J'ai de nouveau l'honneur de me présenter devant vous parce que le Président de la République a souhaité proposer mon nom pour assumer la présidence du collège de la Haute Autorité de santé, ou HAS. Il s'agit cette fois-ci d'un mandat de six ans tandis que, lorsque vous m'avez auditionnée au mois de mars dernier, il s'agissait simplement de remplacer M. le professeur Jean-Luc Harousseau jusqu'à la fin de son mandat.
J'ai ainsi assuré la présidence du collège de la Haute Autorité de santé au cours des dix derniers mois. Cette période a été pour moi, je dois le dire, extrêmement dense, tant les métiers de la Haute Autorité sont riches ; ce fut une présidence très active et passionnante.
Je veux d'abord vous faire part de la très grande fierté que j'ai eue à présider la Haute Autorité qui compte quatre cents salariés et mobilise plus de trois mille experts au sein des différents groupes de travail. J'y ai été confrontée à un très haut niveau d'expertise, tant en interne qu'en externe, et à un personnel exerçant ses compétences avec une très grande rigueur scientifique.
J'y ai également été confrontée à des valeurs professionnelles très fortes et clairement exprimées, notamment la transparence - expliquer nos méthodes de travail et nos avis - et l'indépendance, tant vis-à-vis du pouvoir politique que des lobbies, garantie par des règles déontologiques très strictement appliquées. Cette transparence et cette indépendance sont garantes de la qualité et de l'impartialité de l'action que nous menons au service de la santé des Français.
Je veux maintenant retracer brièvement les quelques faits marquants de ces dix derniers mois. Vous le savez, la HAS assure plusieurs missions, principalement l'évaluation des produits de santé, la certification des établissements de santé, les recommandations de bonnes pratiques et le renforcement de la sécurité des patients.
L'année 2016 a été marquée par un contexte particulier : d'une part, la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016, qui a confié à la HAS quinze missions supplémentaires et, d'autre part, l'annonce par Mme la ministre de la santé de la reprise, par la HAS, des activités du Comité technique des vaccination, à la suite de la publication du rapport sur la politique vaccinale de Sandrine Hurel. Nous avons ainsi dû nous mettre en ordre de marche pour être en mesure d'accueillir en avril 2017 les activités de ce comité, dans une période où les vaccins sont particulièrement controversés. Cela a évidemment nécessité pour la Haute Autorité de santé de monter en compétence.
En ce qui concerne la certification des établissements de santé, la version V 2014 de ce dispositif est montée en charge avec plus de 800 établissements visités et ayant fait l'objet d'une décision courant 2016, sur les 2 500 établissements de santé que nous sommes amenés à visiter. La grande nouveauté de ce dispositif réside dans la méthode du patient traceur, qui se rapproche des pratiques professionnelles et qui est extrêmement appréciée, tant des équipes professionnelles, que des associations de malades. Il s'agit de considérer les points clefs du parcours d'un patient dans un établissement ; nous appréhendons beaucoup mieux, ce faisant, la qualité des soins.
Nous avons également renforcé nos travaux sur les indicateurs de qualité des soins que nous souhaitons d'ailleurs publier. On nous a confié le soin d'animer le site Internet dédié aux établissements de santé - Scope Santé -, lequel rend compte du niveau de certification des établissements et du score attendu pour les différents indicateurs de qualité des soins. Ce site est non seulement destiné au grand public qui doit pouvoir s'orienter dans le système de santé, mais également aux professionnels de santé et aux établissements, qui doivent pouvoir se comparer entre eux.
Nous avons ajouté un indicateur pour les établissements de santé, le dispositif e-Satis, qui mesure la satisfaction des patients hospitalisés en médecine, chirurgie, obstétrique. Ce dispositif a démarré début 2016 ; plus de 56 000 patients ont été interrogés à leur sortie d'hospitalisation pour noter la qualité de l'établissement, sur l'accueil, le séjour, la sortie. Le score de satisfaction des patients a été publié en décembre dernier dans la presse et sur le site Scope Santé. Il s'agit du premier indicateur de résultat publié en France indiquant le degré de satisfaction des patients.
En ce qui concerne l'évaluation des produits de santé, nous avons émis de très nombreux avis. Plus de 900 dossiers de médicaments ont été déposés en 2016 auprès de la commission de la transparence, ce qui représente, par rapport à 2015, une augmentation de 11 % de l'activité. Parmi les avis dont vous avez pu entendre parler, je veux citer les anti-Alzheimer et l'élargissement de l'accès aux médicaments contre l'hépatite C. Nous avons également évalué des actes innovants, notamment l'intérêt du robot chirurgical pour la prostatectomie et la thrombectomie dans le cadre d'accidents vasculaires cérébraux.
