Intervention de Mireille Jouve

Réunion du 16 février 2017 à 10h30
Sécurité publique — Adoption définitive des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Mireille JouveMireille Jouve :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis janvier 2015, en raison de leur engagement aux avant-postes dans la lutte contre le terrorisme, les 270 000 personnes qui constituent nos forces de l’ordre sont exposées à un risque particulier, supérieur à celui qu’elles connaissent en temps normal. Plusieurs attaques, comme celle qui a eu lieu très récemment contre des militaires de l’opération Sentinelle déployés dans l’enceinte du Carrousel du Louvre à Paris, permettent de caractériser ce risque spécifique. Nul ne peut le contester.

Dans ces conditions, il est nécessaire de réfléchir à de nouvelles méthodes et à de nouveaux dispositifs pour améliorer les conditions de travail et l’efficacité de nos forces de l’ordre, en veillant tout particulièrement à réduire leur vulnérabilité à de futures attaques terroristes. C’est l’esprit du projet de loi qui nous a été soumis par le Gouvernement, dont la finalité nous semble tout à fait justifiée.

À ce stade des discussions, dans le cadre d’une procédure accélérée, que l’on peut regretter compte tenu de l’importance des mesures proposées et du périmètre des personnes concernées, l’examen des solutions proposées nous rend cependant plus circonspects. En effet, la première revendication des agents de la police nationale porte sur le régime de l’utilisation de leurs armes à feu et sur la légitime défense. Cette préoccupation comporte en réalité deux questions qu’il faut traiter de manière distincte : d’une part, la question de la sécurité juridique de l’utilisation des armes pendant le service et, d’autre part, la question de la vulnérabilité des agents des forces de l’ordre en dehors de leur service ainsi que la protection de leur famille.

Pour ce qui concerne la vulnérabilité des agents en dehors de leur service et de leur famille, un problème manifeste comme l’a tristement illustré le double assassinat de Magnanville, notre attention doit être toute particulière. Nous ne pouvons tolérer que des agents publics et leurs familles soient victimes de telles menaces en raison du service qu’ils rendent à la Nation.

De ce point de vue, la possibilité pour les agents concernés de recourir à l’anonymat dans les procédures judiciaires et administratives doit être autorisée, de façon strictement proportionnée à la menace. C’est l’objectif visé par les articles 2 et 3 du projet de loi, et nous le partageons.

En revanche, nous contestons l’idée que l’augmentation du quantum des peines pour outrage et rébellion, également proposée, puisse affaiblir le sentiment de vulnérabilité des forces de l’ordre. Une telle disposition pourrait au contraire, dans le contexte actuel, accroître les tensions entre les forces de l’ordre et la population. En outre, il n’est pas évident que l’augmentation du quantum conduise à une augmentation des peines effectivement prononcées, ce qui pourrait donc raviver des animosités à l’égard de l’autorité judiciaire.

À l’avenir, les solutions visant à restaurer la confiance entre ces différents acteurs, entre les parties prenantes, devraient au contraire être recherchées dans le cadre d’une lutte contre des perceptions qui ne sont pas toujours justement fondées.

De la même manière, nous ne sommes pas convaincus par l’utilité de la réforme proposée du régime d’utilisation des armes. Il est vrai que ce projet de loi uniformise les régimes s’appliquant aux gendarmes et aux policiers, ce qui permettra au moins de lutter, là aussi, contre des perceptions prégnantes. Pour autant, comme le soulignent des organisations professionnelles de magistrats, le nouveau régime ne permettra pas de lever toute l’impression diffuse d’insécurité juridique qui dissuade parfois nos agents de faire usage de leur arme.

Au contraire, les notions de nécessité absolue et de proportionnalité, dégagées par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et celle de la Cour de cassation, continueront de s’appliquer. Il est vrai qu’il est « dangereux de laisser penser que les forces de l’ordre pourront faire un usage plus large de leurs armes ». En réalité, les mêmes contraintes et le même régime de responsabilité continueront de s’appliquer.

D’autres solutions pourraient être recherchées pour permettre une utilisation plus sereine des armes à feu par les forces de l’ordre : une augmentation des moyens accordés à la formation au maniement des armes ou la concentration des moyens de formation sur des brigades spécialisées seules habilitées à porter des armes, comme cela se fait au Royaume-Uni. Une réflexion pourrait également s’ouvrir sur une éventuelle réforme du régime de responsabilité pour les dommages résultant de l’usage d’armes à feu.

Malheureusement, la procédure accélérée ne nous a pas permis d’étudier toutes les options envisageables permettant de répondre plus efficacement à ces attentes qui sont, je le répète, légitimes. Au contraire, nos discussions se sont dirigées sur des sujets plus éloignés des préoccupations de nos forces de l’ordre.

Pour toutes ces raisons, les membres du RDSE ont très majoritairement fait le choix de l’abstention sur ce projet de loi relatif à la sécurité publique.

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