Je me bornerai à une présentation succincte des crédits budgétaires de cette mission, d'autant plus qu'elle ne représente qu'un dixième de l'effort financier de l'État en faveur des outre-mer puisque près de 26 missions budgétaires contiennent des crédits qui leur sont destinés sans compter les prélèvements sur recettes ainsi que les dépenses fiscales.
Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017, les crédits de cette mission avoisinent les 2 milliards d'euros, ce qui est une constante depuis 2011. La légère augmentation de 0,8 % pour les crédits de paiement (CP) et 2,1 % pour les autorisations d'engagement (AE) en 2017 s'effectue au prix d'une modification du périmètre de la mission car, à périmètre constant, les crédits de la mission baissent légèrement. La dépense fiscale devrait, en 2017, s'élever à 4,1 milliards d'euros, soit le double des crédits inscrits dans la mission Outre-mer.
Le montant cumulé des AE consacré aux territoires ultramarins, toutes missions confondues, s'élève, pour sa part, à 16,6 milliards d'euros. En CP, il s'établit à 16,4 milliards. Cette hausse s'explique par la création de deux nouveaux programmes budgétaires. Au total, en intégrant les dépenses fiscales, l'effort financier de l'État devrait s'élever à 20,7 milliards en AE et 20,5 milliards en CP en 2017, contre 18,4 milliards en AE et 18,6 milliards en CP en 2016.
Compte tenu du maintien de l'effort budgétaire, ces éléments me conduisent à vous proposer un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
Cette année, j'ai souhaité examiner plus en détail les moyens de la justice outre-mer. Au moment où la mission d'information créée par notre commission s'intéresse à cette question, les outre-mer ne peuvent pas être exclus de cette réflexion. J'ai questionné et entendu les représentants de la chancellerie mais aussi recueilli les observations écrites de plusieurs chefs de cour. D'une part, les moyens des juridictions judiciaires ultramarines ne prennent pas toujours en compte le contexte local. D'autre part, les spécificités du service de la justice dans les outre-mer dénotent parfois un manque d'approche globale de cette question.
Pour définir les moyens des juridictions ultramarines, le dialogue de gestion ne diffère pas de la métropole. S'agissant des ressources humaines, le bon fonctionnement des juridictions ultramarines repose sur la possibilité de disposer de façon durable et certaine de magistrats, greffiers et fonctionnaires en nombre suffisant. L'attractivité des postes, comme pour le reste de la fonction publique d'État, n'est étrangère ni au régime indemnitaire ni aux conditions de vie qu'offre la collectivité d'affectation. Or, les emplois offerts présentent un attrait variable pour les candidats, particulièrement les magistrats, y compris parfois au sein du ressort d'une même cour d'appel. Le sud du département de La Réunion est ainsi particulièrement demandé, tandis que les juridictions de Mayotte, du fait des conditions de vie et de travail difficiles, connaissent des vacances de postes renforcées par la crainte des magistrats et agents de voir leur mutation bloquée faute de candidats pour les remplacer.
La chancellerie a développé des actions d'information et de gestion des ressources humaines en renforçant l'équipe dédiée au sein de la direction des services judiciaires. Cet effort a porté ses fruits au point que l'effectif localisé outre-mer des magistrats coïncide pratiquement avec l'effectif prévu - c'est toutefois moins vrai pour les greffiers. Cet effectif localisé reste cependant théorique : il signifie qu'un magistrat est nommé sur l'emploi ouvert mais n'indique pas si ce magistrat est en congé maladie ou en congé maternité, suspendu pour des motifs disciplinaires, bénéficiant d'un temps partiel, etc.
