Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la semaine dernière, la Commission européenne a lancé, avec beaucoup d’avance sur le calendrier prévu, les premières réflexions sur la réforme de la politique commune de la pêche, qui doit aboutir en 2012.
Le livre vert qu’elle a adopté s’ouvre sur une page qu’il faut malheureusement qualifier de politique-fiction pour l’horizon 2020 :
« Presque tous les stocks halieutiques européens ont été reconstitués au niveau de leur production maximale équilibrée, ce qui signifie, pour nombre d’entre eux, un accroissement considérable des effectifs par rapport à ceux de 2010. Les pêcheurs tirent un meilleur revenu de ces populations de poissons plus nombreuses, composées d’individus matures et de plus grande taille. Dans les communautés côtières, les jeunes voient de nouveau la pêche comme un moyen stable et attrayant de gagner leur vie. »
Hélas, à l’heure actuelle, la réalité est tout autre... Ainsi, dans le département de la Vendée, les marins pêcheurs sont confrontés, pour la quatrième année consécutive, à la fermeture de la pêche à l’anchois.
C’est l’avenir même de la pêche qui est en jeu, notamment dans le port de Saint-Gilles-Croix-de-Vie. Pour les jeunes, s’installer et espérer pouvoir vivre du produit de leur pêche est aujourd’hui une pure gageure.
La pêche représente encore 16 000 emplois à temps plein, mais pour combien de temps ? D’importants efforts ont déjà été consentis par la profession, puisque, en vingt-cinq ans, le nombre des navires a chuté de 54 %. Toutefois, globalement, la situation reste toujours aussi difficile, comme l’attestent les blocages de ports de ces dernières semaines.
En effet, les quotas qui, chaque fin d’année, font l’objet d’âpres discussions entre les ministres des différents pays, sont très rapidement atteints, tout du moins pour certaines espèces. Or comment les marins pêcheurs peuvent-ils faire face à leurs charges s’ils ne peuvent aller pêcher ?
Je ne nie pas la situation très dégradée des ressources halieutiques et la nécessité d’instaurer une pêche durable, mais, pour résoudre les crises récurrentes auxquelles la profession doit faire face, il faut prendre en compte plusieurs points.
Tout d’abord, la flotte française, du fait de sa spécialisation chalutière, est beaucoup plus vulnérable à la hausse des coûts de l’énergie, comme on l’a vu l’année dernière.
Au début de 2008, le Gouvernement a mis en place un plan d’aide, à hauteur de 310 millions d’euros sur deux ans, afin, notamment, de diminuer la consommation d’énergie. Madame la secrétaire d'État, j’espère que nous disposerons bientôt d’un premier bilan de l’application de ce plan.
Par ailleurs, il me semble indispensable de revoir la procédure de fixation des quotas. En effet, celle-ci s’appuie aujourd’hui sur les préconisations des scientifiques, nullement sur les observations des pêcheurs. Les propositions de la Commission sont ensuite soumises en décembre aux ministres de la pêche des vingt-sept États membres. Ce sont eux qui décident de la répartition des quotas par pays. Les discussions sont souvent très longues et aboutissent à une décision votée à la majorité qualifiée. Les marins pêcheurs ne connaissent donc qu’au dernier moment les quotas qui leur sont alloués et ils ne peuvent, de ce fait, ni anticiper ni planifier leur saison de pêche.
Il est nécessaire que la profession ait une plus grande visibilité sur les nouvelles normes édictées par Bruxelles. Dans son livre vert, la Commission stigmatise d'ailleurs ce mode de décision, qui encourage une vision à court terme.
Enfin, il ne faut pas l’oublier, malgré tous les efforts déployés depuis plusieurs années, le marché français reste composé à 85 % de poissons d’importation.
L’état de la ressource halieutique explique pour une part importante cette situation. C’est du reste le constat établi et par la Commission et par notre collègue Marcel-Pierre Cléach dans son très intéressant rapport.
Aujourd’hui, pour la plupart des espèces, la pêche européenne dépend de poissons jeunes et de petite taille, qui sont le plus souvent capturés avant d’avoir pu se reproduire.
