Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 24 janvier 2017 à 14h15
Sécurité publique — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Jean-Jacques Urvoas :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, ce qui donne de l’utilité, de la légitimité et du sens au contrat social, c’est avant tout la protection qu’il apporte à ceux qui s’y engagent. La sécurité publique n’est donc pas une question ordinaire ; c’est une question démocratique essentielle. Le projet de loi que le ministre de l’intérieur vient de vous présenter constitue par conséquent pour nous tous une opportunité de proposer de nouvelles réponses aux sujets d’actualité brûlants et d’anticiper ceux que nous connaîtrons demain.

Le ministère de la justice est chargé de deux questions importantes dans le cadre de ce texte.

La première concerne la prise en charge des mineurs dans le cadre de l’assistance éducative, mineurs dont la situation particulièrement complexe impose que les services de l’État viennent soutenir l’action des départements. Je pense, par exemple, aux enfants confrontés à la radicalisation violente, qu’ils reviennent d’une zone de conflit ou pas.

Dans ce contexte qui nous pousse à l’inquiétude, il me semble primordial de ne pas oublier que l’avenir de notre société réside dans ses enfants – je vous prie de bien vouloir m’excuser pour cette tautologie – et que les malheurs de ces derniers sont et seront nos malheurs.

Nous avons une responsabilité collective à leur égard. C’est pourquoi le dispositif de protection de l’enfance doit être le plus opérationnel possible et adapté aux problématiques nouvelles qui s’imposent à nous. À cette fin, nous nous sommes évidemment rapprochés des départements, car ce sont eux qui ont au premier chef la lourde tâche de veiller à la protection de l’enfance. Je tiens d’ailleurs à remercier ici l’Assemblée des départements de France pour sa disponibilité et sa compréhension. Lors de ces échanges, de vives inquiétudes ont été exprimées à l’égard de la prise en charge éducative et médicale de ces enfants.

Dès lors, il était légitime de s’interroger sur la place de l’État. Si la protection de l’enfance relève en effet des conseils départementaux, je garde en tête la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989. Son article 19 dispose en effet que l’État est responsable et doit garantir « des procédures efficaces pour l’établissement de programmes sociaux visant à fournir l’appui nécessaire à l’enfant et à ceux à qui il est confié ».

Aussi, il me semble logique que l’État assume sa responsabilité et prenne toute sa place dans la conception et la diffusion d’outils adaptés à ce nouveau défi dans le cadre d’une politique publique coordonnée au niveau national.

Loin de concurrencer la compétence des conseils départementaux, l’État doit avoir pour objectif de se doter des moyens de leur apporter un soutien, de les accompagner dans la prise en charge de ces situations éminemment complexes et de coordonner les approches.

Depuis de nombreux mois, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse – la PJJ – réfléchit au sein de mon ministère à la difficulté que pourrait représenter pour les services éducatifs la prise en charge, potentiellement en grand nombre, de ces enfants. Elle accumule des connaissances, forme ses personnels et développe une expérience auprès d’adolescents mis en examen pour des faits de nature terroriste.

Je veux saluer cette capacité d’anticipation, qui n’est pas si courante au sein de l’administration. J’y vois le signe du profond engagement de la PJJ sur les questions de l’enfance. En effet, l’objectif est bien de protéger ces enfants et de transmettre les savoir-faire acquis aux services des conseils départementaux chargés de la protection de l’enfance.

Voilà pourquoi j’ai proposé une expérimentation d’une durée de trois ans dans ce texte. Je suis conscient qu’une telle démarche n’est pas courante, mais la matière, complexe, et l’urgence, évidente, paraissent l’imposer.

Demain donc, le procureur de la République et le juge des enfants qui l’estimeraient nécessaire pourraient confier aux services de la PJJ une mesure éducative de milieu ouvert, y compris lorsque l’enfant est confié à l’Aide sociale à l’enfance dans le cadre d’un placement. Un service pluridisciplinaire interviendrait alors auprès de l’enfant et de sa famille, sous la forme d’entretiens, pour qu’ils puissent exprimer leurs difficultés et être aidés à trouver des solutions. Or un tel cumul de mesures n’est aujourd’hui pas autorisé par l’article 375-4 du code civil.

