Les crédits de la mission « Justice » concernent les moyens de la justice judiciaire, de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse. Le Garde des Sceaux semble avoir pris la mesure du désarroi, notamment matériel, dans lequel se trouvent les juridictions. Il propose de renforcer leurs moyens et de créer plus de 2 000 postes, dont des postes de magistrats ou de greffiers. Il a également annoncé en octobre un ambitieux plan de construction d'établissements pénitentiaires.
Malgré des crédits de paiement (CP) de 8,6 milliards d'euros, en hausse d'environ 5 %, par rapport à 2016, je ne peux souscrire à ce projet de budget.
En effet, cette augmentation significative des moyens doit être replacée dans son contexte. Depuis 2012, alors que le Parlement avait adopté un budget ambitieux, les dépenses effectives sont restées en deçà des crédits votés : il s'agit moins d'une maîtrise réelle des dépenses que de tentatives pour respecter la norme de dépenses, comme le montre l'augmentation continue des charges à payer. Ainsi, si les charges à payer sont de la même ampleur en 2016 qu'en 2015, leur résorption absorberait la quasi-totalité de l'augmentation des crédits prévue en 2017.
Par ailleurs, la hausse des CP de la mission correspond à l'évolution tendancielle des dépenses, et en particulier au coût de l'augmentation des effectifs en 2016 et en 2017, ce qui est normal. Ce qui l'est moins, c'est que les mesures nouvelles, les annonces, ne sont pas financées.
C'est notamment le cas de la construction de places de prison. Le Gouvernement propose d'en construire plus de 6 000 sans dégrader le déficit public grâce à un tour de passe-passe : il ouvre 1,2 milliard d'euros d'autorisations d'engagement (AE), afin que l'administration pénitentiaire commence les recherches de terrain et engage les dépenses afférentes. Charge au prochain Gouvernement de trouver les moyens pour les financer ! Certes, vu l'état de nos prisons et vu la surpopulation carcérale, une action volontariste est indispensable - même s'il ne faudrait pas oublier de s'interroger sur l'efficacité de la réponse pénale. Mais est-ce bien raisonnable, à six mois des élections, d'initier de tels chantiers et de laisser la facture à la majorité suivante ?
Ce projet de budget arrive donc un peu tard.
J'ai comparé les moyens de la justice judiciaire avec ceux de la justice administrative : la différence de traitement entre les deux ordres de juridiction se creuse.
Pour savoir si un budget est prioritaire, nous étudions souvent son évolution par rapport à celle des autres budgets. Les ordres de grandeur sont également significatifs : en 2017, les moyens de la justice judiciaire sont inférieurs aux crédits accordés à l'audiovisuel public.
Le Gouvernement propose d'augmenter les effectifs, notamment de magistrats et de greffiers, dans les juridictions ; la pyramide des âges rend ces recrutements nécessaires. C'est d'autant plus important qu'il faut anticiper ses effets, puisque la formation d'un magistrat dure 31 mois. Malgré ces recrutements, en hausse depuis 2015, le taux de vacance des magistrats affectés en juridictions atteint 6 %, ce qui est préoccupant.
La budgétisation des frais de justice me laisse sceptique. Le rapporteur général nous a présenté à la rentrée un projet de décret d'avance qui ouvrait des crédits en leur faveur. Le Gouvernement avait indiqué que ce dérapage résultait des attentats. Toutefois, selon le ministère de la justice, les économies prévues dans la précédente loi de finances n'ont pas pu être réalisées, notamment en raison du décalage du déploiement de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ). C'est désormais cette plateforme que doivent utiliser les enquêteurs pour réaliser les écoutes ordonnées par le juge. Cependant, selon les syndicats de policiers, elle n'est pas fiable et n'offre pas les mêmes fonctionnalités que le matériel qui était jusqu'à présent loué à des prestataires privés.
Par conséquent, les économies de 35 millions d'euros environ sur les frais de justice que devrait générer le déploiement de la PNIJ me paraissent assez peu crédibles. Les reports de crédits risquent de repartir à la hausse.
