Intervention de François Grosdidier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 18 janvier 2017 à 9h05
Projet de loi relatif à la sécurité publique — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de François GrosdidierFrançois Grosdidier, rapporteur :

Ce texte comporte des mesures emblématiques dont la principale est la création, à l'article 1er, d'un cadre d'usage des armes commun aux policiers, aux gendarmes, aux douaniers et aux militaires déployés sur le territoire national exerçant des missions de sécurité intérieure, relevant par exemple de l'opération Sentinelle.

Le délai dont j'ai disposé pour élaborer mon rapport a été particulièrement bref... Nous avons auditionné le ministre de l'intérieur, les directeurs généraux de la police nationale et de la gendarmerie nationale, les syndicats de policiers, de magistrats, le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation et des personnalités qualifiées... Chaque audition soulevait des questions que je n'ai pas toujours eu le temps d'approfondir. C'est d'autant plus regrettable que le problème ne date pas d'hier. Les agressions contre les forces de l'ordre se multiplient, on l'a encore vu récemment à Juvisy-sur-Orge. Il y a eu l'assassinat d'un couple d'agents de la police nationale à leur domicile en juin 2016 à Magnanville, l'attaque de Viry-Châtillon le 8 octobre 2016. Cela crée un malaise au sein de la police nationale, que nous a bien résumé le directeur général de la police nationale : l'inhibition s'accroît, les policiers hésitent à se servir de leurs armes, y compris pour protéger leur vie. Le Gouvernement cherche à apporter une réponse à cet état de fait, avec ce texte qui reprend plusieurs engagements solennels pris par M. Bernard Cazeneuve, alors ministre de l'intérieur.

Les régimes d'usage des armes sont très hétérogènes. Les agents de la police nationale sont soumis aux dispositions de droit commun fixées par le code pénal concernant la légitime défense. Ils bénéficient aussi d'une irresponsabilité pénale s'ils agissent en vertu de l'état de nécessité ou sur l'ordre ou avec l'autorisation de la loi. Dans tous les cas, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) et de la Cour de cassation a fixé les principes de nécessité absolue et de stricte proportionnalité.

Le régime d'usage des armes dont bénéficient les militaires de la gendarmerie nationale est plus large. Il est défini par le code de la défense qui reprend les dispositions d'un décret de 1903, elles-mêmes héritées du XIXè siècle... Ces dispositions peuvent apparaître archaïques, puisque les gendarmes peuvent employer la force armée lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux, ce qui est large : il est heureux qu'ils n'utilisent pas leurs armes pour répliquer à un outrage !

Les douaniers ont un régime similaire. Le code des douanes les autorise même à utiliser leurs armes pour abattre les animaux utilisés par les contrebandiers. Toutefois ces derniers n'empruntent plus guère les chemins des braconniers avec des ânes... Enfin les agents de surveillance de l'administration pénitentiaire sont soumis à un cadre juridique spécifique, précis, mais qui n'est plus adapté aux nouvelles missions qu'ils se sont vu confier pour décharger la police et la gendarmerie, comme les extractions judiciaires.

Ce débat est ancien. De nombreux textes ont été déposés sur cette question. La proposition de loi de MM. Ciotti, Larrivé et Goujon, députés, en septembre 2012, transposait aux policiers les conditions d'usage de la force armée applicables aux gendarmes. Au Sénat, à la même époque, la proposition de loi de MM. Nègre et Charon allait dans le même sens. En novembre 2015, M. Masson a déposé une proposition de loi pour autoriser la police nationale à utiliser les armes de service dans les mêmes conditions que la gendarmerie. Après la réunion des assemblées en Congrès le 16 novembre 2015, M. Ciotti a déposé un texte visant à élargir les capacités d'intervention des forces de l'ordre. En novembre 2016, MM. Ciotti, Larrivé et Wauquiez ont déposé une proposition de loi créant une présomption de légitime défense en cas d'usage d'une arme par un membre des forces de l'ordre. Le Gouvernement n'y est pas favorable et cela ne me paraît pas opportun. Dès lors qu'il y a une atteinte à la vie, il y a enquête. Une présomption de légitime défense constituerait une protection illusoire, source d'insécurité juridique. Elle donnerait un sentiment d'impunité aux policiers. Attention au retour de balancier : il ne faudrait pas passer d'une inhibition à la désinhibition, comme aux Philippines ou aux États-Unis...