Une contrainte s'ajoute à la gestion des affectations des magistrats : la règle purement prétorienne forgée par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) généralement résumée par l'adage « outre-mer sur outre-mer ne vaut », qui signifie que le CSM se refuse à des nominations successives au sein de plusieurs juridictions ultramarines. Cette précaution peut se comprendre pour éviter le nomadisme ultramarin ou des carrières exclusivement ultramarines mais elle me semble soulever des objections de principe relativement importantes. D'une part, elle fait obstacle à ce que des affectations moins attractives soient compensées par des affectations davantage souhaitées, y compris dans le même ressort. D'autre part, être affecté successivement dans deux collectivités ultramarines est plus contraignant que dans deux ressorts de cour d'appel en métropole... Il ne s'agit donc pas d'un traitement de faveur. Faire un sort particulier à l'outre-mer en général nie l'extrême diversité des situations locales rencontrées outre-mer. Le CSM s'interroge lui-même sur la pérennité de cette doctrine et sur les assouplissements qu'il pourrait y apporter. Il en a d'ailleurs fait part dans son dernier rapport d'activité. Je ne peux que l'encourager : une interdiction de principe ne me parait pas avoir de sens. Le rôle du CSM est justement d'apprécier chaque demande en fonction du dossier qui lui est présenté.
En matière d'immobilier et d'équipements, plusieurs représentants du monde judiciaire ont relevé que la chancellerie pouvait adopter une approche standardisée vis-à-vis des outre-mer, qui font objectivement face à des contraintes particulières. Ainsi, à Mayotte, pour équiper le palais de justice de Mamoudzou, les chefs de juridiction ont dû passer par le marché conclu avec l'Union des groupements d'achat public (UGAP) au niveau national, ce qui s'est révélé coûteux en temps, en moyens et en organisation puisque ce prestataire n'assurait pas le transport jusqu'à Mayotte. De plus, les conditions climatiques mettent à rude épreuve les bâtiments et les équipements, informatiques notamment. En général, l'absence de prise en compte de ce facteur à la conception entraîne des surcoûts de fonctionnement pour la maintenance et l'entretien des locaux. On peut même estimer qu'un équipement conçu pour dix ans en métropole se traduit outre-mer par une durée de vie réduite de moitié.
Une partie de mon rapport est consacrée aux spécificités de l'organisation judiciaire ou procédurales outre-mer qui, sous l'effet de questions prioritaires de constitutionnalité, peuvent être soumises à l'examen du Conseil constitutionnel. En 2016, ce dernier a rendu une décision, le 1er avril, sur la formation correctionnelle dans les îles Wallis et Futuna qui ne comptait qu'un magistrat pour deux assesseurs et, le 3 juin, sur la composition et la majorité requise à la cour d'assises de Mayotte. Il a prononcé deux censures. Or, en examinant les règles applicables à d'autres juridictions ultramarines, notamment à Saint-Pierre-et-Miquelon, certaines dispositions similaires pourraient connaître le même sort. Les conséquences juridiques de ces décisions n'ont pas encore été pleinement tirées. Une initiative législative est pourtant plus que souhaitable.
Dans ce domaine comme dans d'autres, l'État n'a pas d'approche globale de la question de la justice outre-mer. Il faut dire que le ministère des outre-mer n'a pas toujours l'expertise complète pour aborder les difficultés auxquelles sont confrontés les outre-mer et que les autres ministères portent à ces questions une attention distraite, pour ne pas dire plus.
Les particularités des juridictions ultramarines sont peu exploitées et abordées alors qu'elles sont, pour certaines, au coeur des réflexions en cours sur le fonctionnement de la justice. Le tribunal de première instance comme juridiction généraliste existe à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Wallis-et-Futuna, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, sans être réservé à des collectivités faiblement peuplées. Lorsqu'ils existent, les tribunaux de commerce et les tribunaux du travail sont systématiquement échevinés avec un magistrat à leur tête. C'est également outre-mer qu'ont été créées les chambres détachées qui ont essaimé en 2014 en métropole. Autant de spécificités qu'il serait utile de verser au débat et qui pourtant sont méconnues. Je le regrette sincèrement et j'espère que les travaux sénatoriaux pourront y remédier.
- Présidence de M. Philippe Bas, président -