Pour ce qui concerne les dispositifs médicaux, nous avons évalué plus de 160 dispositifs médicaux en 2016 et nous avons reçu les premiers dossiers pour le forfait « innovation » afin d'accorder une prise en charge dérogatoire pour des dispositifs médicaux innovants, à condition que ce dispositif fasse l'objet d'une étude apportant des données manquantes. Le premier forfait « innovation » a été accepté fin 2016 et deux nouveaux dossiers viennent d'être déposés et sont en cours d'évaluation.
J'en viens aux guides et référentiels. Le dossier relatif aux objets connectés et aux applications en santé était très attendu et s'est révélé très utile. Il permet de guider les industriels et les évaluateurs sur ce qui est attendu de ces objets du point de vue de la valeur ajoutée. L'idée est d'en promouvoir l'usage mais aussi de renforcer la confiance vis-à-vis de ces applications.
Enfin, nous avons pris un certain nombre d'initiatives pour favoriser ce que j'appelle une « évolution des mentalités » dans le champ de la démocratie sanitaire. Nous avons organisé en novembre dernier un grand colloque scientifique international portant sur l'intérêt à recueillir les points de vue des patients et des usagers dans nos différentes missions. À la suite de ce colloque, nous avons engagé plusieurs initiatives. Notamment, nous recueillons désormais l'avis des associations de patients en amont des évaluations de médicaments et de dispositifs médicaux avant que la commission de la transparence rende son avis. Les premiers enseignements sont extrêmement enrichissants.
Cela étant dit, je suis ici ce matin pour évoquer l'avenir et vous donner mes grandes orientations, à discuter au sein du collège et avec les collaborateurs de la Haute Autorité de santé. La HAS est une magnifique institution que vous avez créée par la loi en 2004. Il s'agit d'une autorité publique indépendante - la seule qui ait un caractère scientifique et la seule qui intervienne dans le champ de la santé. Quelles que soient les missions que nous exerçons - elles sont nombreuses -, notre objectif final est de contribuer à la meilleure qualité des soins pour nos concitoyens.
Depuis 2004, grâce à la qualité de ses avis et à mes deux prédécesseurs -Laurent Degos et Jean-Luc Harousseau-, la HAS s'est bien positionnée dans le paysage national et dans le paysage international - j'y reviendrai. Il est désormais clair qu'elle rend ses avis en toute indépendance et que ceux-ci sont reconnus.
Toutefois, malgré ces qualités, nous devons évoluer parce que le contexte change beaucoup. Nous devons ainsi faire face à une transition épidémiologique avec des patients de plus en plus âgés, atteints de pathologies complexes, multiples et qui rendent les prises en charge extrêmement difficiles, notamment pour les acteurs du premier recours. Notre démographie médicale est sous tension et inégalement répartie sur le territoire, ce qui soulève l'enjeu de la coordination des soins autour de la médecine de premier recours. Nous devons aussi mener une réflexion territoriale sur des filières de prise en charge de qualité.
Ce besoin de coordination est criant quand on se compare aux autres pays européens. Nous aurons besoin d'outils, notamment informatiques, pour les cabinets médicaux et les hôpitaux. En effet, sans un système d'information performant et partagé, cette coordination sera très compliquée à mettre en oeuvre.
En outre, il faut souligner l'arrivée d'innovations multiples dans le domaine thérapeutique et dans le domaine organisationnel. Ces innovations s'accélèrent et certaines d'entre elles sont clairement disruptives pour notre système ; je pense notamment à l'exploitation des grandes bases de données ou à la « e-santé » qui obligeront la HAS à faire appel à des compétences particulières, à une très forte agilité ainsi qu'à une capacité de réactualisation régulière de ses recommandations, de ses évaluations et de ses avis, car le contexte et les prises en charge évoluent de plus en plus rapidement.
Je veux par ailleurs évoquer l'évolution sociétale. Les citoyens expriment une très forte attente qui me paraît tout à fait légitime, de transparence et de démocratie sanitaire. Les usagers ont du mal à se frayer un chemin dans notre système de santé et c'est probablement là où les inégalités sont les plus criantes. Ils ont également du mal à se sentir acteurs de leur prise en charge et sont en attente d'information. La HAS doit leur apporter un éclairage dans ce champ-là.
Enfin, la HAS peut contribuer à la soutenabilité de la dépense publique dans le champ sanitaire, au travers de son expertise sur l'efficience des produits de santé et, plus largement, sur la pertinence des soins.
