Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici réunis pour l’examen du projet de loi relatif à la sécurité publique, dont chacun, dans cet hémicycle, mesure l’importance.
En premier lieu, je souhaite revenir sur le contexte et les objectifs qui ont présidé à l’élaboration de ce texte, ainsi que sur les grandes lignes qui en assurent l’équilibre.
À cet égard, je veux remercier d’emblée le rapporteur, François Grosdidier, ainsi que les membres de la commission des lois, tout particulièrement son président, Philippe Bas, mais aussi Jacques Bigot et René Vandierendonck, pour leur engagement et la très grande qualité du travail préalable que nous avons pu faire ensemble. Cela nous a permis de consolider le projet de loi, dans un esprit constructif et profondément républicain.
Important, ce texte l’est avant tout pour les policiers et les gendarmes, qui sont chargés de la protection quotidienne de nos concitoyens, sur la voie publique, dans les commissariats de police et dans les brigades de gendarmerie. Ils accomplissent un travail absolument indispensable sur l’ensemble du territoire national, dans des conditions souvent difficiles, parfois même éprouvantes.
Depuis maintenant plus de deux années, les policiers et les gendarmes de France sont en effet présents sur tous les fronts à la fois, notamment celui de l’antiterrorisme, tout en continuant de lutter avec la même détermination contre la délinquance du quotidien, la criminalité organisée et les différents types de trafics qui empoisonnent la vie de certains quartiers.
Chaque jour, ils sont en toute première ligne pour garantir la paix publique, entretenir le lien de proximité avec les Français, les accueillir dans les commissariats et dans les brigades, écouter leurs angoisses et leurs craintes, réaliser des interventions de toute nature au cours de la même journée. Face à des phénomènes d’insécurité parfois enracinés de longue date dans certains territoires, ils font preuve d’un professionnalisme de chaque instant en dépit des accès de lassitude qu’il est bien légitime d’éprouver lorsque l’on est confronté au caractère endémique de certaines formes de délinquance.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, la sécurité du quotidien est la condition même de l’exercice de nos libertés fondamentales partout en France. Elle constitue également un enjeu décisif de justice, et c’est largement sur les épaules des policiers et des gendarmes de la sécurité publique, au sens large de l’expression, que repose cette exigence.
Ainsi, ces femmes et ces hommes sont directement au contact des drames et des injustices qui traversent notre société, au contact des pires noirceurs que celle-ci est capable d’engendrer. Par là même, ils se trouvent de plus en plus souvent exposés, sont victimes d’agressions de toute sorte, parfois d’une extrême gravité, au seul motif qu’ils portent l’uniforme et incarnent l’autorité publique, ce qui suffit désormais dans quelques endroits à faire d’eux des cibles.
Bien sûr, chacun sait que le métier qu’ils exercent et la vocation qu’ils ont embrassée sont par définition dangereux. Quiconque s’engage dans les forces de sécurité s’expose au risque d’être blessé ou même tué au nom de la protection des Français. Toutefois, il nous faut bien admettre aujourd’hui qu’un nouveau palier a été franchi dans la violence à laquelle policiers et gendarmes sont confrontés.
Je pense bien entendu à l’attaque de Viry-Châtillon, le 8 octobre dernier, commise par des délinquants en bande organisée dans l’intention de tuer quatre policiers en mission. Sous la conduite de l’autorité judiciaire, les services de police judiciaire ont rapidement progressé. Au terme d’investigations minutieuses, leur travail a entraîné ces derniers jours la mise en examen et l’incarcération de plusieurs individus soupçonnés d’avoir participé à cette tentative d’assassinat. Je veux le dire ici très clairement : aucun fait de cette nature ne doit rester impuni !
Je pense également à l’assassinat du commissaire Jean-Baptiste Salvaing et de Jessica Schneider à leur domicile de Magnanville, le 13 juin 2016, par un terroriste qui se réclamait de Daech.
Je pense enfin au major de gendarmerie Christian Rusig, tué en mission en novembre dernier près de Tarascon-sur-Ariège, alors qu’il s’apprêtait à contrôler un véhicule suspect. Refusant d’obtempérer, le conducteur l’avait violemment percuté de façon délibérée dans l’intention évidente de le tuer.
