Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, parler de cette proposition de résolution, c’est embrasser un conflit vieux de six ans déjà, si l’on part des printemps arabes, et de bientôt vingt-cinq ans, si l’on remonte à la première guerre d’Irak, sans même évoquer d’autres pays tout autant concernés.
Je salue le président Retailleau d’avoir choisi une formulation qui recouvre l’ensemble des minorités ethniques et religieuses pour bien placer le débat au cœur des enjeux du Moyen-Orient.
C’est en effet un point qui fait réagir quasi systématiquement tous les patriarches ou religieux, quand ils sont interrogés sur les chrétiens d’Orient : ils considèrent qu’ils sont d’abord arabes, citoyens irakiens, syriens, libanais ou autres, avant d’être chrétiens, rappelant d’ailleurs l’ancienneté du christianisme par rapport à l’arrivée de l’islam, et ajoutent que les vies des musulmans ne sont pas épargnées dans ce conflit des extrémistes.
Cela étant, ce conflit ne manque pas de rappeler l’histoire douloureuse des chrétiens depuis plusieurs siècles. Du traité d’alliance de François Ier et Soliman le Magnifique en 1536, connu sous le nom de « Capitulations » – le terme est curieux ! –, les chrétiens et les minorités auront été victimes de bien des guerres et des persécutions.
On se souvient des maronites en 1860 et de l’attitude légendaire d’Abdelkader sauvant les chrétiens à Damas, des Arméniens en 1916-1920 et, plus récemment, depuis 1960, de l’aggravation de cette immigration à la suite de la guerre civile au Liban, le conflit entre Israël et les Palestiniens et, bien évidemment, les conflits en cours avec les guerres en Irak et en Syrie. N’oublions pas non plus l’accueil par la France des chrétiens de toutes les églises d’Orient et du monde slave après la Grande Guerre.
Aujourd’hui, nous connaissons toutes ces communautés, rassemblées autour de leurs églises à Marseille, Lyon et surtout en région parisienne, ou ces chrétiens encore en Syrie ou en Irak qui nous disent : « À quoi bon ! Pourquoi continuer à nous battre pour rester sur la terre de nos aïeux si c’est pour que nos familles soient tôt au tard anéanties, massacrées ? »
Un seul exemple suffit à poser la réalité. En 1900, un habitant sur quatre était chrétien en Turquie. Aujourd’hui, le nombre de chrétiens ne dépasserait pas 100 000, bien que la plus grande ville du pays, Istanbul, soit le siège de deux patriarcats prestigieux.
Je rappellerai cette déclaration d’un diplomate turc, en poste à Paris, à notre collègue Adrien Gouteyron, auteur d’un rapport sur les chrétiens d’Orient : « Le citoyen turc est turcophone et musulman, un point c’est tout. » La situation des chrétiens d’Orient et des minorités est donc bien une réalité qui doit être posée avec la plus grande transparence.
Il aura fallu d’ailleurs la prise d’otage de la cathédrale Bagdad le 31 octobre 2010, qui a fait 58 morts, et l’attentat suicide de l’église copte d’Alexandrie tuant 21 personnes le 1er janvier 2011 pour que la communauté internationale réagisse, avec l’adoption par le Parlement européen d’une résolution le 21 janvier 2010, la déclaration du Conseil de sécurité des Nations unies du 10 novembre 2010, condamnant tous les actes de violence et l’incitation à de tels actes motivés par la haine religieuse, et la réaffirmation, le 21 février 2011, du soutien du Conseil de l’Union européenne à la liberté de religion ou de conviction.
Or ces principes fondamentaux venaient à peine d’être rappelés que la communauté internationale, dans le prolongement des printemps arabes, allait être le témoin souvent impuissant d’un déchaînement sans égal des violences qu’elle venait de condamner.
Concernant l’Irak, la situation actuelle ne saurait faire oublier les circonstances de 1991, qui conduisirent le ministre de la défense de l’époque, Jean-Pierre Chevènement, à démissionner pour ne pas être associé à une guerre qu’il considérait comme coloniale, de même que Jacques Chirac s’opposa à la seconde guerre d’Irak, considérant que « la guerre engendre la violence et la violence le terrorisme ». En 2003, on ne pouvait être plus visionnaire !
Si je me permets ce bref rappel, c’est pour mieux souligner la nécessité de ne pas avoir une approche et une vision trop réductrices des enjeux et réalités auxquels nous sommes confrontés. Le président Retailleau rappelait le colloque que, avec les groupes Chrétiens d’Orient, France-Irak et France-Syrie, nous avons organisé en mars dernier sur le thème « Détruire l’État islamique, et après ? ». En réalité, cet « après » n’a de sens que si l’on tire les conséquences de « l’avant ».
Aujourd’hui, les combats pour la reprise de Mossoul résument à eux seuls les enjeux irakiens. Je pense à l’opposition entre chiites et sunnites, avec une population qui s’est en partie radicalisée, aux aspirations de Daech aux limites d’un territoire kurde, qui aura été accueillant à la détresse des chrétiens chassés de la plaine de Ninive, quand ils ne furent pas exécutés.
