Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, je commencerai par une citation : « Le nettoyage ethnique n’était pas la conséquence de la guerre, mais son objectif. » Ces mots terribles ont résonné hier dans le tribunal pénal international au procès de Ratko Mladić et des bourreaux de la Bosnie.
Hasard du calendrier, aujourd’hui s’ouvre le procès de Dominic Ongwen, enfant soldat au Congo, au Soudan et en Centrafrique, devant la Cour pénale internationale pour son rôle dans la milice qui a massacré plus de 100 000 personnes, dont 60 000 enfants – véritable dilemme pour la justice internationale puisque les enfants soldats sont aussi des victimes. S’y ajoutent des mariages forcés et, pour la première fois, des grossesses forcées. Décidément, l’imagination humaine semble sans limites quand il s’agit du mal… Et c’est bien de cela que nous parlons aujourd’hui.
Cette proposition de résolution, magistralement présentée par le président Retailleau, recueille naturellement le soutien complet de notre groupe. Mais je souhaite faire un peu d’histoire, étant la première oratrice.
Je voudrais, d’abord, prendre un peu de temps pour rendre hommage à un grand homme, dont nous utilisons le travail de toute une vie : Raphael Lemkin.
En 1920, ce juriste juif polonais s’intéressait au procès du jeune Soghomon Tehlirian, qui venait d’assassiner l’ancien ministre de l’intérieur turc Taalat Pacha, responsable de la déportation et de la mort de milliers d’Arméniens, tués pour la simple raison qu’ils étaient chrétiens.
Mot à mot, pierre après pierre, il va bâtir pendant vingt ans une théorie.
Un homme qui tue un autre homme est puni. Pourquoi l’assassinat de millions de personnes ne l’est-il pas ?
Pourquoi un État ne pourrait-il être aussi responsable et coupable qu’un individu ?
Sa théorie s’affine, son raisonnement se fait conviction. Ces crimes de masse, qui portent atteinte à l’humanité tout entière, doivent être poursuivis et punis sans considération des frontières.
Raphael Lemkin s’appuie sur l’assassinat des Arméniens en 1915, et aussi sur la famine organisée contre les Ukrainiens, connue désormais sous le nom d’Holodomor. Et sur le massacre de Simele en Irak en 1933, dont fut victime la population assyrienne.
Si le crime de guerre et le crime contre l’humanité étaient entrés dans le droit positif dans les années 1920, l’apport de Lemkin aura été de faire prendre conscience que les très grands crimes de masse interpellaient la conscience de l’humanité tout entière et devaient faire l’objet d’une politique internationale de prévention et de répression.
En novembre 1943, il écrit Le P ouvoir de l’Axe en Europe occupée, ouvrage dans lequel il oppose la destruction volontaire d’une collectivité par une puissance de droit ou de fait et l’assassinat individuel.
Cette destruction pouvait être selon lui de nature physique ou culturelle. Nous sommes exactement dans notre sujet ! Une condition, selon Lemkin, n’était pas seulement l’expression d’une volonté affirmée de détruire un groupe, mais surtout la mise en place d’une organisation pour ce faire. C’est exactement ce que dénonce la présente proposition de résolution.
Alors que Churchill parlait de « crime sans nom » pour parler de l’anéantissement des juifs d’Europe, Lemkin, lui, a voulu le nommer. C’est ainsi qu’il a créé le mot « génocide ». Il a aussi été le principal rédacteur de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Il expliquait que ce mot prendrait rang dans la famille des parricides, homicides et régicides.
Le journal Le Monde, quant à lui, annonçait le 11 décembre 1945 – presque un anniversaire ! – la mort prochaine de ce mot barbare en ces termes : « Gageons que dans un temps où les mots s’usent si vite, celui-là fera fureur pendant une ou deux saisons […] » Or, soixante et onze ans plus tard, nous nous retrouvons pour parler de génocide et de la postérité de ce mot.
L’emploi du concept de génocide, s’il est désormais établi en droit pénal, fait encore l’objet de nombreuses controverses, qui ont été rappelées par le président Retailleau voilà quelques instants.
Nous n’avons donc rien appris depuis la Seconde Guerre mondiale, ni depuis le Rwanda…
L’Europe dans cette affaire est totalement absente, a perdu son âme.
La communauté internationale, quant à elle, a perdu le reste de crédibilité qu’il lui restait, sorte d’éloge funèbre de l’ONU, avec des listes de victimes civiles chaque jour plus longues…
Nous disons donc oui à cette proposition de résolution, sans surenchère victimaire, qui vise à protéger les chrétiens et les minorités, y compris musulmanes ; n’oublions pas que les musulmans sont les premières victimes de Daech. Il faut la signer et lui donner corps.
Outre les propositions qui sont faites, je vous invite, monsieur le secrétaire d’État, à revoir aussi la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide rédigée par Lemkin, en y ajoutant un chapitre qui en avait été retranché sur les considérations relatives à la destruction « culturelle » d’un groupe – atteinte aux coutumes, aux croyances locales, etc. – pour ne pas s’en tenir aux seuls morts physiques.
C’est bien l’objet de la réunion qui s’est tenue à Abu Dhabi, hier, visant à mettre en place un fonds pour la protection des cultures. Cela rejoint aussi l’idée qu’il faut multiplier au plan international des musées refuges pour les œuvres et le patrimoine des pays en guerre.
Pour conclure, je voudrais rappeler, moi qui suis petite-fille de déportés, une parole commune au Talmud et au Coran : celui qui sauve une vie sauve l’humanité. De ce point de vue, ce que nous pouvons faire de mieux est de voter la proposition de résolution du président Retailleau afin de nous rassembler autour des valeurs d’humanité que nous avons en partage.