Il y a eu des avancées. La loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme a autorisé les policiers, les gendarmes, les douaniers et les militaires déployés sur le territoire national à faire usage de leur arme en cas d'« absolue nécessité », s'ils sont confrontés à un « périple meurtrier », afin de prévenir tout risque de réitération lors d'une tuerie de masse. Auparavant, les policiers ne pouvaient intercepter des terroristes armés d'une kalachnikov prenant la fuite dans une voiture dès lors que les terroristes ne les menaçaient pas directement. Les gendarmes pouvaient le faire, après sommation. Soyons clairs : dans un périple meurtrier, les terroristes ne se rendront pas, une mécanique est enclenchée, qui aboutit hélas à une confrontation jusqu'à ce qu'ils meurent les armes à la main...

En 2012, M. Mattias Guyomar, conseiller d'État, avait été chargé d'une mission de réflexion sur la protection fonctionnelle des policiers et des gendarmes. Il était alors partisan du statu quo en matière d'usage des armes. Il ne l'est plus aujourd'hui. Il rappelle toutefois que les conditions d'usage des armes des policiers et des gendarmes se sont rapprochées. La jurisprudence impose des règles communes, je l'ai dit, nécessité absolue et stricte proportionnalité. La Cour de Strasbourg considère d'ailleurs que la législation française concernant les gendarmes n'est conforme à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que parce qu'elle est soumise à ces principes jurisprudentiels.

Après l'attaque de Viry-Châtillon, un rapport a été demandé à Mme Hélène Cazaux-Charles, directrice de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ). Elle préconise un régime légal spécifique d'usage des armes commun à toutes les forces de sécurité intérieure, et un aménagement des modalités de traitement procédural par le biais d'une circulaire de politique pénale, pour privilégier l'audition libre sur le placement en garde à vue des policiers et gendarmes en cas d'enquête ; la protection fonctionnelle serait étendue à l'audition libre. Mais le parquet resterait décisionnaire en fonction des situations. Elle préconise également la mise en place de magistrats référents et une formation ad hoc des magistrats pénalistes. Les policiers se plaignent de la méconnaissance de leurs contraintes opérationnelles par les magistrats.

Les gendarmes sont formés à utiliser leurs armes. Les policiers nationaux sont formés à ne pas les utiliser. Les agents des forces de l'ordre manquent parfois d'entraînement. Quelle est la conduite à tenir si un homme, qui a déjà fait usage de son arme, s'enfuit ? Ou si deux terroristes armés d'une kalachnikov, à bord d'un véhicule, refusent de sortir et redémarrent ? Les gendarmes tireront, après sommation, si une fenêtre de tir se dégage et si le fuyard a déjà fait usage de son arme ; s'il n'en a pas fait usage, ils ne tireront pas. Selon le directeur général de la gendarmerie nationale, avec la rédaction proposée par le Gouvernement, les gendarmes, demain, s'abstiendront de tirer. Je proposerai des amendements. Dans tous les cas, le texte devra faire l'objet d'un effort de pédagogie, parmi les membres des forces de l'ordre et au sein de la magistrature.

La jurisprudence impose déjà des principes communs, mais le besoin se fait sentir d'une doctrine partagée entre la chancellerie et le ministère de l'intérieur et d'un cadre commun aux policiers et aux gendarmes, qui interviennent de plus en plus dans les mêmes conditions et sont confrontés aux mêmes risques. Rien ne justifie deux régimes différents. Rien ne justifie non plus qu'une partie des agents des forces de l'ordre, dont la mission est de protéger les citoyens, soient soumis aux règles de droit commun applicables aux citoyens.

Ce projet de loi se compose de onze articles. L'article 1er est relatif aux règles d'usage des armes par les forces de l'ordre. Le chapitre II est consacré à la protection de l'identité des agents dans les procédures judiciaires et douanières, et des signataires de décisions administratives fondées sur des motifs en lien avec le terrorisme. Avec l'article 2, les agents de la police et de la gendarmerie nationales pourront être autorisés par un responsable hiérarchique à s'identifier, en lieu et place de leur nom et prénom, par un numéro d'immatriculation administrative, leur qualité et leur service ou unité d'affectation, dans tous les actes de procédure portant sur un crime ou un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement, lorsque la révélation de leur identité est susceptible de mettre en danger leur vie ou celle de leurs proches. Le procureur de la République territorialement compétent serait rendu destinataire de la copie des autorisations. Les bénéficiaires seraient également autorisés à recourir à l'anonymisation pour déposer ou comparaître comme témoin devant les juridictions d'instruction ou de jugement, ou pour se constituer partie civile. Le bénéfice de ces dispositions serait étendu aux agents des douanes. Seuls le juge d'instruction, le président de la juridiction de jugement ou le procureur de la République, saisis d'une demande écrite et motivée de levée de l'anonymat par une partie à la procédure, pourraient révéler l'identité du bénéficiaire d'une telle autorisation. Ce dispositif ne serait pas applicable dans le cas où le bénéficiaire de l'autorisation ferait l'objet d'une audition libre, d'une garde à vue ou serait mis en cause dans une procédure pénale. Le fait de révéler les nom et prénom d'une personne ayant bénéficié de ces dispositions serait passible de sanctions pénales. L'article 3 autorise à préserver l'anonymat des signataires de décisions administratives fondées sur des motifs en lien avec le terrorisme (interdiction de sortie du territoire, expulsion du territoire français, gel d'avoirs, etc.).

