Dans ce cadre, l’état d’urgence constitue une disposition adaptée. Il permet des limitations de liberté individuelles et proportionnées aux circonstances, sous le contrôle du juge administratif et sous la vigilance éclairée du Parlement.
Je veux, de ce point de vue, saluer ici le rôle de notre rapporteur et de son homologue à l’Assemblée nationale. Je sais aussi que M. le ministre de l’intérieur, tout comme son prédécesseur, est attentif à cette question ; en tant que représentants des groupes parlementaires, nous avons eu l’occasion, à différentes reprises, de nous réunir avec lui et M. le Premier ministre pour échanger des informations sur le suivi de l’état d’urgence.
Nous sommes donc entre deux écueils. Le besoin d’efficacité opérationnelle est évidemment réel. Nous sommes aux côtés des forces de l’ordre et des magistrats qui y contribuent. Dans le même temps, l’État de droit a ses limites et l’état d’urgence est, par définition, transitoire. Chacun a évoqué la perspective de la sortie de l’état d’urgence, y compris le Conseil d’État, qui l’a fait dans chaque avis qu’il a rendu depuis la première prorogation. Plusieurs d’entre nous ont, comme lui, fait remarquer à juste titre que l’état d’urgence n’a pas vocation à être prolongé indéfiniment.
Cette cinquième prorogation suscite donc le débat. Le Conseil d’État a néanmoins estimé que les conditions sont réunies pour une nouvelle prorogation, qui courra, à la demande du Gouvernement, jusqu’au mois de juillet prochain. Cela permettra de reporter le débat. Comme l’a excellemment suggéré notre rapporteur, nous devrions pouvoir trouver les voies et moyens d’améliorer le droit commun d’ici là pour permettre la sortie de l’état d’urgence. Il faudra utiliser cette période pour réfléchir aux pistes qu’il a clairement et brillamment évoquées.
Je rappellerai que, déjà au mois de juillet dernier, le Sénat avait, avec l’Assemblée nationale, introduit dans le droit commun plusieurs dispositions destinées à nous permettre de renoncer, le moment venu, à l’état d’urgence. Nous savons toutefois que renoncer à l’état d’urgence dans le contexte d’aujourd’hui serait particulièrement difficile et préjudiciable.
Notre rapporteur a évoqué voilà quelques instants trois mesures contenues dans l’état d’urgence : les contrôles d’identité, les assignations à résidence et les perquisitions administratives, dont nous savons qu’elles sont opérationnellement utiles aux forces de l’ordre pour mener à bien leurs missions. Nous sommes évidemment à leurs côtés pour ce faire.
L’article 2 du projet de loi fixait initialement une durée maximale de 15 mois à l’assignation à résidence d’une même personne. Nos collègues députés ont sur ce point suivi les préconisations du Conseil d’État en abaissant cette limite à 12 mois, ce qui garantit un meilleur encadrement des assignations à résidence. Cette durée nous paraît raisonnable et nous saluons les travaux qui ont été réalisés en amont par notre rapporteur avec son homologue de l’Assemblée nationale, qui ont permis d’aboutir à une solution pertinente sur ce point comme pour d’autres aspects de ce projet de loi.
Il faudra évidemment sortir de ce dilemme et trouver les armes juridiques nécessaires pour permettre que cette situation particulière de l’état d’urgence puisse être dépassée. Nous en mesurons toute la difficulté. Nous savons aussi que certains professionnels – plusieurs de nos collègues nous ont alertés sur ce point – sont négativement affectés : je pense en particulier aux secteurs du tourisme, de la restauration et de l’hôtellerie. Nous sommes soucieux de l’image internationale de la France, mais nous savons que ce ne serait pas en sortant de l’état d’urgence que ces problèmes pourraient être durablement réglés : c’est bien plutôt en mettant à mal les filières terroristes.
Nous n’ignorons pas que l’État s’y consacre ; par ailleurs, le Parlement joue son rôle en définissant le cadre juridique et les moyens alloués pour que cette lutte soit efficace.
Monsieur le ministre, vous avez rappelé il y a quelques instants que 13 projets d’attentats ont été déjoués depuis juillet dernier. Nous ne nous faisons pas d’illusions : nous savons que la période préélectorale nationale est aussi particulièrement visée par les groupes terroristes, car c’est bien la démocratie qu’ils veulent abattre. C’est avec les armes de la démocratie que nous devons répondre : il faut donc préserver le scrutin, préserver le débat public et préserver la liberté de nos concitoyens de s’exprimer, liberté d’expression qui nous est chère. Il faut donc donner l’occasion aux forces de l’ordre et aux autorités de l’État de permettre que les rassemblements et débats électoraux aient lieu dans les meilleures conditions. Il s’agit de défendre la vitalité démocratique ; nous savons qu’un attentat dans cette période serait susceptible d’avoir un retentissement considérable ; c’est ce que recherchent les terroristes.
Monsieur le ministre, vous nous avez fait part de plusieurs éléments qui montrent que le Gouvernement est attentif aux préoccupations du Sénat. Nous devons ne pas perdre de vue que la voie judiciaire est l’outil prééminent de la lutte antiterroriste et que c’est dans un système permanent que doit s’inscrire et s’adapter notre pays face à la menace. Michel Mercier nous a lui aussi offert des pistes, qu’il nous faut travailler. Nous savons que nous ne gagnerons la guerre contre le terrorisme qu’en réformant la justice et en instaurant à l’échelon européen une coordination entre les systèmes d’information nationaux.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe UDI-UC votera, presque à l’unanimité, en faveur de la prorogation de l’état d’urgence, non sans débat, non sans avoir pesé le pour et le contre, mais en estimant en conscience qu’il s’agit du cadre indispensable pour lutter contre la menace terroriste qui pèse sur notre pays.