Intervention de Corinne Bouchoux

Réunion du 7 décembre 2016 à 21h30
Suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique — Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Corinne BouchouxCorinne Bouchoux :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, « démarche équilibrée » et « vigilance » : ces maîtres mots me conviennent.

Il y a maintenant un an, le Sénat et sa commission de la culture ont ouvert un chemin vers une évolution majeure pour l’audiovisuel public et son entreprise la plus importante, France Télévisions.

Nous avons adopté le principe selon lequel les programmes de la télévision publique prioritairement destinés aux enfants de moins de douze ans ne comportent pas de messages publicitaires autres que des messages de prévention. Afin de « sanctuariser » ces programmes, l’interdiction s’applique aussi quinze minutes avant et après la diffusion de ces programmes. Il faut noter que cette restriction s’applique également à tous les messages diffusés sur les sites internet des diffuseurs publics.

L’interdiction que nous avons adoptée est à la fois ciblée, complète, mesurée et adaptée au service public de l’audiovisuel.

Elle est ciblée parce qu’elle concerne les enfants de moins de douze ans. Les adolescents, qui disposent déjà d’un esprit critique, ne sont pas visés.

Elle est complète parce qu’elle vise à la fois le linéaire, le délinéaire et le numérique. Le service public deviendra ainsi un espace de confiance pour les parents, ce qui devrait constituer pour lui un avantage comparatif et compétitif essentiel. Cette proposition de loi n’est donc pas contre le service public ; au contraire, elle vise à renforcer son identité et sa spécificité.

Cette interdiction est, au final, adaptée, puisqu’elle ne concerne pas les chaînes privées, qui sont pour leur part soumises à une autorégulation sous le contrôle du CSA, comme le précise l’article 1er. À ce sujet, je tiens à répondre aux craintes qui se sont fait jour : il n’y a pas, dans cette proposition de loi telle qu’elle a été adoptée par la commission, de disposition visant à interdire la publicité sur les chaînes privées, pour cette raison simple qu’une telle interdiction aurait pour effet de faire disparaître les programmes jeunesse de ces chaînes, puisque c’est la publicité qui les finance, ou de nous conduire à leur attribuer une part de contribution à l’audiovisuel public, puisqu’elles s’apparenteraient alors à des chaînes de service public.

Je souhaite prendre un instant pour revenir sur la philosophie de cette proposition de loi, car des craintes, légitimes ou moins légitimes, ont pu apparaître. Notre position n’est pas que toute publicité est forcément condamnable et que certains produits sont à exclure. Les choses sont beaucoup plus nuancées que cela.

Je reconnais volontiers que la consommation d’une barre chocolatée ou d’un verre de boisson pétillante de temps en temps ne constitue pas, en soi, une menace grave pour la santé, lorsque les parents sont attentifs à ce que cela ne devienne pas une habitude.

Le problème est que, dans certaines familles, de tous milieux, les enfants sont laissés devant la télévision pendant des heures sans surveillance et deviennent des objets de convoitise pour les grands industriels.

N’oublions pas non plus que les entreprises qui font de la publicité aux heures d’audience importante sont de grandes multinationales, qui ont les reins très solides. Nos PME et nos artisans sont, au contraire, souvent victimes du rouleau compresseur des techniques de marketing.

Dans ces conditions, l’objectif de la proposition de loi est de proposer aux familles un espace sanctuarisé, affiché comme tel, un espace de confiance où l’on est certain que les enfants seront protégés contre les stratégies des industriels qui, comme les fabricants de tabac, ne font pas de sentiment et ne reculent devant rien pour vendre leurs produits.

Où en sommes-nous aujourd’hui, après la lecture à l’Assemblée nationale ? Deux éléments sont à retenir.

Premièrement, l’Assemblée nationale a examiné la proposition de loi en janvier 2016 et a adopté conforme l’article 2, relatif à l’interdiction de la publicité dans les émissions jeunesse de France Télévisions. Elle a en outre modifié la rédaction de l’article 1er, relatif à l’autorégulation.

Deuxièmement, l’État et le groupe France Télévisions ont tiré toutes les conséquences de cette adoption conforme dans le projet de contrat d’objectifs et de moyens du groupe public : les recettes de publicité passeront certes de 334, 7 millions d’euros en 2017 à 314, 7 millions d’euros en 2018, mais cette différence de 20 millions d’euros est intégralement compensée par une hausse de 17 millions d’euros de la subvention publique et par une baisse de 3 millions d’euros des prélèvements sur les recettes brutes.

Que doit-on penser de ces deux évolutions ?

Les réserves émises lors de la première lecture concernaient d’abord le financement de la production audiovisuelle. Or, comme je l’ai indiqué, les craintes exprimées à cet égard n’ont plus lieu d’être : je le dis notamment à l’intention des producteurs de films d’animation, qui n’ont aucune inquiétude à avoir sur le financement de leur filière.

La deuxième lecture se présente donc aujourd’hui de manière très différente. L’article 2 ayant été adopté conforme par les députés, il ne nous reste plus à examiner que l’article 1er, qui a été modifié par l’Assemblée nationale.

Je le dis très nettement, je ne crois pas que cet ajout était nécessaire, car l’autorégulation sous le contrôle du CSA doit être poursuivie. Par ailleurs, comme vous l’avez indiqué, madame la ministre, il existe déjà un décret en Conseil d’État, en date du 27 mars 1992, qui réglemente les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat. Dans notre esprit, le plus simple serait de considérer que le décret mentionné par l’article 1er est, en réalité, celui de 1992.

Nous aurons peut-être un débat sur l’article 1er, mais, ne nous y trompons pas, modifier cet article reviendrait d’abord à rendre inopérant l’article 2, qui constitue le cœur du dispositif, puisqu’il n’est pas envisageable de poursuivre la navette, du fait notamment du calendrier parlementaire.

Le texte que nous examinons aujourd’hui a le soutien de l’Union nationale des associations familiales, l’UNAF, et des associations de familles catholiques, ainsi que celui de plusieurs professions médicales.

L’Organisation mondiale de la santé a publié le mois dernier un rapport pour dénoncer le marketing numérique agressif des industriels. L’opinion publique est derrière nous, 87 % des Français étant favorables à l’interdiction de la publicité commerciale dans les émissions destinées aux enfants sur les chaînes publiques. L’année dernière, ce pourcentage était de 71 % : une augmentation de seize points, ce n’est pas rien !

Mes chers collègues, nous avons l’occasion d’envoyer un message de confiance aux familles et de démontrer l’utilité de l’action de notre assemblée pour protéger les enfants. Il me semble donc qu’un vote le plus large possible de notre assemblée en faveur de l’adoption de ce texte permettrait de renforcer l’image du Sénat comme force de proposition et d’action au service de nos concitoyens, notamment des plus jeunes d’entre eux. Je remercie tous ceux qui ont apporté leur contribution.

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