Intervention de Philippe Bas

Réunion du 10 janvier 2017 à 14h30
Composition de la cour d'assises spéciale — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Philippe BasPhilippe Bas, auteur de la proposition de loi :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, pourquoi avons-nous déposé cette proposition de loi ?

Je rappelle – vous me pardonnerez de remonter si loin dans le temps – que, lorsque la Cour de sûreté de l’État a été supprimée en 1982, il a fallu créer une juridiction habilitée à juger les crimes contre la sûreté de l’État. À l’époque, le Parlement et le Gouvernement n’ont pas voulu exposer nos concitoyens, membres d’un jury d’assises, aux risques de pressions, lesquelles peuvent être très graves dans certaines affaires.

Une juridiction spéciale a donc été créée, la cour d’assises spéciale, laquelle est exclusivement composée de magistrats prélevés sur les tribunaux de grande instance pendant la durée des assises. Cette cour juge, presque exclusivement d’ailleurs, les crimes terroristes. Son activité s’est concentrée à Paris, les responsabilités du parquet parisien ayant été étendues au fil des années par le législateur à toutes les affaires de terrorisme.

Hélas, les tragiques attentats qui ont endeuillé notre pays ces deux dernières années, ces crimes de masse, ont fait peser de nombreuses contraintes sur la justice. Il nous a fallu, en plein accord avec l’Assemblée nationale et le Gouvernement, modifier la loi pénale à plusieurs reprises. Les moyens du parquet, comme ceux de l’instruction, ont été augmentés en ce qui concerne l’antiterrorisme. Reste le jugement des affaires.

Il est apparu que les conditions de fonctionnement de la cour d’assises spéciale, dont le président du tribunal de grande instance de Paris s’est fortement inquiété, permettaient très difficilement de juger efficacement et rapidement de nombreux criminels. La question nous est donc aujourd'hui posée, à nous, le législateur, de réformer la composition de la cour d’assises spéciale.

Cette cour collégiale comporte, outre le président, six membres en premier ressort. Ces six membres sont entièrement prélevés parmi les magistrats du siège du tribunal de grande instance. Ainsi des juges aux affaires familiales deviennent-ils l’équivalent de citoyens membres d’un jury d’assises le temps d’un procès pour crimes terroristes. Il se trouve que ces procès durent parfois longtemps, comme ce sera le cas de ceux qui auront lieu l'année prochaine.

Afin à la fois d’éviter l’effet induit par la composition actuelle de la cour d’assises spéciale sur le fonctionnement du tribunal de grande instance de Paris et de pouvoir juger un plus grand nombre d’affaires dès 2017, je propose de réduire le nombre de magistrats membres de ce collège de juges chargés de se prononcer sur les crimes terroristes.

Mes chers collègues, permettez-moi de vous donner quelques chiffres pour étayer cette proposition. Alors que 342 jours d’audience ont été consacrés aux affaires terroristes dans les procès d’assises en 2015, puis 132 jours en 2016, ce nombre s’élèvera, selon les estimations, à 1 244 en 2017, soit une hausse de plus de 842 % !

Le besoin en équivalents temps plein travaillé de magistrats – pardonnez-moi ce jargon – pour le jugement des crimes terroristes augmentera donc de 950 % entre 2016 et 2017 au sein de la cour d’appel de Paris. Cette situation résulte de l’augmentation de 93 % du nombre d’ouvertures d’informations judiciaires en matière terroriste en 2016, soit un doublement par rapport à 2015. Le nombre d’enquêtes préliminaires a lui augmenté de 70 %. Il existe donc un risque évident de saturation de la cour d’assises de Paris.

Nous pensons que, en réduisant de six à quatre le nombre de membres de cette cour, nous ne diminuerions pas les garanties offertes aux justiciables. Nous serions toujours dans le respect de notre tradition.

Je rappelle, à titre de comparaison, que la loi du 10 août 2011 – M. Mercier s’en souvient – a réduit de neuf à six le nombre de jurés dans les cours d’assises de droit commun, en premier ressort. Si on peut diminuer le nombre de jurés d’assises pour les crimes « ordinaires », si je puis dire, tout en respectant la collégialité, on peut certainement le faire aussi pour la juridiction spéciale, à condition, bien sûr, de ne pas descendre en dessous d’un certain seuil.

La proposition de loi qu’un certain nombre de mes collègues et moi-même vous soumettons aujourd'hui ne contrevient à aucune règle d’indépendance ou d’impartialité de la justice. C’est pourquoi je serais très heureux, mes chers collègues, sous réserve des propos de M. le rapporteur, que vous acceptiez de l’adopter.

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