L’année dernière, vingt-six policiers et gendarmes ont perdu la vie en service, tandis que plus de 16 000 d’entre eux ont été blessés. Je précise qu’un très grand nombre d’entre eux ont été victimes d’agressions qui les prenaient explicitement pour cible, certains assaillants n’hésitant pas à utiliser des armes à feu.
C’est bien parce que le Gouvernement doit tenir compte de ce contexte général et de la montée en puissance des enjeux liés à la sécurité que sa politique en la matière a consisté depuis 2012 à renforcer les moyens humains, matériels et juridiques qui sont accordés aux forces de l’ordre et qui leur permettent d’accomplir leurs missions avec efficacité. C’est ce à quoi se sont employés mes prédécesseurs, Manuel Valls, puis Bernard Cazeneuve. C’est également le but que je me suis donné à mon tour depuis le jour où j’ai été nommé à la tête du ministère de l’intérieur.
Je ne reviendrai pas en détail sur la hausse des budgets de fonctionnement de la police et de la gendarmerie nationales entre 2012 et 2017, car vous connaissez aussi bien que moi cette évolution budgétaire.
Le projet de loi relatif à la sécurité publique constitue l’ultime étape parlementaire de ce processus de renforcement de la sécurité des Français, en cohérence totale avec l’ensemble des décisions prises jusqu’à présent.
Bien sûr, nous faisons face à un contexte qu’il ne s’agit pas d’occulter. À l’automne dernier, de nombreux policiers – la plupart d’entre eux étaient gardiens de la paix – ont manifesté leur malaise face au quotidien que je décrivais il y a quelques instants et dans lequel ils affirment ne plus se reconnaître, alors même qu’ils risquent bien souvent leur vie pour accomplir les missions qui sont les leurs. Dans le cadre de la lutte antiterroriste, les policiers et les gendarmes ont été en outre amenés à consentir de nombreux sacrifices. Cela a sans nul doute contribué à amplifier le malaise. Enfin, la tentative d’assassinat de Viry-Châtillon a constitué en quelque sorte l’élément déclencheur du mouvement.
Dans ce contexte, le Gouvernement a souhaité apporter deux réponses principales.
Tout d’abord, des concertations inédites ont été organisées dans les commissariats sur l’initiative des préfets et sous l’égide des directeurs départementaux de la sécurité publique. Depuis maintenant plusieurs mois, une grande concertation a également été conduite dans le même esprit au sein de la gendarmerie pour recueillir les doléances et les propositions des personnels, afin d’améliorer leurs conditions de travail, notamment les conditions d’exercice de leurs missions de sécurité publique. Je recevrai d’ici à la fin de la semaine les conclusions de cette double concertation et serai évidemment à la disposition du Parlement, singulièrement de la Haute Assemblée, dans le courant du mois de février pour détailler les propositions que nous entendons formuler après avoir tiré les principaux enseignements issus de ces concertations.
Ensuite, nous avons mis en œuvre un grand plan de 250 millions d’euros pour la sécurité publique, annoncé dès le 26 octobre dernier. Ce plan a lui-même été décidé dans le cadre d’un dialogue constant avec les organisations syndicales et en tenant compte des premiers résultats provenant des concertations.
Je ne reviens pas dans le détail sur ce plan. Vous le savez, il repose sur deux volets : d’une part, un volet matériel et, d’autre part, un volet législatif, celui-là même qui est soumis à votre examen aujourd’hui. Ce dernier volet correspond en tout point aux engagements que le Gouvernement a pris à l’égard des policiers et gendarmes de France et, donc, à l’égard des Français.
Avec ce texte, nous entendons répondre à deux exigences.
Il s’agit, première exigence, de proposer un texte cohérent sur les enjeux qui s’attachent à la sécurité publique, c’est-à-dire un texte qui réponde à une situation précise et dont l’objectif consiste à ajouter les dernières mesures qui faisaient jusqu’alors défaut à notre dispositif global, tout en procédant à quelques ajustements nécessaires. Ce n’est donc pas, j’y insiste, un texte fourre-tout qui collecterait in extremis toute une série de mesures hétéroclites.
Il s’agit, seconde exigence, d’aboutir à un consensus, car, chacun en conviendra, la protection et la reconnaissance du travail des forces de l’ordre constituent des enjeux d’intérêt général. Je sais que c’est là une préoccupation qui vous tient également à cœur. Je souhaite que ce texte puisse marquer notre volonté commune de répondre à un enjeu d’importance vitale, quelle que soit la manière dont le débat se déroulera dans les prochains mois.
