Intervention de Michel Mercier

Réunion du 15 décembre 2016 à 15h00
Prorogation de l'état d'urgence — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Michel MercierMichel Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Techniquement, il autorise trois mesures, largement utilisées par les services : les contrôles d’identité – s’il s’agit d’une mesure nouvelle, 2 000 ont été réalisés depuis le mois de juillet, essentiellement dans quatre départements –, les assignations à résidence et les perquisitions administratives.

Depuis la dernière décision de prorogation de l’état d’urgence, le 22 juillet dernier, 590 perquisitions ont été ordonnées, 65 ont connu des poursuites judiciaires, dont 25 pour une infraction à caractère terroriste.

Le 22 juillet dernier, nous avions également voté des dispositions demandées par le Conseil constitutionnel, qui permettent l’exploitation des données informatiques copiées lors d’une perquisition. Pour ce faire, l’autorité administrative doit saisir le juge administratif, plus précisément le juge des référés. Sur les 91 saisines effectuées, 81 autorisations ont été données et 6 refus opposés, dont 5 ont fait l’objet d’un recours en appel devant le Conseil d'État, lequel a accordé son autorisation d’exploitation à 4 reprises, un refus ayant été confirmé. Nous comptons donc 2 refus d’exploitation des données saisies et 4 dossiers en attente de réponse.

S’agissant des assignations à résidence, 91 personnes sont aujourd'hui concernées, dont 37 depuis plus d’un an, 10 depuis six à douze mois et 44 depuis moins de six mois.

On le voit, l’état d’urgence a permis certaines impulsions importantes. Mais il a aussi, je ne voudrais pas que l’on oublie cet aspect des choses, été à l’origine du développement du contrôle de l’activité de l’autorité administrative.

Par le Parlement, surtout. Les deux assemblées reçoivent quotidiennement, de la part du ministre de l’intérieur, que je tiens ici à remercier, des informations sur les mesures individuelles prises par l’autorité administrative, et détaillant les endroits et les personnes concernés. C’est tout à fait important : nous pouvons ainsi contrôler toutes les mesures administratives prises dans ce cadre.

De la même façon, les deux assemblées, chacune avec leur caractère propre, ont constitué au sein de leur commission des lois des groupes de suivi de l’état d’urgence. Le groupe de suivi du Sénat avait prévu de rendre son rapport sur le sujet hier ; l’examen du présent projet de loi nous oblige à repousser légèrement sa sortie. Nous avons eu l’occasion, pour le rédiger, de mener des contrôles sur place et d’examiner les choses dans le détail.

Le contrôle parlementaire s’est donc considérablement approfondi. Il ne faut pas confondre état d’urgence et absence d’État de droit t. Au contraire, l’état d’urgence est aussi, d’une certaine façon, un renforcement de l’État de droit. Il fallait le souligner.

Certes, des attentats sont encore commis. Il y en aura probablement d’autres. On ne peut pas supprimer totalement le risque terroriste. Le fait que dix-sept attentats aient été déjoués cette année révèle cependant deux choses : le niveau élevé de la menace terroriste ; le niveau élevé de l’activité des services.

À chaque projet de loi de prorogation de l’état d’urgence, nous avons été amenés à voter des mesures complémentaires, qui ont renforcé l’efficacité des services administratifs, mais aussi judiciaires.

J’aimerais d’ailleurs m’attarder un peu sur ces derniers. Nous assistons en effet à une véritable explosion de l’activité des services judiciaires en matière terroriste. En 2016, le nombre de jours d’audience terroriste au tribunal de Paris, qui a compétence en la matière pour toute la France, était de 132. Ce nombre va passer à 745 au premier semestre 2017 et à 1 244 pour toute l’année, soit une augmentation de 842 % en un an.

Je veux, au nom de tout le Sénat, saluer l’action efficace que mènent à la fois les gendarmes, les policiers, les douaniers et les militaires dans le cadre de la réponse administrative au terrorisme, mais aussi les magistrats, qu’ils soient du parquet ou du siège, dans le cadre de la réponse judiciaire. Leurs résultats sont importants : ils doivent être connus.

Nous allons assister prochainement, dans la cour d’assises spécialement composée à Paris, au jugement de l’affaire Merah. Ce sera un grand procès, impliquant de nombreuses parties civiles. Nous verrons également le procès de la cellule Cannes-Torcy et de l’attentat de Sarcelles, qui durera douze semaines. C’est dire le poids de la justice terroriste sur l’ensemble de notre système judiciaire.

Ce bilan étant tiré et les résultats constatés, devons-nous répondre favorablement à la demande de prorogation de l’état d’urgence formulée par le Gouvernement ?

Il est évident que nous ne pouvons pas nous passer des trois mesures – contrôles d’identité, perquisitions administratives, assignations à résidence – que j’évoquais il y a quelques instants, compte tenu de la persistance de la menace à un niveau élevé. Nous devons donc proroger l’état d’urgence.

La question se pose néanmoins de la durée de l’assignation à résidence et de son contrôle. Disons les choses clairement : si l’on voulait mettre fin aux assignations à résidence, il faudrait mettre fin à l’état d’urgence. Cela éviterait de se poser trop de questions.

Mais soyons francs, l’état d’urgence emporte des mesures spéciales, des mesures dont, nous le savons bien, nous avons besoin.

La durée de l’assignation sera fixée par la loi. Le Gouvernement n’y avait pas pensé, mais il s’y est rallié rapidement. §La première version du texte était trop courte sur cet aspect des choses pour nous convaincre, monsieur le ministre ! Je veux donc féliciter le président et le rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale d’avoir su travailler efficacement, en associant à leurs réflexions le président de la commission des lois du Sénat et moi-même.

Il résulte de nos échanges que l’éventuelle prolongation de la décision d’assignation à résidence, souvent nécessaire, devra se faire devant un juge administratif.

Ce n’est pas, contrairement à ce qui a pu être dit, une nouveauté. Deux cas existent en effet, dans les matières de renseignement et de sécurité, où le juge participe directement à l’action administrative : pour autoriser l’exploitation de données informatiques saisies lors d’une perquisition, nous venons de le voir ; pour autoriser le Premier ministre à faire sonoriser des appartements après un avis négatif de la commission nationale compétente. Sur ce dernier point, je garderai le texte initial du Gouvernement ; je ne manquerai pas de m’en servir dans les semaines qui viennent.

Il n’y aura pas d’« éléments nouveaux » pour en décider. La personne est surveillée du matin au soir ; elle doit pointer trois fois par jour auprès de la gendarmerie ou de la police. S’il y avait des éléments nouveaux la concernant, c’est que les services du ministère de l’intérieur n’auraient pas fait leur travail. §La dangerosité de la personne n’aura pas pour autant diminué : le juge administratif aura donc à choisir.

Puisque nous avons très bien travaillé avec l’Assemblée nationale, je vous proposerai, mes chers collègues, d’adopter sans modification le texte qui nous est aujourd'hui soumis.

Deux éléments de conclusion, si vous le permettez, monsieur le président.

Un jour, il faudra sortir de l’état d’urgence.

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