Notre intention est de faciliter le soutien de l’État aux départements face à la complexité de certaines situations, parfois anxiogènes, comme le retour de zones de conflit. Nous voulons développer une politique publique en direction des familles radicalisées violentes qui sont, ou qui ne sont pas d’ailleurs, de retour d’une zone de guerre.

Notre ambition est de mutualiser les compétences acquises dans le champ pénal et dans celui de l’investigation. En effet, les prises en charge dispensées par les conseils départementaux sont variées, mais leur expérience solide en matière d’enfance en est encore à ses prémices s’agissant de radicalisation violente. À ce jour, seuls vingt et un enfants de retour de la zone irako-syrienne sont suivis en assistance éducative sur l’ensemble du territoire national.

Il faut amplifier les premières initiatives qui ont été prises, afin de prendre en compte les traumatismes subis par ces jeunes, notamment le vécu de situations de guerre, qu’il s’agisse de bombardements, de privations, de blessures ou de la participation à des actes violents, ou le vécu de situations de repli. Il faut également tenir compte de l’incarcération des parents de retour en France et le placement des enfants, ce qui impliquera une séparation qui ne peut être que brutale.

Il faudra aussi prendre en considération le risque accru de prosélytisme à l’école, en activité de jour, en placement ou, au contraire, le risque de repli et de conformisme ne donnant aucune prise à l’action éducative.

Enfin, nous devrons tenir compte, dans la mesure du possible, de la nécessité de ne pas séparer les fratries. Il ne s’agit pas d’autoriser l’intervention de la PJJ dans toutes les procédures, mais bien de cibler celles qui font l’objet d’une politique particulière de l’État. C’est la raison pour laquelle je tiens à ce que le procureur de la République, qui met en place et anime ces politiques, demeure la voie d’entrée dans l’expérimentation par le biais de ses réquisitions.

L’État, quant à lui, doit structurer une offre d’accompagnement des collectivités locales en matière d’assistance éducative. Ainsi, au-delà de la généralisation de l’évaluation, les mesures éducatives en milieu ouvert devront être étendues pour permettre à l’État d’agir. Cela se fera par le biais d’une mesure judiciaire d’investigation éducative spécifique, dont l’objectif sera d’évaluer la problématique familiale, le danger encouru et, enfin, de proposer des mesures. À cette fin, l’expérimentation de double mesure s’inscrira dans un dispositif plus global qu’il faudra encore affiner, au fur et à mesure des échanges et des retours d’expérience de l’ensemble des partenaires concernés.

Dans le cadre de ce projet de loi, le ministère de la justice défend une seconde disposition relative à la sécurité pénitentiaire.

La mesure que nous vous proposons constitue une étape décisive dans l’amélioration de la sécurité pénitentiaire. La sécurité des établissements et de leurs personnels implique des actions à l’intérieur des enceintes et dans les domaines pénitentiaires, mais aussi lors des déplacements opérés dans le cadre des extractions médicales, administratives ou judiciaires.

Le 25 octobre dernier, j’annonçais la création d’équipes de sécurité pénitentiaire dans le cadre d’un plan ambitieux de lutte contre la radicalisation violente à l’intérieur des établissements pénitentiaires. La création de ces équipes ne modifiera pas l’unité du corps des personnels de surveillance, dans la mesure où la polyvalence qu’induit la variété des tâches qui incombent à cette unité constitue une véritable richesse.

Un décret publié le 17 janvier dernier crée la sous-direction de la sécurité pénitentiaire et, par là même, les équipes de sécurité pénitentiaire. Cette sous-direction de la sécurité comprendra notamment un bureau de gestion de la détention et des missions extérieures, qui aura la responsabilité de définir, de coordonner et d’évaluer les normes et les procédures relatives à l’activité de ces équipes de sécurité pénitentiaire.

La disposition qui figure dans ce projet de loi permettra de doter ces équipes de pouvoirs de contrôle. Cette transformation s’accompagnera de l’armement des agents réalisant des missions extérieures. Cet armement sera adapté aux conditions dans lesquelles se dérouleront les missions. En outre, un programme de formation spécifique des agents est en préparation.

