Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous sommes tous animés des mêmes bonnes intentions, mais les dispositions de ce texte permettront-elles de les mettre en œuvre et d’atteindre l’objectif affiché ?
Il s’agit de protéger les enfants de messages qu’ils ne sont pas encore en mesure de décrypter comme les adultes, faute de la distance nécessaire. France Télévisions, qui est exemplaire en la matière, a décidé de supprimer la publicité dans ses programmes jeunesse destinés aux moins de six ans : je le dis à l’intention de ceux qui font comme si cette mesure n’avait pas déjà été prise ! Or, dans ce débat, il n’est question que de France Télévisions, et pas des chaînes privées, qui n’ont pourtant pas pris la même décision vertueuse.
De manière plus globale, il me semble que l’on méconnaît l’évolution du monde de l’audiovisuel : il n’y a plus de sanctuarisation possible. En effet, les enfants regardent beaucoup de programmes destinés aux adultes, tels que des émissions de téléréalité, des séries ou même des émissions d’information. Or, s’agissant de ces programmes, rien n’est proposé pour encadrer la publicité. En outre, les enfants ne regardent pas en priorité France Télévisions, y compris pour ce qui est des programmes jeunesse, puisque le service public en diffuse 200 heures, contre plus de 600 heures pour la seule chaîne privée Gulli. Ajoutons qu’un enfant sait se servir d’une télécommande : si ses parents ont réglé le téléviseur sur une chaîne du service public, il pourra toujours « zapper » en leur absence !
Par ailleurs, les enfants regardent de plus en plus de programmes sur internet, en particulier sur YouTube. On n’en est plus à l’ère de la télé à papa ! Ainsi, le clip d’une chanson de Disney a été visionné 570 000 fois, les épisodes de Petit Ours brun 60 millions de fois, le Roi Lion 9 millions de fois… Or, avant et après ces vidéos sont diffusées des publicités pour des jouets de guerre, pour Flunch ou pour McDonald’s, qui promeuvent la violence et la malbouffe. Sur internet non plus, aucune régulation n’est prévue : je ne dis pas qu’il était aisé d’en introduire une dans ce texte, dans la mesure où le CSA ne contrôle pas ce qui est diffusé sur la Toile ; c’est d’ailleurs un problème général qu’il faudra poser, pour prendre en compte la fantastique mutation technologique que connaît le secteur audiovisuel. Pour l’heure, aucune règle, aucune moralisation ne vaut dans l’espace où s’effectue désormais la majeure part de la consommation d’images !
Dans ces conditions, je ne crois pas à la sanctuarisation. Si l’on ne traite pas tout le monde sur un pied d’égalité, il y aura des effets d’aubaine et des effets pervers. L’interdiction de la publicité durant les programmes jeunesse ne procurera pas, selon moi, un avantage compétitif à France Télévisions. J’ai plutôt l’impression que ce sera l’inverse, notamment parce qu’il faudra que France Télévisions investisse dans la production française, celle qui exprime nos talents, nos valeurs, pour pouvoir continuer à proposer des émissions pour enfants de qualité. Or, pour investir, il faut de l’argent, et voilà que l’on propose de priver France Télévisions de 20 millions d’euros de manne publicitaire !
Le COM a anticipé cette perte, nous dit-on. Nous en discuterons lors de l’examen des prochains projets de loi de finances, mais la perte de ressources se fera sentir avant 2018. En effet, les annonceurs élaborent des budgets pluriannuels : sachant qu’il n’y aura plus de publicité sur France Télévisions en 2018, ils se désengageront dès à présent. Dans le même ordre d’idées, quand on a supprimé la publicité après 20 heures sur France Télévisions, des annonceurs, envisageant leur partenariat avec le groupe public de façon globale, ont aussi cessé d’acheter des créneaux publicitaires avant 20 heures.
Le Gouvernement, quant à lui, avait prévu d’augmenter de 1 euro la redevance, ce qui aurait engendré une ressource supplémentaire de 25 millions d’euros. Malheureusement, l’Assemblée nationale n’a pas suivi… Comment être sûrs que le relèvement de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques, destiné à compenser la perte de 20 millions d’euros de recettes, sera reconduit les prochaines années ? Quelles seront les intentions de ceux qui gouverneront demain ? On ne le sait pas !