Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Réunion du 11 janvier 2017 à 14h30
Abrogation de la « loi travail » — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Jean-Baptiste LemoyneJean-Baptiste Lemoyne :

« Abrogation » n’est d’ailleurs pas un gros mot. Nous, à droite et au centre, si les Français nous font confiance, nous abrogerons les dispositifs mal nés que vous léguez, comme celui du tiers payant généralisé.

S’agissant de la loi Travail, on se souvient combien le débat fut pour le Sénat un rendez-vous manqué, après avoir été un rendez-vous tronqué à l’Assemblée nationale, où le texte ne fut adopté que par le « recours brutal », pour citer Dominique Watrin, au 49.3.

Aussi, peut-être François Hollande parlait-il, hier, de lui-même – il aime beaucoup le faire ! – lorsqu’il évoquait, lors de ses vœux au monde économique, le risque de blocage qui produit « face à la brutalité […] une autre brutalité ».

Au total, la méthode employée à l’occasion de la loi Travail constitue « une rupture avec la culture du dialogue social qui s’était ancrée dans le paysage politique ces dernières années à la suite de la loi Larcher ». Cet hommage au précédent quinquennat figure en ces termes dans le rapport de Dominique Watrin, et je veux l’en remercier.

Si le travail accompli dans cet hémicycle, de nombreuses heures durant, fut riche de l’unique examen complet du projet de loi, peu des apports du Sénat – 358 amendements issus de toutes les travées – furent conservés dans la version définitive de la loi.

Exit une simplification ambitieuse !

Exit les accords d’entreprise pour définir un temps de travail adapté à la diversité des situations !

Exit le doublement des seuils sociaux !

Exit la possibilité de recentrer le compte pénibilité sur les quatre premiers critères !

Exit la baisse du forfait social pour renforcer l’épargne salariale !

Exit le développement de l’apprentissage !

Exit donc, hélas, le reflux massif du chômage !

Alors, certes, il y a la consécration du mouvement de décentralisation du dialogue social que François Fillon et Xavier Bertrand avaient largement engagé comme ministres du travail.

Parce que nous croyons profondément au dialogue social et au fait qu’il permet d’accroître la performance des salariés comme la performance sociale des entreprises, nous pensons qu’il doit être rénové.

Le taux de participation catastrophique aux élections professionnelles dans les très petites entreprises – 5 % ! – est un indicateur de plus, s’il le fallait, de l’impératif de rénovation du dialogue social.

Ce dialogue doit être rénové au plan local, dans l’entreprise, en parachevant ce mouvement qui redonne à la base, aux salariés dans l’entreprise, confrontés au réel, le pouvoir de dire oui ou non.

Je signale, s’agissant des accords d’entreprise, que même un syndicat contestataire comme la CGT signe 85 % des accords depuis près de vingt-cinq ans.

Quant au pouvoir de dire oui ou non par consultation, par référendum, c’est non pas la négation du dialogue social, mais bien la prise en compte de l’aspiration croissante des citoyens, notamment des salariés, à donner directement leur avis.

Bref, il s’agit de faire en sorte que l’entreprise soit vraiment un bien commun à tous, salariés et entrepreneurs, comme le revendique régulièrement François Asselin.

Ce n’est pas une lubie – Jean-Marc Gabouty nous en a d’ailleurs parfaitement parlé. J’en veux pour preuve la transmission de l’entreprise La Générale de Bureautique, à Nantes, par son dirigeant Éric Bélile à ses quarante-cinq salariés.

Ce dialogue social doit aussi être rénové au plan national, interprofessionnel, pour être créateur de solutions face aux problématiques économiques et sociales que nous rencontrons. Les partenaires sociaux savent parfaitement en leur for intérieur que ne pas conclure une négociation sur l’assurance chômage revient à remettre en cause leur capacité à incarner une forme d’intérêt commun et supérieur.

Face à cet impératif de rénovation, certains menacent déjà d’un « troisième tour social ». Ce serait nier l’expression démocratique des Françaises et des Français !

Qu’il y ait un affrontement entre une majorité de syndicats et le Gouvernement lorsque celui-ci propose à neuf mois de la fin de son mandat une réforme qui n’était pas inscrite au programme présidentiel, au pacte fondateur, on peut le comprendre. Mais pas lorsqu’il faut prendre des mesures d’urgence sociale au lendemain d’un scrutin présidentiel qui mobilise huit électeurs sur dix !

Dans sa sagesse, le législateur a d’ailleurs prévu un tel cas de figure. L’article L. 1 du code du travail, issu de la loi Larcher, vise ainsi une procédure d’urgence. Dans ce cas-là, « lorsque le Gouvernement décide de mettre en œuvre un projet de réforme en l’absence de procédure de concertation, il fait connaître cette décision aux organisations […] en la motivant dans un document qu’il transmet à ces organisations avant de prendre toute mesure nécessitée par l’urgence. »

C’est pourquoi le chef de l’État, je le dis comme je le pense, a manqué d’un peu de hauteur de vue en évoquant hier d’imaginaires « voix [qui] puissent réclamer de mettre un terme au dialogue social ». Il y a seulement un état d’urgence économique et social auquel il faut répondre ! Et il y a bien urgence, car les défis à relever sont nombreux.

Nous pourrons ainsi en finir avec cette fatalité très française d’un chômage structurellement plus élevé que chez nos voisins – 500 000 chômeurs supplémentaires en catégorie A depuis 2012 ! –, et aborder avec les bonnes lunettes et les bons outils l’économie transformée par le numérique. De ce point de vue, le compte personnel d’activité est un concept intéressant, mais quelque peu vicié par ce fameux compte pénibilité rejeté pour sa complexité. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas traiter ce sujet. Mais il faut le faire en partant de la réalité des entreprises, et non en imposant du haut une formule condamnée à l’échec.

Il faudra également travailler sur le chantier urgent du statut de l’indépendant et de sa protection sociale.

Au total, la loi Travail ne mérite ni excès d’honneur ni excès d’indignité. La révolution copernicienne de l’article 8, ex-article 2, ne fait pas oublier les verrous qui ont été posés sur de nombreux dispositifs – barème prud’homal indicatif, référendum… –, en raison desquels de nombreuses mesures ont l’apparence de la réforme, mais n’en auront pas l’efficacité.

Au moment où nous sommes tous tendus vers les Français, à leur écoute et à leur rencontre pour préparer la France de demain et construire un nouveau contrat social qui table sur l’alliance du capital et du travail et ne les oppose pas, le groupe Les Républicains laissera les différentes composantes de la gauche face à leurs contradictions et ne prendra pas part à ce vote.

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