J'en arrive à mes propositions pour répondre à ces sujets. Commençons par l'innovation. La HAS doit évaluer les innovations - il s'agit d'un sujet majeur pour garantir un accès rapide et équitable aux nouvelles thérapeutiques - mais nous devons également assurer la sécurité des patients face à ces innovations en déterminant en permanence le juste équilibre entre ces deux impératifs.
J'insistais l'année dernière devant vous sur la nécessité d'une réforme des outils d'évaluation et des procédures d'évaluation des produits de santé, notamment dans le champ des médicaments. Cette réforme était prônée par le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales, l'IGAS, et par celui de Mme Dominique Polton. La HAS peut déjà, à droit constant, faire évoluer ses pratiques ; c'est ce que nous faisons actuellement. Nous sommes en train de travailler à la simplification et à la standardisation de l'évaluation des produits de santé, très attendues par les industriels pour que nos avis soient lisibles et que les laboratoires puissent les anticiper.
Nous travaillons aussi à l'homogénéisation des critères d'évaluation du service médical rendu, notamment sur le critère de l'intérêt de santé publique, compliqué à évaluer. Nous mettons en place une argumentation systématique et standardisée de l'amélioration du service médical rendu pour faire évoluer la doctrine de la commission de la transparence et pour objectiver cette amélioration du service médical rendu.
Il est malheureusement difficile d'aller plus loin sans une évolution du droit mais nous prenons tout de même des mesures pour accélérer l'accès à l'innovation au travers notamment de dialogues précoces avec les industriels de façon à les orienter vers ce qui est attendu d'eux. Ces rencontres précoces ont lieu à l'échelon soit national, soit international, avec l'European Medecines Agency (EMA) ou d'autres agences européennes avec une action conjointe coordonnée et financée par la Commission européenne.
À cet égard, la HAS souhaite être un moteur du travail en commun des agences européennes d'évaluation des technologies de santé. Nous participons un réseau européen -European Network for Health Technology Assessment, ou EUnetHTA- et à des actions conjointes pour évaluer collectivement certains médicaments ou dispositifs. La HAS a plus que jamais un rôle à jouer, surtout à l'heure du Brexit puisque le National Institute of Clinical Excellence (NICE) est susceptible de quitter ce réseau. Des débats sont d'ailleurs en cours sur l'avenir des agences HTA au sein de la Commission européenne et nous devons répondre à une consultation publique avant la fin du mois de janvier.
Nous participons aussi, à notre façon, au débat sur le prix des médicaments ; nous avons évoqué la possibilité de travailler sur des prix par indication, puisque la commission de la transparence rend déjà des avis par indication. La HAS est favorable à des mécanismes de remboursement temporaire, conditionnés à des recueils en vie réelle mais cela supposerait des modifications législatives.
Enfin, j'avais prôné devant vous la nécessité de rapprocher différentes commissions pour rendre des avis intégrés, notamment de rapprocher l'évaluation économique et l'évaluation purement médicale des produits de santé. Je pense qu'il sera possible de le faire à l'avenir ; néanmoins, je voudrais que la HAS s'oriente vers des avis d'efficience, non seulement sur les produits, mais aussi sur les stratégies. Vous nous avez donné un outil pour ce faire, l'article 143 de la loi de modernisation du système de santé - une avancée majeure - qui nous permettra de rendre des avis intégrés sur les stratégies, en donnant la liste préférentielle les médicaments les plus efficients par pathologie.
Les recommandations de bonnes pratiques ont souvent été considérées comme trop denses et trop peu actualisées. Nous avons adopté en 2016 une nouvelle procédure qui nous permet d'aller vers une contractualisation, vers un partenariat avec les sociétés savantes, de manière à co-construire des recommandations tout en maintenant notre indépendance, selon une méthodologie de la HAS. Cela nous permettra d'être beaucoup plus réactifs face aux avancées thérapeutiques. Autre intérêt de cette co-construction des recommandations : les professionnels s'en empareront davantage car nous éprouvons des difficultés à mesurer l'impact de nos recommandations sur la pratique professionnelle quotidienne.
Ainsi, tant pour l'efficience - notre capacité à faire des évaluations médico-économiques - que pour les recommandations purement médicales, nous avons clairement besoin de contractualiser avec des équipes académiques. C'est ainsi que procèdent le NICE et l'agence américaine. Tant que la HAS traitera tout en interne, elle aura des difficultés à être à la hauteur des attentes des professionnels et des citoyens.
