Intervention de Audrey Azoulay

Réunion du 7 décembre 2016 à 21h30
Suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique — Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Audrey Azoulay :

Madame la présidente, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi dont nous allons débattre tend à supprimer toute publicité autour des programmes de la télévision publique destinés prioritairement aux enfants de moins de douze ans. Elle vise à préserver les plus jeunes de la pression des messages publicitaires.

Le sénateur André Gattolin, que je salue, a déposé cette proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique.

Dans un premier temps, le Gouvernement avait émis des réserves sur ce texte, pour plusieurs raisons que je vais rappeler.

France Télévisions a déjà pris des engagements forts pour réduire l’exposition des enfants à la publicité. Ainsi, les programmes destinés aux enfants de trois à six ans diffusés dans l’émission « Les Zouzous » sur les antennes de France 5 et de France 4, ainsi que sur internet, ne contiennent pas de messages publicitaires.

Une corégulation associant l’ensemble des professionnels concernés et dans laquelle France Télévisions a pris toute sa place a été mise en œuvre ces dernières années.

Cette démarche a conduit à la signature en 2009 d’une charte visant à promouvoir une alimentation et une activité physique favorables à la santé dans les programmes et les publicités diffusés à la télévision. Cette charte a été reconduite et renforcée en 2014. Elle réunit le mouvement associatif, les industriels de l’agroalimentaire, les professionnels du secteur audiovisuel et ceux de la publicité, ainsi que les pouvoirs publics.

Le mérite de cette charte, dont six ministères sont signataires, est d’envisager le sujet dans toutes ses composantes, qu’il s’agisse de la régulation du contenu des spots publicitaires par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, l’ARPP, des campagnes de prévention de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES, ou des messages sanitaires apposés sur les spots publicitaires alimentaires, mais également et surtout de la création et de la diffusion d’émissions faisant la promotion d’une saine hygiène de vie.

Les professionnels ont donc montré une volonté d’engagement. La publicité autour des programmes jeunesse était donc déjà encadrée par cette régulation professionnelle, sous l’égide des pouvoirs publics.

Le Gouvernement s’était, lors de la première lecture, montré opposé au texte pour une deuxième raison, majeure : son impact potentiel sur le financement de l’animation française. On pouvait craindre qu’une mesure telle que l’interdiction prévue par cette proposition de loi, qui n’avait pas été anticipée lors de la première lecture, puisse fragiliser la situation financière déjà dégradée de France Télévisions et remettre en cause ses investissements dans l’animation française.

Vous le savez, le groupe public est le premier préfinanceur européen de l’animation. Il investit en moyenne 29 millions d’euros par an dans la production de films et de séries d’animation.

Or, si la protection des enfants de la pression publicitaire est une préoccupation réelle, la diversité et la qualité des programmes qui leur sont proposés constituent des enjeux majeurs en matière éducative et culturelle. On ne peut pas traiter un sujet et ignorer l’autre.

La France peut s’enorgueillir d’une production d’animation riche et de très grande qualité, qui rencontre le succès auprès du jeune public. Ainsi, en 2015, la part de la production française dans l’offre totale d’animation diffusée à la télévision était de 45 %, contre 33 % pour la production américaine, 10 % pour la production européenne et 12 % pour la production issue d’autres pays.

Cette situation est unique en Europe et dans le monde, si l’on excepte le cas particulier du Japon. C’est en quelque sorte la marque de l’animation française, qui est l’une de nos filières d’excellence.

De même que nous avons pour objectif d’avoir une part de marché national forte dans le cinéma, il est important que les enfants de France puissent se retrouver dans les valeurs, les talents et l’imaginaire de la création française et européenne. Quelle que soit la valeur des productions américaine ou japonaise, nous ne pouvons leur livrer nos écrans, et donc l’imaginaire en construction de nos enfants. Les auteurs, animateurs, producteurs français reflètent ou du moins intègrent dans leurs projets la situation des enfants d’ici et d’aujourd’hui.

Outre ce succès national, l’animation française est également très performante à l’étranger. Elle représente près de 30 % des exportations de programmes audiovisuels français et constitue de loin le premier genre à l’export. Le secteur compte au total une centaine d’entreprises et emploie près de 5 500 personnes réparties de façon assez équilibrée sur tout le territoire.

Le soutien à l’animation est donc un enjeu fort, culturel, éducatif et industriel, et le Gouvernement ne peut accepter que ce secteur soit fragilisé.

Deux évolutions m’amènent néanmoins aujourd’hui à lever les réserves exprimées en première lecture.

S’agissant des chaînes privées et du secteur de l’animation, plusieurs d’entre vous, notamment André Gattolin, ont fait part de leur volonté de ne pas déstabiliser cette économie.

Le dispositif de l’article 1er me paraît souple, en ce qu’il permet au Gouvernement d’intervenir, en tant que de besoin seulement, par la voie réglementaire, en complément de la démarche d’autorégulation et pour tenir compte des préconisations du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA. Le décret du 27 mars 1992 comporte déjà des prescriptions en la matière.

S’agissant de France Télévisions, depuis l’adoption de la proposition de loi par l’Assemblée nationale, le Gouvernement et l’entreprise publique ont négocié un contrat d’objectifs et de moyens. Celui-ci prévoit un vaste plan d’investissement dans la création, se traduisant notamment par le relèvement à 420 millions d’euros du montant annuel minimal d’investissement dans la production audiovisuelle. Nous avons donc fait en sorte que le groupe public dispose de moyens supplémentaires pour la création. Son plan d’affaires tire les conséquences financières du dispositif de cette proposition de loi, en prévoyant une augmentation des ressources publiques de l’entreprise, qui lui permettra de confirmer son engagement dans l’animation.

Dans ces conditions, cette démarche équilibrée, qui distingue le service public des chaînes privées, pourra être mise en œuvre. Il faudra néanmoins rester très vigilants sur ses conséquences pour le secteur de l’animation et examiner de façon régulière l’évolution des financements des productions destinées à la jeunesse.

Pour conclure, cette éviction de la publicité, recette privée à laquelle se substitue un financement public, nous oblige collectivement – Gouvernement et représentation nationale – à veiller au dynamisme de la recette affectée à l’audiovisuel public, pour permettre la modernisation de celui-ci.

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