La reprise de Mossoul, qui peut prendre du temps, laisse entier le devenir des chrétiens, yézidis et autres minorités. La célébration de Mgr Petros Mouche, tout récemment, dans l’église de Qaraqosh, le soir de sa libération, est un symbole fort, mais celui-ci ne traduit pas pour autant le retour d’une population, qui attend que le territoire soit sécurisé avant de retourner y vivre.
Concernant la Syrie, pour sortir de la caricature ou du déni, il suffit de regarder les chiffres publiés par l’Observatoire syrien des droits de l’homme, l’OSDH, pour juger d’une situation qui ne peut plus durer.
Dans le courant de 2016, il y a quelques mois déjà, l’OSDH, organisme implanté en Grande-Bretagne, proche des Frères musulmans et qui ne saurait donc être suspecté d’être prorégime, présentait un premier bilan du conflit syrien. Les 280 000 morts d’alors étaient composés de 101 662 hommes pour les forces du régime, de 47 000 djihadistes, de 48 000 combattants rebelles non djihadistes et de 80 000 civils, considérés comme victimes des deux parties du conflit.
Quand, au tout début de l’année 2015, Daech s’empara de plusieurs villages et de leurs populations à proximité de Deir ez-Zor, lieu qui avait été le terme de l’exode tragique des Arméniens cent ans auparavant, Jean d’Ormesson cria au génocide dans un silence surprenant.
Quelques mois plus tard, les combattants de Daech traversaient le désert qui conduit à Palmyre sans subir la moindre attaque qui aurait pu les anéantir sans faire courir de risque aux populations civiles. Le débat entre experts militaires laissa Palmyre avec ses morts, dont celle du directeur des antiquités, sacrifié, et ses ruines, massacrées.
Aujourd’hui, Alep, qui est la capitale du nord, caractérise bien le conflit syrien. Les lignes de fracture n’avaient pas beaucoup bougé jusqu’à ces derniers jours, mais, depuis trois ans déjà, de nombreux protagonistes considéraient qu’il ne pouvait y avoir de victoire militaire et qu’il fallait une sortie institutionnelle. Il y a seulement quelques semaines, un général de l’armée syrienne libre exhortait al-Nosra à quitter Alep pour éviter un bain de sang.
On ne peut que regretter que, il y a bientôt deux ans, au début de 2015, le délégué de l’ONU Staffan de Mistura ait arrêté un énième plan de cessez-le-feu pour Alep, qui fut refusé par ceux qui aujourd’hui le demandent…
Dans un conflit, le sort des armes évolue avec le temps et ce ne sont jamais les mêmes qui ont le sentiment de détenir la victoire. Toutefois, aujourd’hui plus que jamais, la paix s’impose. Car si, aujourd’hui, on parle beaucoup d’Alep, il ne faudrait pas oublier Raqqa, le Rojava, juste au nord, cette région des Kurdes que les États-Unis et la France se sont engagés à soutenir.
Raqqa est dans une certaine mesure à la Syrie ce que Mossoul est à l’Irak. Il y a un mois, au tout début du cessez-le-feu à Alep, un diplomate d’un des grands pays engagés dans le conflit – ce n’est pas la Russie – déclara à notre délégation : « Il n’y a pas de cessez-le-feu, les rebelles sont encore trop nombreux, trop puissants, seule la guerre peut les épuiser. » La franchise ou le cynisme interpellent. Or la protection nécessaire à la plaine de Ninive pour permettre aux minorités de retourner chez elles pourrait s’appliquer à l’identique à cette région du nord de la Syrie où les minorités chrétiennes, yézidies et autres demandent pareillement à être protégées.
Veut-on vraiment la paix ? Veut-on en assurer les conséquences ? Jacques Chirac avait raison de s’opposer au conflit irakien, en disant que la guerre appelle la violence, et la violence le terrorisme.
Aujourd’hui, il s’agit de faire aboutir la paix et de permettre à des populations de retrouver la capacité de vivre ensemble. Ce qui a fait la richesse de l’Orient, c’est le mélange des cultures et des religions qui se sont enrichies mutuellement, difficilement, mais que le radicalisme, soutenu par quelques États, est venu compromettre. Ainsi, Antoine Sfeir a montré à quel point les chrétiens ont joué un rôle important de ciment social dans des sociétés compliquées où de nombreuses minorités religieuses doivent cohabiter.
Mes chers collègues, le prix de la paix, c’est d’abord le respect du principe de la liberté de croyance. Comme l’a souligné le président Retailleau, c’est aussi le courage de la paix et la volonté de réconciliation. C’est ce message que le président de la communauté de Sant’Egidio a tenu en mars dernier, en rappelant l’exemple des pays qui avaient réussi à sortir de la guerre.