La décision de créer une telle plateforme a été prise en 2005 ; onze ans plus tard, elle n'est toujours pas pleinement opérationnelle. Les bénéfices en termes de rapidité et l'automatisation des réquisitions auprès des opérateurs de téléphonie sont indéniables. Le problème concerne les écoutes elles-mêmes. Ce projet, dont le coût total s'élève à 121 millions d'euros, ne doit pas être abandonné car il devrait entraîner des économies significatives. À titre de comparaison, les frais d'interceptions judiciaires ont coûté plus de 110 millions d'euros en 2015.
Toutefois, il me semble indispensable de renforcer la coordination interministérielle, de mieux piloter le projet avec Thalès, qui a été sélectionné pour réaliser la PNIJ, et le cas échéant, de continuer à travailler avec les prestataires privés loueurs de matériel, qui proposent des fonctionnalités différentes.
Je me suis également intéressé à l'indemnisation des victimes du terrorisme. Le fonds de garantie qui remplit cette mission est financé par un prélèvement de 4,30 euros sur les contrats d'assurance. Comme sa trésorerie était particulièrement abondante, il a vu ses missions étendues et l'indemnisation des victimes du terrorisme ne correspond qu'à une très faible part de ses activités. Aujourd'hui, grâce à 1,4 milliard d'euros de trésorerie, il peut faire face aux demandes d'indemnisation des victimes des attentats de janvier et novembre 2015 et de juillet 2016. Toutefois, son modèle de financement ne paraît pas adapté à des attaques terroristes de l'ampleur de celles de novembre 2015 ou de juillet dernier. Un fonds abondé par des crédits budgétaires, susceptibles d'être mobilisés à tout instant, serait plus pertinent. Il éviterait de créer des réserves en vue d'une dépense par nature volatile - et que l'on souhaite nulle.
Le volet pénitentiaire du budget est principalement marqué par le plan de construction de nouvelles places de prison, mais aussi par le recrutement de 1 255 surveillants pénitentiaires. L'attractivité du recrutement reste un enjeu majeur, alors que les conditions d'exercice du métier sont difficiles, notamment à cause de la surpopulation carcérale.
Depuis le début de l'année, plus 30 000 téléphones portables ont été saisis en prison. Les brouilleurs dont disposent certains établissements n'ont pas évolué avec la technologie. Ils brouillent la 2G mais pas la 4G. Certains détenus utilisent donc des téléphones portables pour contacter leurs proches, voire leurs victimes, pour prendre en photo les surveillants ou leur véhicule et les menacer. C'est inacceptable. À Osny, où un surveillant a été violemment agressé, des détenus ont pu ensuite intimider les familles du personnel, alors même que celles-ci résident dans un autre département. Nous devons trouver une solution à tout prix. Je l'ai dit hier au ministre, qui m'a indiqué avoir lancé un dialogue compétitif avec plusieurs entreprises pour trouver un moyen de brouillage efficace et adaptable sur le temps long.
Les extractions judiciaires sont depuis 2012 de la responsabilité de l'administration pénitentiaire et non plus des forces de sécurité intérieure. Au 31 juillet 2016, le taux d'impossibilité de faire était de l'ordre de 20 %, c'est-à-dire que, par exemple, lorsqu'un magistrat demande à voir un détenu, l'administration pénitentiaire indiquait, dans 20 % des cas, qu'elle n'en était pas capable. L'organisation de cette mission par le ministère de la justice n'est donc pas satisfaisante et doit être revue. De plus, le recours à la visioconférence devrait être facilité.
Le Gouvernement a procédé, en seconde délibération, au coup de rabot habituel et diminué de 42 millions d'euros le budget.
Compte tenu de ces remarques, surtout sur le financement du programme immobilier pénitentiaire, je vous propose de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Justice ». Quant à l'article 57, qui augmente le montant de l'unité de valeur utilisée pour le calcul de la rétribution de l'avocat au titre de l'aide juridictionnelle, j'y suis favorable. Il s'agit de la traduction d'un engagement pris par le ministère envers les représentants des avocats.