Le chapitre III, consacré à des dispositions diverses, comporte sept articles. L'article 4 complète les règles relatives aux enquêtes administratives pour le recrutement, mais aussi pour le maintien en activité d'un salarié dont le comportement pourrait susciter des doutes quant à la compatibilité avec l'exercice de ses fonctions, dans un emploi en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens, au sein d'une entreprise de transport public de personnes ou d'une entreprise de transport de marchandises dangereuses. Il fallait apporter des précisions sur le maintien ou non en activité des personnes qui ne présentent pas les garanties requises.

L'article 5 aménage le régime juridique de contrôle administratif des personnes revenant de théâtres étrangers d'opérations de groupements terroristes.

L'article 6 autorise, de manière limitée et sous certaines conditions, les agents de sécurité privée chargés de la protection de l'intégrité physique des personnes à être armés. Il y a un vide juridique sur l'armement de la sécurité privée. Le bricolage auquel procède ce texte vaut mieux que l'existant... On compte aujourd'hui trois régimes distincts. Les convoyeurs de fonds sont obligatoirement armés ; ils sont formés et soumis à des contrôles sous l'égide du Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps). Les gardes du corps, en principe, ne sont pas armés. Dans la réalité, ils bénéficient d'un port d'arme individuel pour un usage professionnel qui n'est pas prévu par la loi. Pour les vigiles, paradoxalement, la réglementation autorise seulement les entreprises sensibles à acheter des armes. Je n'ai pas déposé d'amendement car une loi de 1983 autorise les vigiles à être armés, mais elle renvoie à un décret... que nous attendons toujours ! Enfin, si une personne qui pourrait légitimement obtenir un permis de port d'armes parce que sa sécurité est menacée prend un garde du corps, celui-ci pourra bénéficier désormais d'un permis de port d'arme. Le texte du projet de loi renvoie à un décret. Espérons qu'il ne faudra pas attendre à nouveau 35 ans ! L'absence de précision juridique en la matière est un problème criant ; d'autant que les pouvoirs publics ont eux-mêmes de plus en plus souvent recours à des sociétés de sécurité privée, y compris pour la garde des ministères non régaliens, afin d'alléger la charge de nos forces de l'ordre.

Traduction d'un engagement pris par le ministre de l'intérieur, l'article 7 aligne les peines prévues en cas d'outrage commis contre des personnes dépositaires de l'autorité publique, comme les policiers et les gendarmes, sur celles prévues pour outrage à magistrat. Je proposerai d'aggraver les peines en cas de rébellion, pour maintenir une hiérarchie des peines.

L'article 8 dote les personnels de sécurité pénitentiaire des prérogatives légales nécessaires à l'accomplissement de leurs missions de sécurité périmétrique, afin de permettre leur primo-intervention sur l'ensemble de l'emprise foncière affectée au service public pénitentiaire lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que des personnes, autres que les détenus, se préparent à commettre une infraction portant atteinte à la sécurité de l'établissement. Je proposerai des amendements pour leur donner les moyens de lutter contre les jets d'objets illicites ou l'émergence de « parloirs sauvages » par-dessus les murs de l'enceinte, y compris dans le cas des établissements situés en zone urbaine.

Dans certains départements et avec l'accord du conseil départemental, le placement en assistance éducative auprès d'un service de l'aide sociale à l'enfance a pu, dans certaines hypothèses, être doublé d'une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert exercée par un service du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse. L'article 9 autorise, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, cette pratique, qui devra faire l'objet d'un rapport d'évaluation, transmis au Parlement.

L'article 10, relatif au volontariat militaire d'insertion, a été délégué au fond à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

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