Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 23 novembre 2016 à 15h40
Projet de loi de finances pour 2017 — Communication de m. albéric de montgolfier rapporteur général sur les articles non rattachés de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2017

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur général :

Christian Eckert, ancien professeur de mathématiques, s'amusait l'an passé à calculer le surcoût des amendements sénatoriaux : à notre tour de sortir la calculatrice ! Autre exemple : l'article 47 étend le crédit d'impôt pour l'emploi à domicile à l'ensemble des contribuables, pour un coût estimé à 1,1 milliard d'euros en 2018 ; le Trésor, lui, l'a évalué à 2 milliards d'euros en 2014...

Les députés ont aussi, avec les articles 46 sexies et 46 septies, accru les avantages fiscaux du crédit d'impôt en faveur des entreprises de jeux vidéo ; avec l'article 46 octies, ils ont abaissé de 1 million d'euros à 250 000 euros le montant minimum des dépenses éligibles au crédit d'impôt cinéma international, mesure qui n'est pas plus financée que les autres. Par ailleurs, mais cela me semble plus raisonnable, l'article 39 proroge le crédit d'impôt pour les métiers d'art et l'étend aux restaurateurs de patrimoine, pour un coût supplémentaire estimé à 3 millions d'euros en 2018.

L'article 46 quater reconduit le crédit d'impôt au titre des dépenses supportées par les exploitants agricoles afin d'assurer leur remplacement par des tiers dans les périodes de congé. Vu l'état de stress professionnel de nombreux agriculteurs, cette disposition s'impose. L'article 51 undecies demande au Gouvernement un rapport sur la pertinence et les impacts de la révision de la carte des zones défavorisées simples.

Les soutiens sectoriels ne se limitent pas aux crédits d'impôts d'État. L'article 39 ter rend obligatoire l'exonération facultative de cotisation foncière des entreprises et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises en faveur des diffuseurs de presse - ou kiosquiers -, ce qui concerne 11 500 points de vente et coûterait 7,5 millions d'euros. L'article 50 decies procède à une exonération facultative de cotisation foncière des entreprises en faveur des exploitants de petites salles de spectacle vivant. L'article 46 bis étend à la presse spécialisée en ligne le bénéfice du régime de provision pour investissement déductible applicable aux entreprises de presse d'information politique et générale (IPG). L'article 51 quater met en application le protocole d'accord du 15 novembre 2016 sur la modernisation du réseau des buralistes.

J'en viens aux enjeux de compétitivité. Nous entendions à l'instant Gérard Mestrallet sur les conséquences du Brexit, dans le cadre des travaux du groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne. Il nous a mis en garde contre l'envoi de signaux contradictoires sur l'attractivité de la place de Paris. La taxe sur les transactions financières « intraday », que nous serions seuls au monde à instaurer, n'est pas un signal positif... L'article 43, lui, propose un dispositif en faveur des impatriés pour huit ans, et non plus cinq ans, ce qui coûtera environ 85 millions d'euros à l'État et 68 millions d'euros à la sécurité sociale. Ce dispositif est bienvenu mais ne suffira pas à redresser l'image de Paris comme place financière dans la compétition avec Francfort, Dublin ou Amsterdam.

L'article 45 proroge jusqu'au 31 décembre 2019 la dépense fiscale en faveur des jeunes entreprises innovantes. Ce dispositif permet à de jeunes PME réalisant des dépenses de recherche et développement de bénéficier d'exonérations d'impôt sur les sociétés et, sur délibération des collectivités, d'impôts directs locaux. Pour l'impôt sur les sociétés, le coût de ce dispositif est limité à 11 millions d'euros par an, pour 500 bénéficiaires. De même, l'article 46 porte de 20 % à 30 % le crédit d'impôt pour certains investissements réalisés et exploités en Corse pour les TPE, ce qui coûtera 54 millions d'euros par an. En matière environnementale, l'article 42 augmente le plafond de déduction fiscale dont bénéficient les entreprises lors de l'acquisition ou la prise en location de véhicules de tourisme propres. Le plafond d'amortissement sera réduit pour les véhicules les plus polluants, dont la définition s'élargira chaque année. Cette mesure aurait un coût très limité de 1 million d'euros en 2018 puis serait neutre budgétairement en 2020.

L'article 48 supprime des taxes à faible rendement. Malgré l'avis défavorable du Gouvernement, l'Assemblée nationale a supprimé la taxe « farine ». Cette suppression avait déjà été votée par le Sénat lors du projet de loi de finances rectificative pour 2015. Il n'en reste pas moins que le produit de 66 millions d'euros allait à la mutuelle sociale agricole et qu'il faudra le compenser...

L'article 48 bis supprime définitivement l'écotaxe poids lourds. Quelle erreur ! Son abandon unilatéral et sans concertation entraînera une perte estimée à 969,2 millions d'euros. Il faudra y revenir un jour : nous ne pouvons demeurer le seul pays traversé par des poids lourds à refuser de les faire contribuer fiscalement à l'entretien du réseau.

