Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 6 décembre 2016 à 14h30
Génocide et autres crimes contre les minorités religieuses et ethniques et les populations civiles en syrie et en irak — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les auteurs de cette proposition de résolution, majoritairement membres du groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens et les minorités du Moyen-Orient ont souhaité nous rappeler que la question de l’après-Daech est tout à fait fondamentale, qu’une fois que ce dernier, mais aussi le Front al-Nosra et Al-Qaïda seront mis hors d’état de nuire, la reconstruction requerra une réconciliation qui ne pourra se faire sans que justice soit rendue aux victimes et sans que les crimes commis soient reconnus et punis.

Bien sûr, le groupe écologiste, dont je porte la voix aujourd’hui, partage cette idée.

Il est important de le rappeler, les minorités religieuses et ethniques sont la cible de Daech et n’ont aucun répit dans leur lutte pour survivre. Les chrétiens, les yézidis, mais aussi les Kurdes, les chiites, les musulmans non ralliés aux vainqueurs sont chaque jour persécutés, battus, spoliés, enlevés, torturés, massacrés.

En terre d’islam, les minorités non musulmanes relevaient autrefois de la dhimma, un pacte apocryphe qu’on faisait remonter au prophète Mahomet, même s’il lui est postérieur, et qui protégeait les gens dits « du livre », à savoir, notamment, les chrétiens, les juifs et les zoroastriens. Ayant conquis des pays où ils se retrouvaient parfois minoritaires, les musulmans cherchèrent ainsi à éviter les conflits, les protégés n’en restant pas moins socialement inférieurs.

À l’ère des États-nations, si cette infériorisation fut formellement abolie, elle n’en perdura pas moins dans les mentalités.

En période de crise politique, elle réémerge et fait des minorités des cibles privilégiées en terre d’islam. Ce fut très vite le cas avec la conquête par Daech de régions où vivaient ces minorités, déjà vulnérables du fait du poids de l’histoire.

Tous ces actes, qu’ils soient qualifiés de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de massacres de masse, ne peuvent pas rester impunis et engagent la responsabilité des États de droit de la communauté internationale pour faire condamner leurs auteurs le moment venu, même si toutes les souffrances ne possèdent pas, hélas, la vertu d’éveiller notre compassion au même degré.

Je n’utiliserai pas le mot « génocide », puisqu’il s’agit d’un terme juridiquement circonscrit, mais la notion de « massacre de masse », plus appropriée avant qu’un tribunal international ne décide de l’emploi ou pas du mot « génocide ».

Toutefois cela ne change rien. Cette recherche de justice, pour avoir un sens, devrait concerner l’ensemble des victimes, quelle que soit leur religion. Et il n’est fait aucune mention, ni dans l’exposé des motifs de la présente proposition de résolution ni dans son dispositif, des autorités syriennes sous la houlette de Bachar el-Assad, de ses alliés, les Russes, et des milices étrangères, qui commettent quotidiennement des crimes de guerre, notamment à Alep.

Si notre compassion va légitimement aux souffrances des minorités chrétiennes et yézidies, on ne peut pas faire l’impasse sur ce que subissent, pour leur part, les populations civiles d’Alep.

J’ai rencontré ce matin M. Brita Hagi Hassan, président du conseil local des quartiers rebelles d’Alep-Est. Il a redit la nécessité de mettre en place immédiatement un corridor humanitaire afin de permettre aux dizaines de milliers de civils, assiégés et bombardés par les forces syriennes et russes, de quitter la ville.

Selon lui, « 250 000 civils sont menacés de mort. Dans les quartiers repris par les forces du régime et les milices iraniennes, il y a des exécutions sommaires, des règlements de compte, tous les jeunes hommes de moins de 40 ans sont arrêtés. Le régime pratique la politique de la terre brûlée pour massacrer la population d’Alep et l’occuper ensuite. »

Notre silence reviendrait à faire de nous leurs complices involontaires. L’histoire est remplie de ces silences qui ont permis le pire de ce dont l’humanité est capable.

À nous de lever le silence pour que les auteurs des crimes contre les victimes civiles soient également traduits devant la Cour pénale internationale. Mais on entre là dans le domaine politique puisque, pour le demander, encore faudrait-il savoir de quel côté de l’échiquier on se place, si nous soutenons les forces de Bachar el-Assad et de ses alliés russes ou non.

Pas de demande de justice pour les uns sans demande, aussi, pour les autres.

À l’aune des réserves que je viens d’exprimer, les voix du groupe écologiste se porteront majoritairement vers l’abstention, certains de nos collègues votant en faveur de la proposition de résolution.

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