Intervention de Alain Houpert

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 23 novembre 2016 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2017 — Mission « agriculture alimentation forêt et affaires rurales » - compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural » - examen du rapport spécial

Photo de Alain HoupertAlain Houpert, rapporteur spécial :

Nous examinons le dernier budget agricole de la législature, ou plutôt le budget agricole de la dernière année de la législature. Le collectif de fin d'année représente à lui seul un petit budget agricole puisqu'il demande l'ouverture de 889 millions d'euros d'autorisations d'engagement nouvelles, soit 32 % des autorisations d'engagement ouvertes en loi de finances initiale pour 2016. C'est dire si celle-ci était sincère !

Le projet que nous examinons ne paraît pas l'être davantage puisqu'il est marqué par une série de sous-dotations. Je veux parler des risques de refus d'apurement, qui, quant aux refus passés, ne sont toujours pas complètement réglés quand d'autres risques, estimés à plus de 600 millions d'euros, ne sont nullement provisionnés. On pourrait aussi évoquer les suites des contentieux avec les vétérinaires en mission, qui ne sont budgétées que partiellement, l'impasse totale sur les conséquences budgétaires de certaines situations, comme celles que connaissent certains laboratoires d'analyses, ou des hypothèses de budgétisation favorables, par exemple sur le cours du bois, qui permet de minorer les besoins de financement de l'Office national des forêts.

La programmation budgétaire assure-t-elle une traduction suffisante des annonces que le Gouvernement a multipliées ces deux dernières années ? Force est de regretter que les plans successifs ne font l'objet d'aucun suivi circonstancié dans les documents budgétaires, si bien qu'il est impossible d'en mesurer la portée, tant pour les finances publiques que pour les exploitants. Cela appelle des progrès de transparence, d'autant que ces plans recourent à des mesures, souvent indirectes, susceptibles d'applications très diverses selon la mobilisation des services.

Bref, on voit clair sur les sous-budgétisations, mais pas sur la budgétisation des mesures d'urgence qui ont rythmé la vie agricole de ces deux dernières années. Plus généralement, les mécanismes d'amortissement des crises doivent être moins discrétionnaires et d'application plus simple. Des propositions utiles ont été formulées sur ce point, en particulier la proposition de loi de Jean-Claude Lenoir, qui aurait mérité un autre sort à l'Assemblée nationale. Nous devrons revenir sur ce dossier. Le collectif chiffre à 193,3 millions d'euros les autorisations d'engagement rattachables au plan annoncé le 4 octobre dernier. En réalité, cette imputation est invérifiable. Surtout, se pose la question de l'adéquation entre les transferts prévus et les pertes de revenu prévisibles.

L'agriculture française subit des crises très graves : les végétaux, la viticulture sont touchés à leur tour, alors que la crise laitière persiste. La production agricole, déjà en baisse en 2015, devrait chuter en 2016 avec la combinaison de la baisse des prix et de l'effondrement des rendements. Une baisse de 1 % des revenus, c'est 140 millions d'euros en moins. Or la variation risque d'être bien supérieure. Une baisse de 5 % de la valeur de la production, c'est 700 millions de pertes de revenu. La baisse pourrait être de 30 % dans certains cas. Cela mérite une plus grande clarté budgétaire mais aussi opérationnelle et davantage de moyens que ceux retracés ici.

Certains choix de budgétisation défient l'entendement. Alors qu'on ouvre près de 200 millions d'euros en collectif au titre de la gestion des crises et des aléas de production, les crédits figurant sous ce chapitre s'élèvent à 5,5 millions d'euros. Autant dire que la programmation budgétaire pour 2017 fait le pari, pour le moins audacieux, de l'absence de crises.

Depuis 2010, nous avons perdu 10 % de nos exploitations. L'emploi agricole baisse, l'excédent commercial fond. Les crises conjoncturelles frappent une agriculture structurellement fragilisée et qui n'investit plus. En volume, l'investissement agricole est en 2015 au même niveau qu'en 1980 ! Au cours de cette période, les prix de l'investissement ont presque triplé : les exploitants n'ont pas les moyens de suivre. Cette crise de l'investissement fait à l'évidence partie du défi plus large de redresser l'agriculture française.

Certains ne manqueront pas de voir dans la progression des crédits du budget 2017 une contribution en ce sens. De fait, les masses budgétaires de la mission s'accroissent de 24,9 % en crédits de paiement, et même de 40,3 % pour le programme 149 qui finance les actions structurelles. Évolution largement optique, qui découle de la budgétisation, pour 480 millions d'euros, d'une compensation au titre de la réduction du taux de cotisation sociale d'assurance maladie - une mesure certes utile, mais qui s'applique depuis 2016. Bref, cela ne change pas la situation des exploitants.

