Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi a déjà une longue histoire. Elle s’inspire, en effet, d’un texte déposé en 2010 par notre ancien collègue Jacques Muller, que je salue.
C’est en tenant compte des critiques qui lui avaient été faites et des évolutions importantes qui ont modifié notre paysage audiovisuel depuis que j’ai déposé, en 2013, cette nouvelle mouture, plus affinée dans ses objectifs.
Après une première lecture l’an passé, la voici de retour dans cet hémicycle, pour, espérons-le, une adoption définitive.
Les effets de la publicité sur les comportements et le développement de nos enfants sont aujourd’hui indéniables. Les études récentes mettent en évidence une dégradation de leurs pratiques alimentaires, un dérèglement de leur mode de vie et une confusion accrue dans leur hiérarchie des valeurs. Tout cela affecte profondément leur manière d’être en famille, à l’école et en société.
Je ne développerai pas davantage cet inquiétant constat qu’ont déjà exposé les intervenants précédents. Je rappellerai simplement que ce texte répond à un objectif d’intérêt général, la protection de nos enfants.
Ainsi, loin de relever d’une initiative minoritaire, partisane ou isolée, cette proposition de loi transcende les clivages politiques et sociaux. Elle recueille l’approbation massive de nos concitoyens – pas seulement au travers des enquêtes d’opinion, monsieur Assouline –, l’appui des principales associations familiales et de parents d’élèves, ainsi que le soutien de différentes institutions et personnalités du monde de la santé et de l’éducation.
Elle participe, à l’échelle européenne, d’une dynamique plus globale qui conduit un nombre croissant de pays à légiférer : en Allemagne, par exemple, un cadre très contraignant s’applique en matière d’autorisation de diffusion de messages commerciaux pour enfants ; aux Pays-Bas, une interdiction cible la promotion des produits alimentaires non diététiques ; en Grèce, la publicité pour les jeux et jouets jugés préjudiciables aux enfants est prohibée ; en Espagne, au Royaume-Uni et en Belgique, toute publicité visant les enfants est interdite sur les chaînes publiques ; enfin, dans trois pays d’Europe du Nord, elle est désormais proscrite sur l’ensemble des chaînes de télévision.
Notre pays se situe aujourd’hui en queue du peloton de l’Union européenne en matière de régulation. Adopter ce soir cette proposition de loi nous replacera en bien meilleure position.
Je voudrais maintenant tenter de répondre à certaines objections parfois opposées à ce texte.
Il faut s’en féliciter, personne ne remet en cause, sur le fond, le bien-fondé de notre initiative en faveur de la protection de l’enfance. Les réticences exprimées par certains sont essentiellement d’ordre économique, la principale d’entre elles tenant aux conséquences financières qu’entraînerait l’adoption d’une telle mesure pour France Télévisions.
À ce propos, je dois saluer le sens de l’anticipation dont a fait preuve la direction du groupe en intégrant d’ores et déjà, dans son dernier plan d’affaires, la baisse de recettes publicitaires qui résulterait de la mise en œuvre du dispositif. Toutefois, son chiffrage de cette baisse – 20 millions d’euros par an –, plus de deux fois supérieur au nôtre, est un peu surprenant. Il conviendrait d’y regarder de plus près, d’autant qu’il est peu documenté…
En tout état de cause, quels que soient les chiffres retenus, le montant de la perte de recettes n’excède pas 0, 3 % à 0, 7 % du budget global du groupe. C’est peu, d’autant que France Télévisions bénéficiera prochainement – outre les compensations et garanties apportées par l’État – de nouvelles recettes publicitaires : un décret en préparation, visant à assouplir les conditions du partenariat télévisuel, devrait en effet, selon France Télévisions, permettre une augmentation des recettes du groupe de 5 millions à 10 millions d’euros par an.
Par ailleurs, la régie du groupe vient de remporter le contrat de commercialisation publicitaire des trois chaînes pour enfants du groupe privé Turner. Elle va aussi jouir aussi des retombées financières d’accords récents passés avec la chaîne YouTube Kids France. Au final, l’ensemble de ces nouvelles recettes compensera largement le manque à gagner que j’évoquais.
Certains producteurs de films d’animation se sont émus, craignant que France Télévisions investisse moins dans ce type de programmes en cas de suppression de la publicité durant ses émissions pour enfants.
Je tiens à rappeler que je suis l’auteur de plusieurs textes et amendements visant à renforcer les crédits d’impôt pour les secteurs des jeux vidéo et de l’image animée. Je suis même allé défendre mes propositions à Bruxelles. Dès lors, il est quelque peu « gonflé » de prétendre que je voudrais assassiner l’animation française ! Les représentants de ce secteur d’activité, que j’ai rencontrés à plusieurs reprises, ne m’ont d’ailleurs fait aucun reproche en ce sens.
Il n’y a de toute façon aucun risque en la matière : la production de programmes jeunesse de qualité fait partie des obligations assignées par l’État à France Télévisions. De plus, elle progresse au sein des chaînes privées, la parité avec les chaînes publiques étant quasi atteinte.
En ce qui concerne les annonceurs, certains professionnels du secteur des jeux et des jouets se sont manifestés. Pourtant, ce marché très dynamique en France, qui a connu une progression de près de 10 % sur les trois dernières années, n’a pas grand-chose à redouter. Dans les faits, seules les grandes marques étrangères – qui représentent l’essentiel du marché – disposent des moyens d’investir dans des publicités télévisées. Or, selon les données fournies par Kantar Media, qui est la référence en matière d’investissements publicitaires, France Télévisions ne drainait, en 2015, que 6, 5 % des investissements télévisuels de ce secteur : pas de quoi déstabiliser ces entreprises, dont nous pouvons juger de la force de frappe en cette période précédant les fêtes…
Si l’incidence économique de ce texte est, à l’évidence, assez dérisoire, sa portée est loin de n’être que symbolique en termes de régulation publicitaire. Il offrira enfin à nos enfants la possibilité de profiter, quelques heures par jour, d’un espace télévisuel dédié et libre de ces incitations commerciales qui, malheureusement, envahissent presque tout leur environnement quotidien, parfois jusqu’à l’intérieur de leurs écoles. Ce faisant, il permettra aussi au service public audiovisuel de se distinguer par la nature de son offre.
Pour ces raisons, je vous invite vivement, mes chers collègues, à franchir ce qui n’est qu’un petit pas pour le législateur, mais qui constitue une avancée de géant pour la protection et le devenir de nos enfants.