Votre commission des lois a souhaité compléter ce dispositif en adaptant à ces missions le nouveau cadre d’usage des armes proposé par le Gouvernement pour les autres forces de sécurité intérieure. Je ne suis pas opposé à cette préoccupation légitime. Il nous faudra simplement être certains que tous les cas de figure sont bien pris en compte dans la rédaction du texte qui sera retenue.

En fonction des effectifs et de la charge des missions effectuées, les équipes de sécurité pénitentiaires participeront à la sécurité périmétrique des établissements dans les limites du domaine pénitentiaire. En exprimant ce souhait, j’ai là une divergence avec le rapporteur. En effet, je ne souhaite pas étendre leur champ d’intervention en dehors du domaine pénitentiaire, sur la voie publique ; nous aurons donc un débat sur ce point.

Au-delà de cette divergence, nous nous retrouvons pour offrir de nouvelles prérogatives à ces équipes. Je pense, par exemple, à une déclinaison adaptée du modèle des équipes de sécurité de la SNCF et de la RATP, défini dans la loi du 22 mars 2016.

Évidemment, la création des équipes de sécurité pénitentiaires entraînera une structuration plus opérationnelle des missions extérieures, notamment dans sa dimension de prise en charge des questions de sécurité. Elle constitue le préalable nécessaire à la montée en puissance de ce pan d’activité de l’administration pénitentiaire.

Par ailleurs, un plan pluriannuel de recrutements sera défini, afin d’assurer un déploiement progressif de ces équipes sur l’ensemble du territoire.

Cela témoigne de la détermination du Gouvernement à conduire ce changement utile pour l’administration pénitentiaire, donc pour les personnels, les personnes détenues, mais aussi pour notre pays.

Enfin, j’entends également soumettre à votre assemblée un amendement de précision concernant le renseignement pénitentiaire. En effet, le travail réglementaire accompli depuis la loi du 3 juin 2016 pour permettre au renseignement pénitentiaire d’accéder à des techniques de recueil de renseignements a révélé que nous devions apporter plus de précisions dans les processus prévus par la loi, et que nous pensions renvoyer au pouvoir réglementaire. Pour satisfaire cette nécessité, j’ai souhaité déposer un amendement relatif à l’article 727–1 du code de procédure pénale.

Le nouveau dispositif vise à assurer l’articulation et la répartition des techniques entre le code de procédure pénale et le code de la sécurité intérieure. Très concrètement, trois techniques sont maintenues dans le code de procédure pénale au titre de la prévention des évasions et du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements. Deux d’entre elles s’appliquent d’ailleurs à des dispositifs autorisés en détention : le dispositif de téléphonie publique SAGI et l’accès aux données stockées sur les ordinateurs autorisés en détention.

La troisième technique porte sur les systèmes d’information et les terminaux électroniques de communication détenus de façon illicite – je pense évidemment aux téléphones portables. Il nous faut éradiquer ce fléau, illustré par la découverte quotidienne de téléphones en détention. Il est prévu l’information du procureur de la République et un constant dialogue avec lui, afin d’envisager une judiciarisation.

Par ailleurs, l’administration pénitentiaire doit être en mesure de mettre en œuvre les techniques de renseignement prévues dans différents articles, que je ne citerai pas en détail compte tenu de leur complexité.

Seules sont concernées ici les personnes détenues, pour des finalités de prévention des évasions, de maintien du bon ordre et de la sécurité des établissements. J’insiste sur ce point, car j’ai trop souvent lu que les entourages ou les personnels seraient, eux aussi, concernés. Il s’agit en fait du régime relevant du livre VIII du code de la sécurité intérieure.

Pour permettre la mise en œuvre de ces techniques par l’administration pénitentiaire, je vous propose de créer un titre V bis de ce livre VIII, qui serait intitulé « Du renseignement de sécurité pénitentiaire ». Naturellement, le contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, au titre d’une nouvelle finalité « prévention des évasions et sécurité et bon ordre des établissements », est prévu.

Tout cela participera à la structuration et à l’avènement du renseignement pénitentiaire, dont, tout le monde en conviendra, nous avons tant besoin.

Tels sont les deux sujets sur lesquels le ministre de la justice souhaitait avancer des propositions, dans un texte extrêmement bien défendu par le ministre de l’intérieur.

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