Ce projet de loi est équilibré : il tient compte à la fois des impératifs opérationnels auxquels sont confrontées les forces de l’ordre et des exigences en matière de respect des libertés publiques et de l’État de droit. C’est la raison pour laquelle il a reçu l’approbation du Conseil d’État comme celle des instances représentatives des personnels de la police et de la gendarmerie.
Trois mesures législatives résultent du plan pour la sécurité publique. Avant de les évoquer, je veux rappeler que les réflexions conduites dans le cadre de ce plan se poursuivent, notamment celle qui porte sur le traitement des procédures d’usage des armes ou encore celle qui a trait à l’échange d’informations entre magistrats, policiers et gendarmes dans le souci permanent de maintenir la solidité des liens qui les unissent, tout en préservant le rôle de chacun.
Une première mesure consiste à proposer un cadre commun d’usage des armes pour l’ensemble des forces de sécurité, afin d’unifier les règles applicables et de les adapter aux situations auxquelles les effectifs sont confrontés. Il s’appliquera aux policiers et aux gendarmes, ainsi qu’aux douaniers et aux militaires déployés dans le cadre de réquisitions – je pense bien sûr à l’opération Sentinelle. Je précise évidemment que le cadre général de la légitime défense est maintenu. Les membres des forces de l’ordre l’ont d’ailleurs tout à fait intériorisé. Je veux ici leur rendre hommage pour le courage et le sang-froid dont ils font preuve dans l’accomplissement de leurs missions.
Dès lors, notre objectif est de clarifier, de stabiliser et de moderniser les conditions d’usage des armes dans un contexte où, comme je l’ai dit, les effectifs font face à une violence de plus en plus importante. Nous le faisons dans le but de mieux protéger les forces de l’ordre, et ce dans un cadre juridique scrupuleusement conforme à l’État de droit. À cet égard, le projet de loi, directement inspiré des travaux de grande qualité menés par la commission présidée par Hélène Cazaux-Charles, présente toutes les garanties nécessaires en tenant compte des jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de cassation, notamment celles qui concernent le respect des conditions d’absolue nécessité et de proportionnalité.
Les dispositions figurant dans le présent projet de loi viennent ainsi compléter celles que nous avions déjà prises dans le cadre de la loi du 3 juin 2016, mesures autorisant les policiers, les gendarmes et les militaires déployés à faire usage de leur arme en cas d’« absolue nécessité », dès lors qu’ils sont confrontés à un « périple meurtrier », et ce afin de prévenir tout risque de réplique lors d’une tuerie de masse. Par cohérence, un transfert de ces dispositions dans le code de la sécurité intérieure est prévu dans le texte qui vous est présenté aujourd’hui.
Avec ce texte, dont la qualité a été soulignée par le Conseil d’État, nous avons souhaité parvenir à un point d’équilibre. Les débats en commission, nourris des auditions réalisées, ont suscité des interrogations sur certains points. Je souhaite que nous y répondions ensemble en gardant toujours à l’esprit la nécessité d’un équilibre.
Toujours au sujet de l’article 1er, je veux dès à présent dire quelques mots concernant les polices municipales, même si nous aurons bien sûr l’occasion d’y revenir au cours de la discussion.
Nombre d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, sont ou bien ont été maires. Je comprends donc votre intérêt particulier pour une question qui nous a d’ailleurs conduits à faire évoluer de manière significative les derniers textes examinés dans nos assemblées. Il y a quelques instants, j’évoquais les policiers et les gendarmes tués dans l’exercice de leurs missions. Je n’oublie pas non plus les policiers municipaux qui ont perdu la vie dans des circonstances dramatiques similaires. Nous avons tous à l’esprit le sort de Clarissa Jean-Philippe, membre de la police municipale de Montrouge, et celui d’Aurélie Fouquet, jeune policière municipale de Villiers-sur-Marne.
C’est parce que les policiers municipaux sont eux aussi confrontés au danger en raison de l’uniforme qu’ils portent que le Gouvernement a considérablement développé, au cours de ces cinq dernières années, les moyens matériels et juridiques dont ils disposent.