Intervention de François Grosdidier

Réunion du 24 janvier 2017 à 14h15
Sécurité publique — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de François GrosdidierFrançois Grosdidier :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la commission des lois a été saisie du projet de loi relatif à la sécurité publique, déposé sur le bureau du Sénat le jour même de son adoption par le conseil des ministres, le 21 décembre 2016.

Ce texte est l’une des réponses apportées par le Gouvernement à la mobilisation des policiers ayant fait suite à l’agression de Viry-Châtillon le 8 octobre dernier. Les faits ont été rappelés : deux équipes de police avaient été sauvagement agressées par des individus armés de cocktails Molotov, au cours d’une attaque planifiée, ayant grièvement blessé deux policiers.

Cet acte, odieux et lâche, n’était, hélas, pas un fait isolé. Au cours des dernières années, les agressions contre les forces de l’ordre se sont multipliées, avec une violence accrue. La plus traumatisante, qui a été également évoquée, a été le meurtre d’un couple de policiers à leur domicile de Magnanville, le 13 juin 2016.

Parallèlement, jamais les forces de l’ordre n’ont été autant sollicitées et exposées à la menace terroriste.

Les policiers ont exprimé un malaise profond, le sentiment de ne pas être suffisamment soutenus tant sur le plan des conditions matérielles que sur celui des conditions juridiques de leur action.

Notre commission a délégué l’examen au fond de l’article 10, relatif à la création d’un dispositif de volontariat militaire d’insertion, à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Elle a chargé notre excellent collègue Philippe Paul d’établir le rapport.

Le chapitre Ier tend à créer un régime d’utilisation des armes commun aux forces de l’ordre relevant du ministère de l’intérieur. Il ne s’agit pas de satisfaire une revendication conjoncturelle des policiers, sous le coup de l’émotion suscitée par ces ignobles agressions ; il s’agit bien de déterminer un cadre stable, durable, cohérent, au sein duquel les agents des forces de l’ordre pourront agir, se défendre et défendre la vie des citoyens qu’ils ont le devoir de protéger.

Les gendarmes disposent d’un cadre large, déterminé par un décret ancien – il date de 1903 – qui reprend même des règles du XIXe siècle. Ce texte permet de faire feu, après deux sommations, y compris sur des personnes qui ne sont pas nécessairement dangereuses. Il est obsolète et, fort heureusement, n’est plus appliqué depuis longtemps. Ainsi, les gendarmes respectent, en toutes circonstances, les principes d’absolue nécessité et de stricte proportionnalité posés par la convention européenne des droits de l’homme et par la jurisprudence.

Les policiers, eux, sont soumis au seul droit commun de la légitime défense, comme tous les citoyens. Pourtant, ils n’ont pas que le droit de se protéger ; ils ont le devoir de protéger tous les citoyens. Le droit n’est pas adapté à leur mission, même s’ils peuvent se prévaloir, dans certaines situations, de l’état de nécessité et, pour le maintien de l’ordre, de l’autorisation de la loi.

Les gendarmes sont formés à utiliser leur arme avec le plus grand discernement. Les policiers sont davantage formés à ne pas les utiliser. Nous avons vu ce jeune adjoint de sécurité affronter à main nue une foule et essuyer des coups de barre de fer sans sortir son arme. D’autres policiers ont pris le risque de mourir carbonisés dans leur véhicule, plutôt que d’utiliser leur arme, tant ils craignaient de voir leur vie basculer en cas de mise en cause.

De nombreux policiers nous ont confié leur peur d’utiliser leur arme pour se défendre ou pour protéger les citoyens. Cette inhibition paralyse nos forces de l’ordre et les démoralise. Nous devons donc les désinhiber, en nous gardant bien de tout effet de balancier.

Nous avons la grande responsabilité d’écrire le texte le plus équilibré et le plus précis possible, anticipant autant que faire se peut sa lecture par les agents et la jurisprudence.

Messieurs les ministres, il faudra à partir de ce texte dégager une doctrine partagée entre le ministère de l’intérieur et la Chancellerie, l’expliquer aux gendarmes et aux policiers, et la décliner sur tout le territoire, en lien avec les parquets. La formation devra être théorique et pratique, répondant à l’avance aux cas concrets les plus probables, et elle devra se doubler d’un entraînement renforcé.

Ce nouveau régime d’utilisation des armes s’inspire de celui des gendarmes. Il le rénove à la lumière des principes conventionnels et jurisprudentiels précédemment cités : l’absolue nécessité et la stricte proportionnalité. Il s’appliquera aux policiers et gendarmes, y compris aux adjoints de sécurité, aux gendarmes adjoints volontaires et aux réservistes, dès lors qu’ils agiront dans l’exercice de leurs fonctions, revêtus des insignes apparents de leur qualité. Je le rappelle à la lumière des nouvelles règles qui autorisent désormais les agents des forces de l’ordre à porter leur arme en dehors du service.

En dehors des heures de service, un agent peut faire usage de son arme, par exemple en cas d’agression soudaine. Il se retrouve, de facto, basculé dans le cadre de ses fonctions et bénéficie alors du nouveau régime juridique. Ce point doit être clair.

L’article 1er tend à prévoir cinq cas d’usage des armes.

Dans le premier cas, les atteintes à la vie et menaces par des individus armés, il s’inspire des dispositions de droit commun relatives à la légitime défense, en en élargissant le cadre. Il s’applique donc, soit lorsque des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique sont portées contre un membre des forces de l’ordre ou contre autrui, soit lorsque des personnes armées menacent sa vie, son intégrité physique ou celles d’un tiers. Même si la jurisprudence reconnaît la légitime défense putative, notre rédaction doit mettre les policiers et gendarmes à l’abri de toute incertitude jurisprudentielle à cet égard.