L'article 49 procède à une réforme des minima sociaux qui va dans le sens d'une simplification et d'une harmonisation mais on peut regretter qu'il s'agisse d'une réforme a minima, beaucoup moins ambitieuse que celle envisagée.

Au-delà d'un grand nombre de crédits d'impôts et réductions diverses au-delà de 2018, il y a certaines hausses de fiscalité qui interviendront, elles, dès 2017 mais n'ont pas d'incidence sur le budget de l'État et sont donc retracées en seconde partie. L'article 50 bis prévoit ainsi une hausse du plafond des taux de versement transports ; l'article 50 nonies donne la possibilité pour les communes situées en zone tendue de moduler la surtaxe d'habitation sur les résidences secondaires entre 5 % et 60 %, contre 20 % actuellement, ce qui apparaît comme particulièrement excessif pour les contribuables qui seront concernés par le taux plafond. L'attractivité de la place de Paris en souffrira également...

Plusieurs articles relatifs aux finances locales sont techniques et n'appellent pas d'observations particulières. L'article 50 undecies fixe à 0,4 % l'actualisation des valeurs locatives des locaux d'habitation en 2017 et prévoit qu'à partir de 2018, celles-ci seront indexées sur l'inflation constatée l'année précédente, ce qui n'est pas tout à fait neutre en fin de législature...

L'article 50 sexies ouvre la possibilité pour les collectivités territoriales ayant plus de 25 % de logements sociaux de refuser l'application d'exonérations et d'un abattement de taxe foncière. L'article 50 septies exclut également d'exonérations de taxe foncière certaines opérations de démolition-reconstruction. Ces deux articles présentent des imperfections rédactionnelles. L'article 50 octies procède à une exonération systématique de taxe d'habitation en cas de vacances involontaires dans les HLM.

Trois articles appellent des observations particulières compte tenu des travaux déjà menés par notre commission sur ces sujets. L'article 46 quinquies crée un impôt sur les bénéfices détournés. Il s'agit de réintégrer à la base taxable en France les bénéfices réalisés par des multinationales qui n'y disposent pas d'établissement stable ; les bénéfices seraient soumis à l'impôt sur les sociétés en France dès lors qu'elles agissent via un agent commissionnaire, mais aussi qu'elles disposent d'un site de stockage ou d'un site internet de mise en relation. Or les notions d'établissement stable et d'agent commissionnaire sont définies par les conventions fiscales internationales - à l'article 5 du modèle OCDE - qui priment sur la loi française, ce qui rend le présent article inutile, voire source d'insécurité juridique ; il ne s'applique pas aux entreprises établies au sein de l'Union européenne, sauf si cette domiciliation a pour objet exclusif d'éluder ou d'atténuer l'impôt, critère très difficile à établir ; enfin la DGFiP dispose déjà d'outils juridiques, certes encore insuffisants, pour effectuer des redressements.

L'article 51 septies, introduit à l'initiative de Valérie Rabault, permet à l'administration fiscale, à titre expérimental et pour une durée de deux ans, d'indemniser toute personne étrangère aux administrations publiques, dès lors qu'elle lui a fourni des renseignements ayant amené la découverte d'un manquement à une obligation fiscale liée à la fraude fiscale internationale - et seulement celle-ci, il ne s'agit pas d'encourager la délation entre voisins. Sous réserve d'une expertise complémentaire, cette disposition me semble bienvenue, d'autant que l'indemnisation est pratiquée dans d'autres pays européens, notamment en Allemagne. Il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'un revirement notable du Gouvernement par rapport à 2013 puisqu'il s'y était alors opposé dans le cadre des débats sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, alors même que notre commission des finances le proposait.

Enfin, toujours en matière de lutte contre la fraude, l'article 51 ter, adopté à l'initiative de Valérie Rabault, René Dosière et Pierre-Alain Muet, crée une obligation pour tous les assujettis à la TVA de signaler à l'administration fiscale dans les vingt-quatre heures et par télédéclaration les achats de biens ou les prestations de services réalisés auprès d'un autre assujetti. Cette procédure serait obligatoire à compter du 1er janvier 2018 pour les achats excédant 863 000 euros. L'intention des auteurs est louable, mais la fraude à la TVA ne concerne pas forcément des transactions importantes et cette disposition créerait une charge administrative importante pour les quelques dizaines de milliers d'entreprises concernées alors même que le secrétaire d'État au budget a indiqué que l'administration fiscale ne serait pas en mesure de traiter la masse d'informations qui lui serait transmise.

L'Assemblée nationale n'a donc introduit aucune disposition de nature à modifier la décision de principe de la commission des finances d'opposer la question préalable à l'ensemble du projet de loi de finances, bien au contraire : ce budget semble davantage encore une addition d'effets d'annonce et de cadeaux non financés.

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