Nous devons redoubler d'efforts sur les documents que nous mettons à la disposition de la médecine de premier recours ; nous devons produire des documents simples, facilement adaptables, pour les médecins généralistes, au logiciel d'aide à la prescription, voire au logiciel d'aide à la décision, notamment face à des prises en charge de plus en plus complexes.
J'en viens à la certification des établissements et aux indicateurs de qualité des soins. Plusieurs des évolutions sont en cours et semblent devoir se poursuivre. Il faut que nous poursuivions le processus de médicalisation de la certification et des indicateurs. Nous devons davantage prendre en compte les résultats des soins prodigués et le vécu du patient et nous éloigner autant que possible des indicateurs de processus, qui sont actuellement majoritaires. Nous devons prendre en compte les groupements hospitaliers de territoires, les GHT, qui sont une opportunité pour identifier des filières de prise en charge, et nous nous organisons pour adapter la certification aux GHT.
Par ailleurs, j'observe l'accueil favorable réservé au dispositif de financement des établissements en fonction de leurs résultats -le dispositif IFAQ qui consiste en des incitations financières à l'amélioration de la qualité- qui permet de financer les établissements les plus vertueux. Ce dispositif est coordonné par la direction générale de l'offre de soins (DGOS), nous devons identifier les indicateurs les plus pertinents.
Nous devons également simplifier les processus d'évaluation des établissements qui se plaignent d'un « millefeuille administratif » entre les autorisations qui relèvent des autorités régionales de santé, les ARS, et la certification. Nous travaillons avec les ARS et la DGOS à cette simplification.
Nous travaillerons aussi à l'amélioration du site Internet Scope Santé, dont je vous parlais, pour le rendre plus lisible et utile au grand public, car il reste majoritairement utilisé par les professionnels de santé.
Je termine par la sécurité des patients, un enjeu majeur. On considère aujourd'hui qu'environ 300 000 évènements indésirables sont associés aux soins, dont 40 % seraient évitables si l'on arrivait à mieux promouvoir le travail en équipe. En effet, beaucoup de ces évènements indésirables graves sont liés à un manque de coordination. Ce travail se poursuivra peut-être par le biais d'accréditations d'équipes médicales - nous accréditons déjà les professionnels à risque. Il s'agit pour l'instant d'une démarche volontaire.
En conclusion, je formule le voeu que notre programme de travail pour les années à venir, que je tâcherai de mettre en place avec les salariés et le collège, soit plus lisible. Aujourd'hui, le programme de travail de la HAS est très segmenté et il porte sur des sujets multiples. Je souhaiterais que l'on puisse le co-construire avec les différentes administrations centrales qui nous saisissent et avec la CNAMTS. Il s'agit ainsi de donner une cohérence à ce programme et à donner à la Haute Autorité de santé une capacité d'autosaisine, presque inexistante aujourd'hui, faute de moyens, ainsi qu'une capacité à prioriser ses actions en fonction des enjeux de santé publique pour la population. En d'autres termes, je souhaiterais que notre programme de travail soit plus stratégique et ne se résume pas à une liste de saisines.
Je souhaite en outre que la HAS se concentre sur ses missions à forte valeur ajoutée, c'est-à-dire sur les aspects médicaux et scientifiques ; nous devons à cet égard veiller collectivement à une adéquation des moyens aux missions, lesquelles ne cessent d'augmenter. Je vous ai parlé l'année dernière du budget socle, dont nous ne disposons pas aujourd'hui et qu'il sera nécessaire un jour de déterminer pour que la HAS puisse mener à bien ses missions.
Nous devons accompagner le virage ambulatoire et nous ouvrir à ce secteur. Aujourd'hui, la HAS se positionne trop sur les soins hospitaliers ; il faut accompagner les professionnels du premier recours, car cela affectera l'organisation et la coordination des soins.
Par ailleurs, la HAS doit progressivement intégrer la prévention dans ses recommandations, notamment pour accompagner correctement la médecine de premier recours. Nous devons cesser de parler de « parcours de soins » et nous orienter vers un parcours de santé tout au long de la vie, coordonné par la médecine de premier recours.
En outre, pour ce qui concerne l'innovation, la HAS doit jouer pleinement son rôle et être consciente de sa responsabilité pour, d'une part, rendre rapidement et équitablement accessibles les innovations et, d'autre part, assurer la sécurité des médicaments et des dispositifs médicaux - cela correspond à une forte attente de la population française.
Je souhaite placer les patients et les usagers au coeur du système, car ils sont les bénéficiaires ultimes de notre action et nous ne pouvons pas concevoir ni évaluer le système sans envisager les patients et les usagers comme des partenaires.