Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui, en deuxième lecture, la proposition de loi de nos collègues députés Alain Tourret et Georges Fenech portant réforme de la prescription en matière pénale. Plus précisément, nous sommes amenés à nous prononcer sur le seul article de cette proposition de loi qui reste en discussion et qui concerne la prescription des infractions commises sur internet.
Cette disposition, qui vise à faire passer le délai de prescription de ces infractions de trois mois à un an, constitue le point de désaccord majeur entre les deux chambres. Supprimée à l’Assemblée nationale, par un amendement soutenu notamment par nos collègues députés écologistes, elle a été réintroduite dans le texte par un amendement du rapporteur, M. Buffet, qui avait échoué à l’inscrire dans la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté.
Concrètement, le texte qui nous est soumis prévoit que les propos illégaux publiés sur internet seront prescrits au terme d’une année révolue, sauf s’ils ont également été diffusés sur support papier, auquel cas le délai resterait de trois mois.
Il me semble utile de rappeler ici les constatations qui ont amené les députés Alain Tourret et Georges Fenech à élaborer ce texte : « Les interventions erratiques du législateur et l’interprétation prétorienne extensive des textes ont progressivement brouillé la clarté des règles en matière de prescription pénale ».
Tout cela a conduit, notamment, à la multiplication des délais de prescription dérogatoires au droit commun. Les deux députés, par conséquent, souhaitaient « moderniser et clarifier l’ensemble des règles relatives à la prescription de l’action publique et des peines, afin d’assurer un meilleur équilibre entre l’exigence de répression des infractions et l’impératif de sécurité juridique ». Le groupe écologiste souscrit entièrement à ces propos, car nous avons depuis longtemps rappelé la nécessité d’une remise à plat et d’une clarification du droit de la prescription.
Force est alors de s’interroger, mes chers collègues, sur le sens de cet article que nous examinons aujourd’hui, lequel tend à créer deux délais de prescription pour une même infraction selon le support utilisé : internet seul, ou internet et papier.
Le groupe écologiste que je représente aujourd’hui considère qu’une telle disposition entache la lisibilité et la cohérence de la loi. En conséquence, nous avons déposé un amendement de suppression. Nous considérons, en effet, à l’instar de nos collègues députés, que la tendance à considérer l’usage d’internet comme une circonstance aggravante pour de nombreux délits est davantage fondée sur la peur et l’incompréhension de ses usages que sur des faits.
Ceux qui maîtrisent les outils numériques savent qu’il est aisé de créer un système d’alerte vous informant chaque fois que votre nom est cité sur internet. Il est donc bien plus facile de repérer un propos diffamatoire ou injurieux dans ce contexte que lorsqu’il est écrit dans un journal ou un ouvrage « papier », dont vous ne pourriez avoir connaissance que des années plus tard.
La question qui se pose finalement est la suivante : faut-il réformer la loi du 29 juillet 1881 à l’heure du numérique ? Le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, notre collègue Alain Tourret, semble le penser lorsqu’il met en avant « la nécessité de redéfinir l’équilibre entre la liberté d’expression et la répression des abus de cette liberté à l’âge du numérique ».
Pour ma part, si cette refonte se révèle nécessaire, il me semble, s’agissant d’un sujet aussi important pour notre démocratie que la liberté d’expression, qu’elle mérite une vision d’ensemble et une réflexion davantage approfondie. Nous ne pouvons, sur un sujet aussi fondamental, continuer de légiférer par petits bouts, au gré des véhicules législatifs qui se présentent.
Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste, convaincu de la nécessité d’un droit plus lisible et plus cohérent, déterminera son vote final en fonction du sort réservé à son amendement.