Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 10 janvier 2017 à 14h30
Composition de la cour d'assises spéciale — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Rappelons ici que, si la cour d’assises spéciale est compétente en matière de crimes terroristes, elle l’est également en matière de crimes militaires commis en temps de paix, d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, de trafic de stupéfiants et de crimes relatifs à la prolifération d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs.

L’objet de la présente proposition de loi est alors relativement simple : il s’agit de réduire de deux membres le nombre d’assesseurs professionnels siégeant au sein de cette cour d’assises, qui passerait ainsi de six à quatre en premier ressort et de huit à six en appel.

Selon les auteurs de la proposition de loi, cette modification permettrait, dans le contexte d’une augmentation sensible et durable du nombre d’affaires criminelles terroristes, d’audiencer un plus grand nombre d’affaires terroristes et de soulager le tribunal de grande instance de Paris, qui serait substantiellement moins mobilisé pour composer les cours d’assises.

La question à laquelle nous sommes amenés à répondre aujourd’hui est donc la suivante : pensons-nous que la réduction du nombre de magistrats siégeant à la cour d’assises spéciale soit à même de désengorger la cour d’assises de Paris, tout en garantissant une justice de qualité ? Une majorité des membres du groupe écologiste ne peut, je le crains, répondre par l’affirmative.

Avec 195 enquêtes préliminaires et 160 informations judiciaires relatives à des filières irako-syriennes en cours, il est certain que la cour d’assises spéciale doit fournir un travail titanesque. De surcroît, ce ne sont pas moins de sept dossiers qui devraient être audiencés en ce début d’année, dont deux d’entre eux sont particulièrement importants : le procès du frère de Mohamed Merah, qui devrait durer un mois, et celui de la cellule de Cannes-Torcy, avec une vingtaine de mis en cause, prévu pour trois mois.

Doit-on pour autant réduire le nombre de magistrats dans cette instance de jugement ? Je ne le crois pas. La collégialité est la garantie d’une justice mieux rendue ; elle doit être préservée et ne peut, mes chers collègues, être rognée pour faire face à la pénurie de magistrats.

Cette pénurie, le manque de moyens de l’ensemble des tribunaux de notre pays, nous ne le découvrons pas avec l’augmentation du nombre d’affaires de terrorisme. Voilà des années que l’ensemble des professionnels du droit la dénonce. Vous déclariez vous-même, il y a quelques mois, monsieur le garde des sceaux, que « la justice est à bout de souffle » et que nous sommes face à « une vraie situation de sinistre ».

On le sait, la justice, malgré les efforts consentis depuis 2012, manque de tout : de magistrats, de greffiers, de fonctionnaires, mais aussi du matériel de base nécessaire au fonctionnement d’une juridiction, comme du papier ou de l’encre pour imprimer les jugements.

La réponse qui nous est proposée aujourd’hui, par une majorité sénatoriale qui n’a pas souhaité examiner le projet de loi de finances pour 2017, donc le budget de la justice, me paraît pour le moins légère. Mais peut-être est-ce annonciateur des temps qui viennent…

En 2015, pour la première fois depuis longtemps, il y a eu plus de magistrats nommés que de départs à la retraite. Cela ne se reproduira probablement pas si le candidat soutenu par certains sur ces travées et qui promet de réduire l’emploi public de 500 000 postes est élu.

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