Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 2 février 2017 à 10h30
Violences sexuelles : aider les victimes à parler — Débat organisé à la demande du groupe écologiste

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Certes, depuis vingt-cinq ans, un travail considérable a été accompli par les associations féministes et de lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants. Depuis 2011, des plans gouvernementaux triennaux de lutte contre les violences faites aux femmes ont été lancés, ainsi que, en 2013, une mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains, la MIPROF.

Sur le terrain, pourtant, ces initiatives n’ont pas bouleversé la donne. La loi du silence, le déni, l’impunité des agresseurs, l’abandon des victimes perdurent.

Dans un livre paru en 2010, Mourir de dire – La Honte, Boris Cyrulnik explique pourquoi ces victimes restent dans le silence :

« Si vous voulez savoir pourquoi je n’ai rien dit, il vous suffira de chercher ce qui m’a forcé à me taire. […] Si je vous dis ce qui m’est arrivé, vous n’allez pas me croire, vous allez rire, vous allez prendre le parti de mon agresseur, vous allez me poser des questions obscènes ou, pire même, vous aurez pitié de moi. […] Il m’aura suffi de dire pour me sentir mal sous votre regard. […] Le honteux fait secret pour ne pas gêner ceux qu’il aime, pour ne pas être méprisé et pour se protéger lui-même en préservant son image. »

Notre société continue de méconnaître la réalité des violences sexuelles, leur fréquence, la gravité de leur impact et de les reléguer dans la catégorie des faits divers. Cette méconnaissance participe à la non-reconnaissance des victimes et à leur abandon sans protection ni soin.

Ce système, organisant le déni et la mise en cause des victimes elles-mêmes, qui auraient provoqué le viol ou l’agression sexuelle par leur comportement, a un nom : la « culture du viol ».

Une société dans laquelle une part importante de la population estime que forcer sa conjointe ou sa partenaire à avoir un rapport sexuel alors qu’elle le refuse et ne se laisse pas faire n’est pas un viol, que forcer une personne à faire une fellation alors qu’elle le refuse et ne se laisse pas faire n’est pas un viol, ou encore qu’à l’origine d’un viol il y a souvent un « malentendu », est une société dans laquelle les victimes de violences sexuelles révélant ce qu’elles ont subi courent le risque d’être mises en cause et maltraitées. Comment attendre d’elles qu’elles parlent ?

Or céder, faut-il le rappeler, n’est pas consentir. Maintes contraintes physiques, morales ou économiques peuvent permettre à une personne d’imposer des actes ou des comportements sexuels à une autre qui ne les veut pas, mais les subira sans mot dire ni s’opposer.

La vision stéréotypée des violences sexuelles, parasitée par la « culture du viol », n’est pas seulement le fait des hommes : elle est aussi partagée par de nombreuses femmes. Pour en venir à bout, l’imprescriptibilité des crimes et délits sexuels ne suffira pas ; il y faudra une lutte de tous les instants.

Le premier objectif doit être d’encourager les victimes à parler, pour les aider à sortir plus tôt de leur traumatisme.

Pour 72 % des Français et des Françaises, les victimes de viol ne sont pas bien soignées, et 83 % des victimes de violences sexuelles déclarent n’avoir reçu aucune protection, tandis que 78 % d’entre elles n’ont pu bénéficier d’une prise en charge en urgence et un tiers n’a pu rencontrer de psychiatre ou de psychothérapeute dûment formé. Plus de deux Français sur trois jugent impossible de se remettre d’un viol.

L’urgence est, clairement, de lancer des campagnes à destination du grand public afin de l’informer qu’il est possible, par une prise en charge adaptée, de guérir des conséquences psychotraumatiques engendrées par les violences sexuelles. Elle est de lancer des campagnes visant à améliorer, au sein de la population, la connaissance de la loi, des droits des victimes et des chiffres des violences sexuelles, ainsi qu’à déconstruire les représentations fausses qui portent préjudice aux victimes.

Priorité doit être donnée à l’amélioration, par des campagnes d’affichage et d’information et des actions spécifiques, de la prévention dans les sphères les plus touchées par ces violences : la famille et le couple, mais aussi les institutions, les lieux publics, dont les transports en commun, et l’internet.

Il est tout aussi impératif de mieux former les professionnels susceptibles d’être en contact avec les victimes : médecins, policiers, juges, enseignants, éducateurs.

L’efficacité de la prévention passera aussi par un renforcement de l’éducation à l’égalité entre femmes et hommes. Elle exige que l’on donne aux médias les outils nécessaires pour qu’ils cessent de participer à la diffusion de représentations sexistes, de stéréotypes et d’idées fausses concernant les violences sexuelles.

On sait qu’une proportion élevée d’enfants et de jeunes adolescents subissent des violences sexuelles. Ils devraient être prévenus des dangers qu’ils courent, apprendre comment et par qui ils peuvent en être protégés. Il ne faut jamais se lasser de répéter que leur protection passe avant celle de l’agresseur, avant celle, aussi, des intérêts et de la réputation de la famille, des institutions ou de la société, quand les mis en cause sont des personnalités publiques connues. Il paraît indispensable, à cet égard, d’inclure un volet relatif à la prévention des violences sexuelles dans la formation initiale des directeurs d’école, en l’inscrivant dans un projet éducatif plus global de promotion de la santé, élaboré avec les différents acteurs concernés au sein de l’école, en accordant une plus grande place à la parole de l’enfant et en établissant de bonnes relations avec les familles. Dans le même esprit, l’accompagnement des enseignants dans la mise en œuvre de la prévention passe par une réflexion sur le choix des pratiques pédagogiques.

Malgré les efforts déjà déployés, le chemin est encore long. Nous sommes loin d’avoir rompu avec la « culture du viol ». Il ne s’agit pas seulement d’un travail institutionnel, mais aussi d’une démarche à conduire avec chaque victime, pour libérer sa parole de souffrance avant qu’elle ne se laisse envahir par elle, parfois pour des décennies.

Il revient à chacun, là où il vit et là où il œuvre, et à la société tout entière, au nom de la solidarité, de s’investir dans ce combat, pour rendre définitivement inacceptables les violences sexuelles et aider celles et ceux qui les subissent à sortir de leur silence, pour pouvoir se reconstruire. C’est aussi à sa capacité de mener pareil combat qu’une société démocratique comme la nôtre est jugée.

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