Si la surpêche se trouve sans conteste à l’origine de cette situation, elle n’est pas la seule responsable : le changement climatique et les pollutions marines ont également un impact non négligeable.
Ainsi, à la suite du réchauffement climatique, les zones désertiques de l’océan ont progressé depuis 1998 de plus de 6 millions de kilomètres carrés, soit douze fois la superficie de la France. Parallèlement, ce phénomène entraîne un déplacement des espèces vers le nord, mais aussi, ce qui est plus grave, des déphasages chrono-biologiques.
De même, l’impact de la pollution sur la faune marine, s’il reste mal connu, est incontestable.
Pour la Commission européenne, cette diminution des ressources halieutiques est due à cinq grands problèmes structurels : la surcapacité des flottes, des objectifs stratégiques flous se traduisant par un manque d’orientations pour la prise des décisions et leur mise en œuvre, un mécanisme décisionnel qui encourage une vision à court terme, un cadre qui ne responsabilise pas suffisamment le secteur, enfin un manque de volonté politique pour faire respecter la réglementation, qui n’est que faiblement appliquée.
Je souscris largement à ce diagnostic. Toutefois, il me paraît indispensable de mettre rapidement en place des mesures que je qualifierais de bon sens, et qui rejoignent largement l’analyse de Pierre-Marcel Cléach.
Tout d’abord, il importe de rouvrir le dialogue entre les pêcheurs et les scientifiques. Le passif entre ces deux parties est lourd, mais il leur faut impérativement travailler de concert dans l’avenir. Des relations continues permettront à chacun de bien appréhender la ressource halieutique, d’adapter au mieux les quotas et de faire accepter pleinement cette contrainte par les pêcheurs, qui y trouveront leur intérêt. Ne pas l’avoir fait par le passé a constitué une grave erreur.
Madame la secrétaire d'État, je me félicite de la tenue du Grenelle de la mer, qui permet à toutes les parties prenantes – élus, associations, pêcheurs et scientifiques – de se réunir, d’échanger, de mener une réflexion de fond et, je l’espère, de faire le point sur ce qui se passe véritablement sur le terrain.
Les assises de la pêche, annoncées par Michel Barnier pour le mois de décembre prochain, ne peuvent, elles aussi, qu’être bénéfiques. Par ailleurs, il me semble indispensable de mieux coordonner les ressources.
Le livre vert propose ainsi de recourir, partout où c’est possible, à des systèmes de gestion régionaux spécifiques mis en œuvre par les États membres et soumis aux normes et au contrôle de la Communauté. Je suis tout à fait favorable à cette proposition, qui vise à décentraliser la mise en œuvre de la politique européenne de la pêche au profit de régions marines, comme la Méditerranée, la mer du Nord, la mer Baltique ou l’Atlantique, qui seraient partagées entre plusieurs États.
Les conseils consultatifs régionaux pourraient ainsi voir leur rôle accru. La meilleure prise en compte des problématiques régionales à l'échelle européenne est nécessaire, car la politique commune de la pêche ne peut plus et ne doit pas être un bloc monolithique. Les relations de terrain avec Bruxelles seront ainsi beaucoup plus régulières.
Toutefois, au-delà des frontières des vingt-sept États, un renforcement de la coopération régionale est nécessaire. À ce titre, les organisations régionales de gestion des pêches restent jusqu’à présent les meilleurs instruments de gouvernance, notamment pour ce qui est des stocks chevauchants et des réserves de poissons grands migrateurs des zones économiques exclusives et de la haute mer.
Toutefois, leurs résultats sont inégaux, et elles n’ont pas toujours fait preuve d’efficacité dans l’adoption de mesures de conservation et de gestion rigoureuses, l’application de ces décisions ou la mise en œuvre des moyens de contrôle correspondants. Il y a donc lieu de renforcer l’engagement de ces organisations en la matière et d’améliorer leurs résultats globaux.
Dans cette perspective, la coopération avec nos partenaires internationaux continuera à jouer un rôle crucial.