenue. Une évolution du système est toutefois nécessaire, car dans beaucoup de barreaux, certains avocats ne vivent que de l'aide juridictionnelle, ce qui n'est sans doute pas l'idée qu'ils se faisaient du métier en l'embrassant. Nous progressons simultanément dans la réflexion sur le métier d'avocat : nous avons unifié le concours d'avocat cette année, et j'ai demandé à maître Kami Haeri un rapport sur la fonction de jeune avocat.
M. Détraigne m'interroge également sur le calendrier de Portalis. Nous avons lancé justice.fr. À l'automne 2018, le portail des auxiliaires de justice sera ouvert, qui permettra d'élargir la communication numérique aux procédures introduites devant les tribunaux d'instance ou les conseils de prud'hommes : consultation en ligne des dossiers, possibilité de remplir en ligne les demandes d'aide juridictionnelle pour le compte de leurs clients, etc. Fin 2020, un bureau virtuel sera proposé aux magistrats ; en 2021, les applications existantes seront remplacées, tous les dossiers seront dématérialisés dans une unique chaîne civile et leurs pièces accessibles aux professionnels de la justice en tout point du territoire.
Je suis entièrement d'accord avec M. Portelli. Je ne suis pas non plus un ardent défenseur des partenariats public-privé, mais je comprends les raisons qui ont poussé l'administration à y recourir. L'administration de la justice ne saurait être contrainte par un cadre annuel, et les lois de programmation - il n'y en a eu que deux à ce jour, celle proposée par M. Méhaignerie en 1995 et celle de M. Perben en 2002 - ne sont pas contraignantes, ce que vos rapports parlementaires ont d'ailleurs souligné.
Les partenariats public-privé permettent de se contraindre budgétairement et d'éviter de rogner inévitablement sur le budget. Dans le Loiret par exemple, le centre pénitentiaire d'Orléans-Saran a été endommagé par les récentes inondations. Le préfet a organisé le transfèrement des prisonniers dans la nuit, mais le bâtiment est trop endommagé pour qu'ils le regagnent ; l'argent qui financera les travaux de réparation sera pris en repoussant les investissements prévus. C'est ainsi que l'investissement, depuis dix ans, a pris un retard considérable. En conséquence, l'État trouve le moyen de s'engager sur le long terme en contractualisant avec des partenaires privés. Cela coûte cher, mais les bâtiments sont construits ! Si les lois de programmation étaient suivies d'effets, l'intérêt pour les partenariats public-privé déclinerait logiquement.