Au demeurant, si l'on intègre les dotations demandées dans le collectif, ce n'est plus la hausse affichée qu'il faut retenir, mais, au contraire, une baisse des dotations, illustration de la relativité des communications budgétaires.

Pour redresser l'agriculture, il faut assurer un revenu rémunérateur aux agriculteurs. La nouvelle politique agricole commune (PAC) présente des failles de ce point de vue. Compte tenu de notre contribution au budget européen, le compromis agricole aurait pu mieux tenir compte de l'exposition aux crises d'une agriculture très diversifiée, mais aussi, plus largement, de la nécessité de défendre l'Europe agricole dans un contexte de concurrence internationale croissante. Au demeurant, la PAC n'est pas à l'abri des pratiques peu loyales de certains de nos partenaires en matière de coût du travail et de fiscalité.

La France, toujours présentée comme la première bénéficiaire de la PAC, n'arrive en réalité qu'au onzième rang des pays de l'Union quand on rapporte les versements au nombre d'habitants. Preuve que notre agriculture est remarquablement productive, mais aussi que nous pourrions négocier des enveloppes plus élevées.

Encore faudrait-il que nous en profitions réellement. J'ai parlé des refus d'apurement qui amputent nos retours en provenance du budget européen. Le refus de l'Union européenne de nous déléguer nos enveloppes dans le cadre de la nouvelle PAC nous oblige par surcroît à recourir à un système d'apports de trésorerie remboursables qui ne recueille pas les suffrages de nos agriculteurs. Le nombre de demandes déposées entre la précédente et l'actuelle campagne a chuté d'un tiers, de près de 100 000 dossiers, ce qui témoigne de l'insatisfaction des bénéficiaires. Surtout, il est temps que les enveloppes européennes soient réellement accessibles !

Quelques observations pour conclure.

Les moyens de notre politique agricole sont de plus en plus sollicités par la récurrence des crises et par la perte de compétitivité. La mission devient une sorte de second volet du premier pilier de la PAC, au risque de délaisser le développement rural qui est pourtant son objet même. Le report de la montée en charge du paiement distributif, que le Gouvernement avait présenté comme un choix fort de gestion de l'enveloppe européenne de la France agricole au service d'une agriculture diversifiée, est de ce point de vue emblématique.

L'inclusion de l'indemnité compensatrice de handicap naturel (ICHN) dans la base du régime du micro-bénéfice agricole se traduit par une surcharge fiscale, problème qu'il faudra surmonter car il n'entrait pas dans nos intentions qu'il en aille ainsi quand nous avons accepté, à la va-vite, le « micro-BA » dans le collectif de fin d'année 2015. De même, il nous faudra tirer les conséquences des difficultés que suscitent une série de petites taxes, dont la taxe sur les farines. Nous allons peut-être revenir à 1775, quand Turgot a provoqué le premier mouvement social contre le libéralisme ! L'Assemblée nationale a supprimé cette taxe l'an dernier sans proposer de solution pour financer les 67 millions d'euros qui devaient aller à la Mutualité sociale agricole.

Enfin, nous devrons consolider les instruments de la politique de sécurité sanitaire et développer le volet international de notre action.

Le budget agricole se caractérise par un empilement indigeste de mesures d'urgence, sans solutions structurelles. Les propositions, pourtant, ne manquaient pas : je vous renvoie à la proposition de loi de Jean-Claude Lenoir. Plutôt que des micromesures, il aurait fallu une réponse globale transpartisane, à la hauteur de la situation. L'éleveur et l'agriculteur sont les derniers remparts à la friche !

Je vous propose de rejeter les crédits de cette mission.

Quant à elle, la programmation financière du compte d'affectation spéciale (CAS) « Développement agricole et rural » laisse perplexe, avec des prévisions de recettes très surévaluées et des mesures d'annulation de crédits en gestion récurrentes pour des montants élevés. Des programmes sont en cours et une évaluation de la contribution des dépenses du CAS aux innovations dans l'agriculture sera présentée dans les mois à venir. Dès lors, je vous propose d'adopter ses crédits.

Je conclurai en évoquant l'interdiction du diméthoate, dont on pulvérise les cerises notamment. Nous avons tous voulu donner à notre agriculture une orientation bio. Les résultats sont paradoxaux avec, d'un côté, l'augmentation des surfaces agricoles en bio mais, de l'autre, le plan Écophyto qui n'obtient pas suffisamment de résultats.

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