Dans le deuxième cas, on autorise les membres des forces de l’ordre à faire usage de leur arme, après deux sommations, quand « ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ». Cela ne s’applique qu’à des sites ou des personnes hautement sensibles.

Les troisième et quatrième cas, également après sommation, permettent l’arrêt d’un fugitif ou d’un véhicule, mais il ne s’agit pas de n’importe quel fugitif… Il doit être tenu compte de sa dangerosité et du risque que sa fuite fait prendre pour la vie d’autrui. Toutefois, la formulation proposée par le Gouvernement nous pose problème. Il faudrait que l’agent ayant fait feu puisse apporter devant le juge la preuve que le fugitif allait perpétrer une atteinte à la vie ou à l’intégrité physique. Or cette preuve est impossible à apporter.

Devant un véhicule dont les occupants exhiberaient des Kalachnikov et ne s’arrêteraient pas, ou redémarreraient après deux sommations, aujourd’hui, les gendarmes tireraient, mais pas les policiers. Tel que le texte a été initialement rédigé, les gendarmes laisseraient désormais partir le véhicule et les terroristes potentiels, aux dires mêmes du DGGN, le directeur général de la gendarmerie nationale, confirmés par le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation ! Ce n’était pas les intentions du Gouvernement, et ce ne sont pas non plus celles de la commission de lois.

Nous proposons donc une nouvelle rédaction, inscrite dans le droit fil des propositions de Mme Cazaux-Charles et reprenant une rédaction s’inspirant des dispositions que nous avons adoptées pour le périple meurtrier. L’agent pourra utiliser son arme s’il a des raisons réelles et objectives d’estimer que la perpétration par le fugitif d’atteintes à sa vie, à son intégrité physique ou à celles d’autrui est probable.

Le cinquième cas, enfin, traite d’un usage visant à mettre fin à un périple meurtrier.

Quelles forces de l’ordre seraient concernées par ces dispositions ?

Le Gouvernement a judicieusement étendu le régime aux douaniers, régis par un article du code des douanes, et aux militaires déployés dans le cadre de missions de sécurité intérieure.

Nous avons également jugé nécessaire de l’étendre aux agents de surveillance de l’administration pénitentiaire, même s’ils disposent déjà d’un cadre juridique spécifique. Celui-ci doit être complété, tant pour y inscrire les principes de la CEDH que pour tenir compte des nouvelles missions de certains de ces agents : sécurité des établissements, extractions judiciaires ou transfèrements.

Enfin, nous avons souhaité inclure les policiers municipaux dans le dispositif. Leur vie est de plus en plus exposée, tandis que leur formation s’est considérablement accrue et que leur entraînement, lorsqu’ils sont armés, n’a rien à envier à la police nationale.

Les polices municipales forment la troisième force de l’ordre de la République. Nous avons donc décidé de les englober dans le régime posé par le premier alinéa de l’article 1er et nous aurons une discussion sur le cinquième alinéa de cet article – le premier alinéa est un minimum minimorum ! Cette proposition a fait l’objet d’un large consensus en commission des lois, dépassant le clivage entre droite et gauche.

Nous n’avons pas retenu pour ces agents les possibilités de tir après sommation. Cette proposition n’aurait pas recueilli le même consensus.

Il importe surtout que l’usage des armes par les policiers municipaux relève désormais du code de la sécurité intérieure et de sa jurisprudence.

Je serai plus concis sur les autres dispositions.

À l’article 2, qui permet aux policiers, gendarmes et douaniers de s’identifier par un numéro d’immatriculation administrative, nous proposons de supprimer la condition du quantum de peine. La condition du risque doit être déterminante et suffisante.

À l’article 4, relatif aux enquêtes administratives sur des employés en lien avec la sécurité dans les transports, nous voulons encadrer les délais pour ne pas pénaliser les entreprises du fait de la durée des mesures conservatoires.

L’article 6 tend à autoriser le port d’arme pour les agents de sécurité privée chargés de missions de protection de l’intégrité physique des personnes. Il comble, nous le reconnaissons, un vide juridique pour la protection des personnes, mais pas pour les lieux sensibles. Nous proposons de régler cette question.

Nous avons ajouté un article 6 bis pour permettre l’échange d’informations intéressant la lutte antiterroriste entre les autorités judiciaires et les services spécialisés de renseignement, ce qui est aujourd'hui légalement impossible.

Nous avons également ajouté un article 6 ter reprenant la proposition de notre collègue Michel Mercier sur la composition de la cour d’assises spéciale.

L’article 7 vise à aggraver les peines prévues en cas d’outrage commis contre des personnes dépositaires de l’autorité publique. Nous renforçons aussi la sanction de la rébellion et celle du refus d’obtempérer.

L’article 8 a pour objet de doter les équipes de sécurité pénitentiaire des prérogatives nécessaires aux missions de sécurité. Il nous paraît indispensable d’étendre le périmètre de leur action au-delà de la stricte emprise foncière des établissements, à proximité, notamment pour empêcher les « parloirs par-dessus le mur » ou le jet d’objets illicites.

Un large consensus s’est dégagé au sein de notre commission pour approuver ce texte, ainsi amendé, étant précisé que le Sénat n’a jamais manqué un rendez-vous avec le Gouvernement, dès lors qu’il s’est agi de garantir la sécurité des Français dans le respect des libertés fondamentales.

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